« La condamnation d’Oscar Wilde doit être mise au nombre de ces crimes démocratiques. On frappe d’abord Wilde parce qu’il a violé les lois de cette petite morale calviniste, indulgente à toute bassesse d’âme et sévère seulement pour les passions, – morale qui fait descendre le mot vertu de son beau sens antique et noble (Virtus, courage), et considère comme des crimes des actes qui en réalité n’offensent que celui qui les commet. »

 

HUGUES REBELL

 
 

Le samedi 25 mai 1895, à l’issue de plusieurs mois d’audiences et de débats particulièrement houleux, Oscar Wilde fut condamné à deux ans de travaux forcés par la cour d’assises d’Old Bailey. Il ne devait sortir de prison que le mercredi 19 mai 1897.

Quelques mois après le verdict, dans une lettre ouverte à Léon Deschamps, rédacteur en chef de la Plume, Stuart Merrill lançait l’idée d’une pétition en vue d’obtenir la grâce de l’écrivain. Il faut dire que l’idée était dans l’air depuis quelque temps ; Hugues Rebell l’évoquait déjà dès le mois d’août, dans la conclusion de son très bel article, « Défense d’Oscar Wilde, » paru dans les pages du Mercure de France :

« Je sais qu’on a l’idée de présenter une pétition à la reine, mais je n’ose espérer que cette lourde bourgeoisie, que cette protestante bigote qui n’a pas honte d’occuper la place de la grande Élisabeth, accueillera favorablement cette demande de grâce. Les souverains modernes ressemblent à des marionnettes en bois qu’on promène aux fêtes foraines et qui, de temps à autre, répètent la fameuse phrase : « Nous sommes préoccupés du sort des humbles. » À cause de ces paroles, on leur permet de conserver leur couronne sur la tête. Ils n’ont garde de la perdre par des mesures qui leur paraîtraient imprudentes et que le peuple, raisonnablement, ne peut approuver. Gracier un écrivain ! Fi donc ! C’était bon pour leurs ancêtres ! »

Pour donner plus de poids à cette initiative, Merrill suggérait une liste de signataires choisis parmi les écrivains français en renom. Le texte de cette pétition adressée à Sa Majesté la Reine parut dans le numéro suivant de la Plume. Malheureusement, avant même d’avoir été présentée, l’initiative de Merrill et Deschamps se heurta à l’extrême réticence des signataires pressentis, peu soucieux de compromettre leur réputation littéraire en affichant publiquement leur soutien à Oscar Wilde. Les reporters du Matin et du Gaulois s’empressèrent d’aller interviewer les auteurs cités par Merrill : dans leur grande majorité, ils y opposèrent une fin de non-recevoir. La palme de l’infamie revint sans nul doute à François Coppée, qui s’était pourtant montré très proche de Wilde lors de ses séjours parisiens. Il y répondit par un article particulièrement virulent dans les colonnes du Journal ; furieux de voir son nom associé à cette pétition sans avoir été consulté au préalable, il s’y déclarait prêt à la signer en tant que « membre de la Société protectrice des animaux » !

Nous vous proposons aujourd’hui un choix d’articles relatifs à l’initiative de Stuart Merrill, publiés entre novembre 1895 et janvier 1896 ; nous l’avons illustré de quelques caricatures parues dans la presse française de l’époque. Nous aurons bientôt l’occasion d’évoquer plus longuement les débats qui agitèrent les milieux littéraires au cours de l’affaire Wilde.

Le lecteur curieux d’en savoir plus pourra consulter avec profit l’article de Léon Lemonnier, « La Condamnation d’Oscar Wilde et l’opinion française, » paru dans la Revue mondiale du 15 janvier 1931, ou encore l’anthologie Pour Oscar Wilde, des écrivains français au secours du condamné, Rouen : Association des Amis d’Hugues Rebell / Élisabeth Brunet, 1994, qui réunit une sélection des articles les plus significatifs en faveur de Wilde.
 

MONSIEUR N

 
 

 

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TRIBUNE LIBRE

 

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Paris, 2 novembre 95.
 

