DARWIN ET VANDERBILT

 

_____

 
 

Nous avons publié, sous ce titre, quelques réflexions qui nous étaient inspirées par la lecture d’un télégramme de New-York, annonçant qu’un jeune savant américain, commandité par M. Vanderbilt, le milliardaire, allait partir pour Java où il espérait trouver le pithecanthropus, l’être intermédiaire entre le singe et l’homme. Ce télégramme ajoutait que ce jeune Américain, le docteur Walters, aurait à lutter contre la concurrence du professeur Hæckel, de l’université d’Iena, lequel se rendait également à Java pour le même objet. Le docteur Laborde, de l’Académie de médecine, nous adresse à ce propos la lettre suivante :
 

Monsieur le Directeur,
 

La vérité, inscrite depuis tantôt six ans dans les Annales de la science anthropologique, la vérité est que le pithécanthrope a été déjà trouvé à Java ; que cette découverte est due à un jeune médecin de la marine hollandaise, M. le docteur Eugène Dubois qui en a donné la relation dans une monographie des plus intéressantes (Pithecanthropus erectus; eine Menschenæhliche übergangsform aus Java, publié à Batavia en 1894), avec pièces et dessins à l’appui. Les pièces, qui consistent en un crâne fossile caractéristique, un os du membre inférieur (fémur) et une dent molaire, ont été colportées et montrées dans les principaux établissements scientifiques d’Europe. Nous possédons à l’École et au Laboratoire d’anthropologie un fac-similé du moulage du crâne en question et qui a servi à l’examen, aux commentaires et aux leçons sur ce sujet de la plupart des professeurs de cette école, nommément MM. Gabriel de Mortillet, Letourneau, Manouvrier, Laborde, etc.

Le docteur Eugène Dubois a fixé lui-même, par le qualificatif d’ « erectus » l’un des caractères anthropogéniques les plus importants de cet homme-singe, qui semble bien constituer l’intermédiaire prévu et annoncé non point par Darwin (qui a, d’ailleurs, à son actif assez d’autres prévisions de cette sorte), mais par deux anthropologues français des plus autorisés : Gabriel de Mortillet, l’illustre créateur du préhistorique, et le savant linguiste et ethnographe Abel Hovelacque, son élève. C’est au congrès de Lyon, en 1873, qu’ils établirent, en collaboration, sur une base scientifique, cette prévision aujourd’hui réalisée.

Si donc les deux savants signalés par l’auteur de l’article dont il s’agit, – l’un Américain, le docteur Walters, favorisé de la plus honorable des commandites par le célèbre milliardaire Vanderbilt, l’autre, Allemand, le professeur Hæckel (d’Iena), – partent à Java à la recherche du pithecanthropus, ce ne peut être que sur les brisées du docteur E. Dubois, auquel revient, en réalité, l’honneur d’être arrivé « bon premier » dans cette découverte que ses successeurs ne peuvent plus, désormais, que compléter ; besogne qui, au reste, n’est pas à dédaigner dans cet ordre de recherches.

Il me semble, en tout cas, et il vous paraîtra, j’en suis persuadé, à vous-même, monsieur le directeur, qu’il n’était pas inutile de rétablir les faits, à propos d’une question d’un si haut intérêt scientifique, et d’accomplir, en même temps, un acte de justice à l’égard du jeune savant hollandais.

Veuillez agréer, etc.
 

Dr J.-V. LABORDE,

directeur du laboratoire d’anthropologie,

professeur à l’École d’anthropologie,

membre de l’Académie de médecine.

 

Nous remercions le docteur Laborde de son intéressante communication. Elle nous est d’autant plus agréable que, dans ces victoires et conquêtes évolutionnistes, où il n’était question que de Darwin, d’Hæckel et de Vanderbilt, la France jouait un rôle par trop effacé. Le docteur Dubois, quoique Hollandais, ne porte pas un nom pareil sans être évidemment Français d’origine ; MM. de Mortillet et Hovelacque sont nos compatriotes. C’est avec plaisir que nous leur rendons ce qui leur appartient. Il est bon qu’on puisse se sentir fier d’être Français en passant devant l’École d’anthropologie.

