« Un arbre est toujours plus beau qu’un homme… parce qu’il est plus grand et qu’il reste fidèle à la terre qui le porte. Ses bras levés soutiennent son rêve. Il a ses fleurs, ses fruits… Il accroche les nuages, protège les oiseaux, surveille la contrée, voit, de haut, venir la pluie et naître le soleil.

Jadis, les arbres, aux temps préhistoriques, erraient par groupes ou solitaires. Ils avaient des racines-pieuvres dont le grouillement continu les faisait avancer comme des reptiles sur leurs anneaux. Ils cherchaient à se reconnaître entre eux, se heurtaient du front, oscillaient sous le vent puissant de leur inquiétude. Ils formèrent les forêts, les jungles inextricables et finirent par demeurer immobiles, dans un amour immense de leur propre beauté, car ils surent comprendre que l’inquiétude est une tare, qu’elle engendre les mouvements et les gestes, très inutiles, souvent coupables.

Les arbres sont l’essence même de la terre qui les fit. Nous passons… emportant avec nous le trouble de représenter les déracinés, les désorbités, les disqualifiés… l’humanité, enfin !… Eux, ils demeurent, victorieux dans leur choix. Ils résident où ils découvrent ce qui est nécessaire à leur long règne végétal et ils sont aussi nécessaires, au paysage qu’ils timbrent de leur sceau, par le très noble exemple de durée qu’ils nous donnent.

Malgré eux ?… Non !… Un arbre sait bien ce qu’il doit enseigner aux hommes qui traversent son ombre. Il vit, lui, d’une vie intérieure et il n’est pas besoin de mettre un doigt entre son cœur et son écorce pour sentir battre l’ardeur contenue de sa sève. »
 

Rachilde, « Le Pommier, » 30 octobre 1920

 
 

Il arrive qu’on fasse parfois de singulières rencontres en flânant sur les sites de vente aux enchères. Ainsi, il y a quelques mois, je suis tombé sur cet herbier d’amateur, constitué vraisemblablement au cours des années 1980 : deux classeurs verts renfermant près de 170 feuilles et quelques fleurs, dont chacune est associée au souvenir d’un lieu, et évoque une figure littéraire, artistique ou historique. Pour la plupart, ce sont des écrivains ; si certains sont assez convenus, comme Victor Hugo, Balzac ou Maupassant, d’autres peuvent paraître plus surprenants : Remy de Gourmont, Maurice Leblanc, Alfred Jarry, Céline ou Aristide Bruant, pour n’en citer que quelques-uns.

Je ne sais rien de toi, humble pèlerin, mon frère ; mais il m’est apparu comme une évidence que la Porte ouverte devait conserver la trace de ce témoignage éphémère. Qui que tu sois, ô rêveur, merci à toi pour ce touchant pèlerinage : je t’ai suivi pas à pas parmi les ombres. Je laisse aux herboristes éclairés le soin d’identifier l’arbre ou la plante abritant la mémoire de tes chers disparus ; quant à moi, simple rêveur, je me contenterai de croire qu’ils ont su garder un peu de l’âme qui les a inspirés.
 

MONSIEUR N

 

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(Angelo Jank, « Der Tod im Baum » [La Mort dans l’arbre], illustration parue dans Jugend, n° 13, mars 1897 ; Félicien Rops, « Les Hamadryades »)