Il y avait une fois un homme qui voulait tout connaître, tout savoir, tout approfondir.

Il doit y avoir quelque part, au monde, un pays où l’on vit sans vieillir ni mourir, pensa-t-il. Il dit adieu à sa province et s’en fut à la recherche du pays introuvable.

Il vit soudain une prairie ; des chiens y léchaient des racines.

« Petits chiens, savez-vous le pays où l’on vit sans vieillir, ni mourir ? »

La langue pendante, les petits chiens répondirent :

« Vis avec nous, que veux-tu de plus ? nous avons toutes les racines à lécher, et ce n’est qu’alors que nous mourrons. »

Le jeune homme jeta un coup d’œil :

Les racines étaient grosses à ne pouvoir les entourer avec le bras.

Non, cela ne lui suffit pas.

Les racines elles-mêmes auront leur tour. Il alla plus loin.

Il rencontra des montagnes et des porcs qui les fouillaient.

« Pourceaux, petits pourceaux, ne connaissez-vous pas un pays où l’on vit sans vieillir ni mourir ?

– Pourquoi chercher ? répondirent les pourceaux ; vis avec nous, nous fouillons les montagnes et notre vie ne se terminera que lorsque nous les aurons toutes fouillées. »

Le jeune homme regarda les montagnes :

Elles se dressaient, énormes, les sommets dans les nuages.

Non, cela ne lui suffit pas.

L’heure viendra où elles seront complètement creusées.

Il alla plus loin.

Il marcha, il marcha – aucune demeure, et pas de coq qui chante ; et il vit un palais d’or, et, venant à sa rencontre, une jeune fille :

« Que cherches-tu, jeune homme ?

– Y a-t-il sur la terre un pays où l’on vit sans vieillir ni mourir ?

– Reste avec moi ; c’est ici le pays que tu cherches. On ne vieillit ni ne meurt. »

Il le crut et demeura…

Le jeune homme vécut un an : ce n’était pas un an, mais dix d’écoulés. Il vécut six ans, c’en était soixante. Il en vécut cent, cela faisait mille. Et il s’ennuya de son pays natal.

S’il pouvait seulement y jeter un coup d’œil.

La jeune fille qui l’accueillit jadis dans le palais est magicienne ; elle sait tout et devine toutes ses pensées.

« Va, jeune homme, dit-elle, chez toi, dans ton pays natal. »

Et elle lui donna un cheval enchanté :

« Il te portera jusqu’au portail de ta demeure. »

Tout à la joie de revoir son pays, il oublia de remercier la magicienne. Il prit place sur le coursier et disparut dans la poussière.

Aucune demeure, et pas de coq qui chante.

Un jour s’écoula, puis un autre. Tout autour sont de maigres buissons et des oiseaux qui sifflent lamentablement. Une vieille, vieille femme ramasse des brindilles.

« Grand-mère, pourquoi le chant de ces oiseaux est-il si triste ? Grand-mère !

– Ah ! mon fils, il y a fort longtemps de cela, nul ne s’en souvient plus, il y avait à cette place un village. Le village a disparu, puis les bois se sont desséchés et ces buissons épineux ont poussé. »

Les oiseaux sifflaient toujours. Son cœur s’emplit d’angoisse : il voulut fuir la vieille. Les oiseaux étaient au-dessus de lui.

Il prit le galop, mais eux sont sur sa tête. Impossible de fuir.

Il voit les montagnes et les porcs qui les fouillent.

Les montagnes n’ont pas changé.

« Petits pourceaux, acceptez-moi.

– Non, tu n’as pas voulu jadis, c’est fini. »

Il alla plus loin ; les oiseaux le suivaient, ils piaillaient au-dessus de lui.

Et il aperçut des racines : les mêmes qu’autrefois. Des chiens les léchaient encore.

« Chiens, petits chiens, acceptez-moi.

– Non, tu n’as pas voulu jadis, c’est fini. »

Il partit seul sur son cheval, et les oiseaux au-dessus de sa tête chantaient lamentablement.

Voici sa maison.

Il la reconnaît de loin : il n’en croit pas ses yeux, c’est son pays ! Sa terre natale !

Il enleva son cheval, parvint au seuil de sa demeure, et tandis qu’un oiseau sifflait un air lugubre, il rendit l’âme.
 
 

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(Alexeï Remizov, traduit par L. et J.-M. Aimot, in Le Figaro, supplément littéraire du dimanche, n° 305, 7 février 1927. Vania Zouravliov, « Fairy Godmother »)