Nous n’avons ici aucune compétence pour discuter les renseignements scientifiques que nous apporte notre éminent correspondant. Nous ne pouvons que les enregistrer, comme nous avions fait de ceux qui nous étaient venus par le câble transatlantique. Il nous semble, si nous avions bien compris le télégramme de New-York, que le protégé de M. Vanderbilt se flattait de rencontrer à Java non pas seulement des ossements fossiles, mais le pithecanthropus lui-même, bien vivant, lequel aurait fait souche et aurait continué tranquillement son petit bonhomme de chemin dans ses forêts, sans se soucier de ceux de ses descendants qui ont mal tourné et sont devenus hommes. Il est clair que, sans méconnaître l’intérêt des portraits de famille conservés à l’École d’anthropologie, une conversation avec l’ancêtre lui-même serait plus palpitante que la contemplation de ses molaires et de ses fémurs. Maintenant, il est possible que MM. Walters, Vanderbilt et Hæckel s’illusionnent, ou encore que le télégraphe nous ait transmis une interprétation inexacte de leurs espérances.

Quant à nous, nos réflexions se bornaient modestement à l’ordre philosophique auquel la lettre de M. le docteur Laborde ne touche pas. Nous nous efforcions de démontrer que la confirmation expérimentale et définitive des théories darwiniennes n’exercerait aucune influence sur les doctrines métaphysiques et religieuses. Toutes les métaphysiques, disions-nous, sont compatibles avec toutes les découvertes scientifiques, parce que la métaphysique n’a aucun point de contact avec la science positive. L’une étudie l’être, le noumène, l’absolu ; l’autre ne s’occupe que du phénomène, du relatif, et n’a commencé à faire de sérieux progrès que du jour où elle a commencé de négliger systématiquement les problèmes métaphysiques. On peut considérer que la science seule est viable et que la métaphysique est vaine. C’est le point de vue positiviste. Il a sa valeur. Mais ce qui est absurde, c’est de prétendre résoudre par la science les questions métaphysiques, comme l’ont fait les matérialistes du type Büchner, – il y en a encore dans certains milieux scientifiques et l’on en découvrirait peut-être dans quelques écoles d’anthropologie.

La communication de M. le docteur Laborde ne peut que nous combler de joie, puisqu’elle prouve que nous avions encore plus raison que nous ne nous l’étions figuré. Comment ! le pithécanthrope existe, il est retrouvé depuis six ans ! Mais c’est admirable. Avez-vous constaté une transformation métaphysique ou religieuse quelconque, depuis six ans ? Y a-t-il une philosophie ou une religion qui ait péri sous les coups du pithécanthrope ? Son entrée à Paris en a-t-elle fait naître de nouvelles ? Non, n’est-ce pas ? Eh bien, alors ?…
 
 

_____

 
 

(in Le Temps, quarantième année, n° 14366, mardi 9 octobre 1900 ; « Pithecanthropus, » illustration de Zedněk Burian, 1950)

 
 
 

 

LE PITHÉCANTHROPUS ET SES FILS

 

_____

 
 

Quelques personnes intelligentes et riches organisent une mission destinée à l’étude de l’homme préhistorique tel que de nouvelles hypothèses le supposent, depuis la découverte d’un crâne insolite dans le terrain tertiaire de Trinil à Java, province de Madioun. Là, parmi les traces d’une coulée de laves, le docteur E. Dubois recueillit un fémur digne d’Hercule, plusieurs dents de forme intermédiaire entre celles de nos aïeux et des anthropoïdes, une calotte crânienne rappelant la contexture des têtes chelléennes, jadis exhumées du sol quaternaire de Spy (près Namur).

Surpris par le cataclysme volcanique, avec certains animaux de l’époque pliocène, l’ancêtre, par cette mort, nous renseignera sans doute sur la question de savoir si l’Asie ou l’Europe engendrèrent nos premiers parents.

