UN VAMPIRE. — La croyance aux vampires est encore très vivace dans plusieurs contrées de l’Europe. Voici, suivant une gazette allemande, le fait qui vient de se passer dans un petit village des montagnes de la Dalmatie. Inutile de dire que nous laissons à ce journal la responsabilité de son récit :
« Une belle jeune fille avait été plusieurs fois demandée en mariage ; après mille hésitations, elle agréa enfin l’un des prétendants. Les accords faits, le jeune homme partit aussitôt pour la ville la plus proche, à l’effet d’acheter à sa fiancée quelques objets qu’il est d’usage en ce pays de présenter à sa future. Il ne devait rentrer que le lendemain, à la tombée de la nuit. Le soir, comme le père célébrait les fiançailles de sa fille avec quelques amis et proches voisins, la société fut tout à coup interrompue par un cri terrible qui retentit dans la chambre à coucher où la fiancée et sa mère s’étaient retirées.
Tous les convives sautèrent vivement sur leurs armes, pensant avoir affaire à des voleurs et, au moment où ils entrèrent, un spectacle effrayant s’offrit à leurs yeux. La mère pâle, les yeux hagards, les cheveux en désordre, tenait dans ses bras son enfant évanouie et répétant avec un accent déchirant : « Un vampire ! un vampire ! ma pauvre fille est morte ! »
Par hasard, un médecin était en tournée dans le village ; attiré par les cris, il entre dans la maison, s’informe, cherche à rassurer la famille et les convives. Stella (c’était le nom de la jeune fille), ranimée par un puissant cordial, revient à elle et raconte alors qu’elle avait vu un homme pâle enveloppé dans un linceul, entrer par la fenêtre, que cet homme s’était jeté sur elle, l’avait mordue au cou. Le médecin se hasarda à repousser comme invraisemblable la vision de la jeune fille ; mais le père le traita d’incrédule, et la mère déclara qu’elle avait vu de ses propres yeux l’affreux vampire et qu’elle avait parfaitement reconnu le nommé Crysewsky, habitant de l’endroit, ancien prétendant de sa fille, et mort depuis une quinzaine de jours.
Cependant, cette jeune fille donnait les signes du plus violent désespoir. On rassembla aussitôt toutes les amulettes du village, et on les suspendit au cou de Stella. Le père et les amis de la maison jurèrent que, le lendemain matin, ils feraient exhumer le cadavre de Crysewsky, et le brûleraient en présence de tous les habitants. La nuit se passa dans la plus grande agitation, et rien ne put ramener le calme dans l’esprit des malheureux parents.
Au point du jour, les hommes armés de leurs fusils, les femmes des ustensiles de ménage rougis au feu, les enfants de gros gourdins, s’acheminèrent vers le cimetière en proférant des imprécations abominables contre le défunt. La tombe fut profanée et, au moment où le linceul fut enlevé, vingt coups de fusils partirent en même temps et mirent en pièces la tête du cadavre, qui fut enlevé aussitôt, porté sur un bûcher et brûlé au milieu des danses cannibalesques et des cris sauvages de la foule.
Quatre jours après, la jeune fille rendait le dernier soupir.
Le médecin cependant voulu connaître la véritable cause de cette mort si singulière. Il enleva les bandages du cou que, de son vivant, la jeune fille et sa famille n’avaient point permis de soulever, et vit, à la naissance de la gorge, une petite plaie donnant à peine passage à la sonde, qui y pénétra de 5 à 6 centimètres. Il put constater alors que cette jeune fille était morte assassinée avec une alêne de bourrelier.
Il interrogea les parents sur la qualité et la profession des prétendants évincés, et, parmi eux, il en était un en effet qui exerçait cette profession. Depuis la nuit du crime, ce jeune homme avait disparu du pays sans qu’on pût connaître quelle direction il avait prise. Le jour de l’enterrement de la jeune fille, un colporteur qui avait traversé un torrent pour gagner le village rapporta qu’il avait vu un cadavre accroché aux aspérités des rochers. Les habitants se rendirent à l’endroit désigné et y trouvèrent le bourrelier qui s’était suicidé en se précipitant dans le torrent. Malgré les preuves les plus évidentes d’un assassinat, les parents et la famille de la jeune fille persistent à croire qu’elle a été tuée par un vampire. »
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(in Le Patriote des Opelousas, volume I, n° 38, samedi 17 novembre 1855 ; gravure illustrant Varney the Vampire; or, the Feast of Blood de James Malcom Rymer et Thomas Peckett Prest, 1847)