Mon cher Deschamps,
 

Une lettre que j’ai reçue hier de M. Robert Sherard, admis à visiter Oscar Wilde dans l’infirmerie de sa prison, me bouleverse de colère et de pitié. « J’ai vu Oscar Wilde, m’écrit-il, il y a quinze jours. Il venait de passer deux semaines à l’infirmerie et avait l’air terriblement malade. Il me dit qu’il ne comptait pas vivre encore longtemps ; je ne puis m’empêcher de partager ses craintes. Il lui est impossible de digérer la nourriture qu’on lui donne, et il souffre d’une continuelle insomnie. Cela surpasse en horreur, me dit-il, tout ce que j’ai jamais imaginé. »

M. Sherard ajoute qu’en réponse à ses propres instances auprès de hauts personnages, il lui a été déclaré qu’Oscar Wilde ne serait libéré que s’il devenait fou ou tombait mortellement malade. Dernier détail : le prisonnier n’est autorisé à recevoir qu’une fois par trimestre une lettre de sa femme, qui s’est montrée admirable de confiance et de constance.

Voilà donc un grand artiste qu’on s’ingénie à tuer en secret, non pas par dégoût d’un vice que lui a peut-être menteusement imputé une bande de gitons, mais par haine de cette Beauté dont il fut, dans sa vie comme dans ses écrits, l’apôtre, et dont il est, après Byron et Shelley, le martyr. La preuve absolue de ce que j’affirme, c’est que les noms des gentlemen impliqués dans la même affaire ne furent jamais divulgués.

Pourquoi ? Parce que lesdits gentlemen vont à l’office tous les dimanches, s’abstiennent soigneusement de la moindre pensée, et lèchent les bottes de lord Salisbury aussi fervemment que les faces des petits télégraphistes, tandis qu’Oscar Wilde s’est déclaré anarchiste, a lardé de ses épigrammes la Bêtise accroupie lourdement sur Londres, et n’a cessé de chanter le grandiose paganisme du siècle de Shakespeare.

N’est-il pas temps que les écrivains de France et d’Angleterre réagissent, par une éclatante protestation, contre l’hypocrisie bourgeoise qui les menace de nouveau dans les deux pays ? Sommes-nous donc tous des lâches devant le mouchoir de Tartuffe et l’éventail de Mrs Grundy ? Ceux-là même qui refuseraient de secourir Wilde agonisant, échapperont-ils à l’immonde soupçon de craindre les accusations qui ont perdu leur confrère ?

Malheureusement, la protestation d’écrivains encore mal connus du public européen n’aura aucun poids auprès de ceux qui ont entre leurs mains le sort du prisonnier. Il faudrait qu’une pétition fût rédigée et signée par d’illustres chefs de file, tels ceux-ci que je cite au hasard : Zola, Daudet, de Goncourt, de Heredia, Coppée en France, Swinburne, Owen Meredith, Thomas Hardy, Henry James, William Black en Angleterre. Cette pétition devrait être rédigée en des termes tels que ceux qui croient à la culpabilité d’Oscar Wilde, mais qui estiment sa punition suffisante, pussent la signer. Les courageux articles d’Octave Mirbeau, de Henry Bauër, de Paul Adam, de Hugues Rebell, n’ont amené aucun résultat pratique, parce qu’ils furent le fait d’écrivains isolés et trop visiblement apologistes.

J’adresse donc une invitation publique aux hommes célèbres que j’ai désignés à s’occuper du sort d’un poète livré seul (malgré que d’autres fussent coupables) à la vindicte de notre éternel ennemi, le Bourgeois. J’attends leurs réponses dans le prochain numéro de la Plume. Puisse M. Zola se faire pardonner d’avoir refusé de signer la pétition en faveur de Jean Grave, en récusant, cette fois-ci, toute solidarité avec Joseph Prudhomme.

Bien à toi,
 

STUART MERRILL.
 