Jusqu’en ces dernières années, on soutint que l’Asie fut le berceau d’Adam. Sur le plateau central, les premières tribus chasseresses auraient pullulé, puis, de là, se seraient répandues vers les points cardinaux du vieux continent. Mais cette théorie cessa naguère d’être prisée. Des recherches anthropologiques récentes, la réunion des témoignages recueillis dans des régions diverses, convainquirent les savants d’autre manière. Simultanément, en tous lieux, pendant la période qui suivit le premier recul au nord des glaces polaires, serait apparu l’homme chelléen de qui les ossements furent reconnus dans notre terrain quaternaire, avec des outils de silex taillés par éclats et nommés « coups-de-poing, » armes primitives servant à renforcer l’action de la griffe humaine. Nos redoutables ascendants chassaient alors le mammouth. Ils semblent avoir suivi les migrations de ces proboscidiens qui fournissaient à l’appétit des hordes, outre la viande en abondance, les fourrures propres à garantir contre le froid. Beaucoup d’outils identiques furent trouvés en Sibérie, autour du lac Baïkal, près de Tomsk, à côté d’un squelette dépecé et carbonisé de mammouth, au Japon, près Beyrouth, à l’est de Tyr, dans la Galilée, en Phénicie, vers Madras, au Bengale. L’Europe et l’Asie avaient donc produit dans les mêmes périodes, interglaciaire et postglaciaire, leurs Adams, nés avec la flore des prairies et des forêts, alors que s’atténuaient les rigueurs du climat.

Concevoir l’outil, l’arme, c’est-à-dire adjoindre aux moyens naturels de défense un moyen artificiel et mobile, semble la première faculté éminemment caractéristique de l’espèce humaine. Ni les animaux les mieux domestiqués, ni les bêtes libres dans les solitudes, n’inventèrent ce mode d’asservir la nature. Les oiseaux construisent des nids ; les castors établissent des barrages ; les fourmis élèvent, pour leurs métairies, des troupeaux de pucerons à lait, mais la vigueur de l’élan personnel n’est pas accrue par l’emploi de l’arme. Au nombre des objections qui refusent le titre d’homme au « Pithecanthropus » du docteur Dubois, celle alléguant l’absence d’outils auprès des os ne vaudrait pas le moins. À vrai dire, en Birmanie, les couches du miocène ou du pliocène inférieur (tertiaire), contiennent des éclats de silex. En 1897, M. Nœtling indiqua même un os d’animal, peut-être volontairement poli et d’origine pareille. Le Pithecanthropus aurait droit, dès lors, à notre salut égalitaire ; et ce serait bien en Asie qu’Adam aurait connu d’abord le bonheur du sourire d’Ève, devant les décors du paysage tertiaire, selon les théories mêmes de Moïse.

Depuis les merveilleuses légendes préhistoriques écrites par l’art des frères Rosny, nous n’ignorons plus tout des sentiments et des vies propres aux premiers hommes. Eyrimah, Vamireh persistent dans nos mémoires littéraires qui scandent les phrases de ces pages héroïques. L’ésotérisme nous apprit en outre à comprendre les trois sens hiératiques de la Genèse, et comment Aïscha, ou Ève, représente la volonté potentielle des premiers humains sous le symbole concret de la femme, objet du désir permanent, des appétits d’éternité et de beauté. L’anthropologie moderne s’ajoute de la meilleure façon aux données de l’art et à celles de la science occulte. Commanditant les chercheurs qui vont reconstituer l’existence du Pithecanthropus Erectus, les Mécènes font œuvre pieuse. D’après leurs enseignements prochains, la théorie pourra florir qui décrira les transformations du genre humain, ses migrations les plus anciennes, les civilisations des origines. Ensuite, nous apprendrons raisonnablement quelles sont les races parentes de notre peuple, quelles sont celles nécessairement hostiles, et celles dont les affinités se peuvent accorder avec les nôtres.

À lire l’ouvrage de M. Deniker, qui rassemble, en un corps parfaitement compact de solides et scrupuleuses généralisations, les doctrines relatives aux « Races et Peuples de la Terre, » on reste tout d’abord stupéfié de la contradiction entre les agglomérats géographiques et linguistiques désignés des monarchies, d’une part, et l’exacte vérité des cousinages humains, d’autre part.

Si les nations s’étaient formées, en Europe, d’après les caractères physiques analogues de leurs individus, d’après les indices somatologiques, pour s’exprimer pertinemment, les États, au lieu d’occuper les pays dans la direction Sud-Nord, en latitude, s’étendraient en longitude.

Car la Race nordique, dolichocéphale, blonde et grande, aux yeux clairs, à la face allongée, au nez droit proéminent, s’étale sur la Suède, le Danemark, la Norvège, l’Écosse, l’Angleterre septentrionale et orientale, l’Irlande, les îles Féroë, la Hollande, parmi les Frisons, dans l’Oldenburg, le Schleswig-Holstein, le Mecklembourg, les provinces baltiques, et la Finlande. Une fédération de ces pays se flatterait justement de composer une patrie homogène réunissant des individus de même race, de même coutume et de mêmes mœurs. Or, ces régions demeurent divisées entre six empires aux frontières strictes et qui se prétendent différentes. Erreur absolue ! Les Anglo-Saxons, par exemple, ne sont qu’une tribu germanique, et le Danemark eut mauvaise grâce de se rebiffer contre l’absorption par la Prusse. D’autant moins discutable semble cette opinion de la science, que tous ces peuples sont enthériques, ayant adhéré à une même philosophie théiste satisfaisant leurs caractères uniformes.

La grande Race celtique-cévenole, brachycéphale, de petite taille, brune, à la face arrondie et au corps trapu, règne sur les Cévennes, les Alpes occidentales, la Bretagne, le Poitou, le Quercy, la vallée du Pô, l’Ombrie, la Toscane, la Transylvanie, la Hongrie. Elle se mélange aux habitants du Piémont, de la Suisse centrale et orientale, de la Carinthie, de la Moravie, Galicie, Podolie, de l’Italie moyenne. Très probablement elle descend des brachycéphales qui, partis de la vallée du Danube, au début de l’Âge de la Pierre Polie, gagnèrent la Suisse, envahirent l’occident, et imposèrent aux dolichocéphales la civilisation dite Aryenne qui substitua l’agriculture avec élève du bétail au jardinage par le moyen de la houe, et qui propagea les dialectes à suffixes, réalisa l’unité des idiomes pendant l’Âge des Métaux, ouvrit la grande voie de commerce pour l’ambre et l’étain entre la Scandinavie et l’Archipel, inventa l’usage du cuivre, martela les premiers outils de bronze en Suisse, centre initial, transporté plus tard dans les Carpathes, où les langues aryennes se divisèrent, comme le rapporte le mythe de Babel, se propagèrent en deux courants, l’un oriental enseigné par les Slaves aux tribus du Caucase, de l’Asie, sous forme de sanscrit et d’iranien, l’autre occidental, révélé, sous forme de patois germaniques, latins, helléniques.

Aux temps de l’Histoire, tous les faits importants surgissent au milieu des peuples que conquit cette race féconde. Elle envahit au Nord le Jutland et l’Angleterre ; elle devient la force des Bretons qui vont redescendre, au cinquième siècle avant J.-C., par les Gaules océaniques, jusque dans la Galice espagnole pour fonder le groupe celtebère. Seulement alors les annales de la péninsule commencent. En 392 avant J.-C., elle culbutera les Pélasges-Étrusques, prendra Rome, puis courra dans l’Asie Antérieure instaurer l’empire des Galates, vers 279. Quand l’auront domptée les légions de César, elle acceptera très intelligemment la civilisation latine, l’affermira, dans l’armature du christianisme, la défendra contre les invasions d’Orient. C’est dans son sein que toutes les barbaries viendront se transformer au creuset des fonts baptismaux. Elle engendrera la cité, la commune, le mouvement des Croisades, la querelle guelfe et gibeline, l’esprit de la Réforme, précurseur de la Révolution. C’est la race pensante, accueillante, vivifiante, unifiante. On lui doit tout, l’alliance des esprits chaldéo-égyptiens, helléniques et latins, avec la force Scandinave. Elle n’est même pas une patrie. Catholique ou orthodoxe, sa multitude œuvre sous vingt drapeaux différents, comme sa sœur cadette, la Race adriatique très brachycéphale, aux cheveux bruns ondulés, au sourcil droit et au nez fin, qui l’aida puissamment de Lyon jusqu’à Liège entre Loire et Saône, sur le plateau de Langres, dans la Haute-Moselle, les Ardennes, l’Alsace, la Suisse Romande, parmi les Ladins du Tyrol, les Ruthènes des Carpathes, les Albanais, les Serbes, les Dalmates, les Bosniaques, les Croates, les montagnards polonais, les Petits-Russiens, avec lesquels, mêlée, elle constitua la famille aux yeux clairs, dite Sub-Adriatique, et tout évidente dans notre Champagne, en Perche, Lorraine, Vosges, Franche-Comté, Luxembourg, Zélande, pays du Rhin, Bavière, Bohème méridionale, Autriche allemande, Tyrol central, Lombardie, Vénétie.

Vraiment, l’anthropologie n’est pas indulgente aux théories des nationalités. Elle donne le démenti formel à la géographie politique de l’Europe, sauf à l’organisation de la Suisse. Elle démontre brutalement que les États se formèrent selon le caprice de la barbarie, que les peuples n’ont rien à voir dans les querelles des diplomates, puisque leurs patries naturelles, leurs patries de races, s’étendent en latitude, tandis que les patries nominales s’étendent en longitude. Elle nie le nationalisme des langues, imposé d’ailleurs par la conquête, et que contredit celui des signes physiques, infiniment plus normaux. Aucun rapport somatologique ne lie par exemple, « les Kachoubes, blonds, petits, agriculteurs paisibles de la plaine, et les Monténégrins bruns, grands, élancés, pasteurs belliqueux de la montagne » ; cependant, les uns et les autres appartiennent, sans raison, au groupe de Slaves. « Quel contraste plus frappant peut-on imaginer, écrit M. Deniker, que celui entre un Norvégien, grand et blond, marin hardi, dont le pavillon flotte dans tous les ports du monde, et le montagnard du Tyrol septentrional, brun et petit, agriculteur sédentaire, dont l’horizon est borné par les cimes de ses montagnes ? Et, cependant, tous les deux sont réunis dans le groupe germanique. »

Les patries rationnelles et conformes aux données scientifiques devraient, en Europe, se répartir, au nombre de quatre, dans l’ordre suivant :

I. L’empire nordique ou germanique comprenant la Finlande, les provinces baltiques, la Suède, le Danemark, la Norvège, l’Angleterre, le Schleswig-Holstein, l’Oldenbourg, le Mecklembourg, la Lithuanie.

II. L’empire oriental ou russe, comprenant les Blancs-Russiens, les Grands-Russiens, les Prussiens, les Polonais, qui réclament à tort contre l’annexion moscovite, les Kachoubes, les Saxons, les Silésiens.

III. L’empire celtique, réunissant les brachycéphales autour de la Suisse, comme centre, c’est-à-dire les races cévenoles, et ce qu’on a nommé d’abord la Race lorraine, puis adriatique ; cela réaliserait l’union de la France (moins quelques provinces au midi et au centre), de l’Alsace-Lorraine, de la Belgique, de l’Allemagne centrale et méridionale, de la Lombardie, de la Vénétie, de l’Autriche-Hongrie, des Balkans et de la Petite-Russie ; après expulsion des Turcs vers l’Asie, où, par compensation, d’ailleurs, ils devraient occuper le pays jusqu’à l’Océan glacial et la vallée du Hoang-Ho, y compris la Perse, le Caucase, la Tartarie de Sibérie, le Turkestan, la Tartarie du Volga, celle de Kazan.

IV. L’empire du littoral, étendu sur l’Italie méridionale et les îles occidentales de la Méditerranée, le long de la côte, depuis Gibraltar jusqu’à l’embouchure du Tibre, le long du golfe de Gascogne, de l’Irlande nord-ouest, du pays de Galles, du pays basque, installé en Espagne avec des enclaves dans le Périgord, l’Angoumois, le Limousin.

Ainsi devraient se répartir les nationalités véritables, selon les renseignements exacts de l’ethnographie.

On voit combien la politique des rois, par quoi furent constitués les États, satisfaisait peu les règles naturelles de la parenté entre les races. Les monarchistes contemporains, quand ils prétendent, de manière très inattendue, qu’eux seuls observent les principes de la science, ne manquent pas d’audace, dans l’usage de l’affirmation. Qu’on ouvre, au hasard, le premier volume de savoir exact, il les contredit aussitôt. D’ailleurs, ne font-ils pas soutenir à Taine que leur théorie est de précellence ? L’auteur des « Origines, » comme le remarquent les jeunes écrivains de la « Revue Naturiste, » appuya précisément la doctrine opposée :
 

« Au cours d’une étude, où il commente certaines théories antidémocratiques et royalistes de Balzac, Taine, en effet, a écrit : « Il est clair qu’avec la gendarmerie d’un côté et l’enfer de l’autre, on peut beaucoup sur les hommes, et que des peuples exclus de l’égalité par les majorités, de la liberté par le despotisme, de la pensée par l’Église, seraient trop heureux d’être bien nourris et point trop battus. Des esprits mal faits vous répondraient peut-être que, contre les vices des hommes, « vous cherchez refuge chez un homme, naturellement aussi vicieux que les autres, et encore gâté par la licence du pouvoir absolu. » Ils vous feraient remarquer que, si une presse et une chambre libres sont le théâtre d’ambitions rivales et l’organe d’intérêts égoïstes, elles prêtent une voix à toutes les minorités contre toutes les oppressions, et que, dans les grands besoins, le sentiment public les rallie de force autour de la vérité et du droit. Ils vous montreraient que, si l’homme est mauvais, ses vices peuvent mettre un frein à ses vices, et que l’orgueil en Angleterre, l’égoïsme bien entendu aux États-Unis, « maintiennent la paix et la prospérité publiques mieux que n’a jamais fait le despotisme d’une Église ou d’un roi. » Ils ajouteraient qu’un bon politique ne s’oppose pas à des penchants invincibles : que l’esprit de vanité et de justice implante en France l’égalité des conditions et des partages ; que l’accroissement de la richesse, du loisir et de l’instruction, y implantera la science et le souci des affaires publiques ; bref, qu’on n’empêche pas le feu de brûler, que le plus sage parti est de modérer, de régler et d’utiliser la flamme. Ils concluraient que Balzac, en politique comme ailleurs, a fait un roman. »

Voilà, je crois, des arguments nets et précis. S’il est juste d’écouter quelquefois les morts qui parlent, encore ne faut-il point les faire parler de travers. »
 

Et voilà pourquoi, sans doute, il sied d’applaudir les intelligents Mécènes qui facilitent aux savants la recherche, dans Java, du Pithecanthropus Erectus, notre ancêtre du Tertiaire. Son squelette et ses outils témoigneront au bénéfice de la vérité scientifique. Plus manifeste, elle obligera les gouvernements et les diplomates à moins de mensonges sur les nécessités des haines patriotiques, ou bien à plus de cynisme, ou bien à plus de sagesse humanitaire.
 
 

_____

 
 

(Paul Adam, in Le Journal quotidien, littéraire, artistique et politique, neuvième année, n° 2940, jeudi 18 octobre 1900 ; gravure de James Francis Horrabin pour The Outline of History de H. G. Wells, Londres : George Newnes, 1920)