 

 

(in La Plume, littéraire, artistique et sociale, septième année, n° 158, 15 novembre 1895)

 
 
 

LA QUINZAINE

 

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TRIBUNE LIBRE

 

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L’AFFAIRE OSCAR WILDE

 
 

Comme suite à l’appel du poète Stuart Merrill publiée à notre précédent fascicule, la lettre qui suit sera adressée aux écrivains français dont le nom figure plus bas :
 
 

Cher Maître,
 

Pour éviter toute perte de temps et des démarches inutiles, auriez-vous l’obligeance de nous répondre en un mot si vous consentez à signer une pétition ainsi libellée en faveur d’Oscar Wilde :
 

À Sa très excellente Majesté la Reine
 

Madame,
 

Les soussignés, agissant uniquement au nom de l’humanité et de l’art, sans se préoccuper de la culpabilité du condamné, seraient heureux de voir accorder à M. Oscar Wilde une grâce complète, sinon une large commutation de peine.

Nous sommes, avec la plus profonde vénération, Madame, de Votre Majesté, les très respectueux serviteurs.
 

Cette pétition ne sera soumise qu’à MM. Barrès, Bourget, Brunetière, Cherbuliez, Coppée, Daudet, France, de Goncourt, Halévy, de Heredia, Lemaître, Mallarmé, Meilhac, Richepin, Sarcey, Sardou, Scholl, Sully Prudhomme, de Vogüé, Zola, et ne sera remise au Secrétaire d’État pour l’Intérieur à Londres, en même temps que la pétition des écrivains anglais, que si nous réunissons la majorité absolue des signatures sollicitées.

Nous avons motivé la pétition en des termes aussi larges que possible : 1° au nom de l’humanité, parce que, d’après les témoignages publics et privés, M. Oscar Wilde est gravement malade ; 2° au nom de l’art, parce que sa mort possible priverait les lettres d’œuvres dont le passé littéraire de l’auteur garantit suffisamment la valeur.

Si, dans ces conditions, vous consentez à nous prêter le précieux appui de votre nom, veuillez nous fixer le jour et l’heure où nous pourrions vous soumettre la pétition.

Veuillez agréer, cher maître, l’assurance de notre haute considération.
 

LÉON DESCHAMPS.                                                                                                                        STUART MERRILL.
 
 
 

 

 

(in La Plume, littéraire, artistique et sociale, septième année, n° 159, 1er décembre 1895)

 
 
 

OSCAR WILDE

 

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LES LITTÉRATEURS DEMANDENT SA MISE EN LIBERTÉ

 

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Notre enquête – La libération du prisonnier – Plusieurs cloches et plusieurs sons – La pétition sera-t-elle signée ? – Le « hard labour. »

 
 

On a annoncé que le directeur d’un journal littéraire, la Plume, allait prendre l’initiative d’une pétition en faveur d’Oscar Wilde, sur l’initiative d’un poète américain, M. Stuart Merrill.

Il s’agit d’obtenir la signature des hommes qui, en France et en Angleterre, se sont fait une célébrité dans la littérature de ce temps. Le journal qui, le premier, a annoncé cette nouvelle, a déclaré qu’on espérait ainsi obtenir une libération anticipée du prisonnier qui, en ce moment, expie cruellement dans le hard labour les extravagances de son imagination.

Nous avons pensé qu’il serait intéressant de faire à ce sujet une rapide enquête parmi les hommes de lettres français les plus illustres, dont les noms mêmes avaient été prononcés, à propos de cette pétition.
 

M. A. Daudet hésite.

 

Nous n’avons pas eu la chance de rencontrer M. Émile Zola, momentanément absent, mais voici ce que nous a déclaré M. Alphonse Daudet :

« Avant tout, je désire savoir en quelle compagnie il me sera possible de manifester. Certes, il n’y a pas de douanes au pays des lettres, mais c’est justement pour cela qu’il est indispensable de connaître ses compagnons. Je ne puis, à ce sujet, donner de suite, avec la précision que vous demandez, une opinion certaine. J’ai connu Oscar Wilde ; il est venu me voir durant ses voyages en France. C’était incontestablement un homme de talent. Mais sa vie a été répugnante, elle désarme même la pitié. Néanmoins, il y a une longue distance entre le châtiment et la torture. Contre la torture, il est permis à tous de protester. Mais qui peut dire que nos protestations serviront à quelque chose ? Les Anglais n’aiment pas beaucoup qu’on se mêle de leurs affaires. Je crains bien que cette protestation des hommes de lettres français n’aille contre le but même qu’on se propose et n’aggrave au contraire la situation du prisonnier. Oscar Wilde est un malheureux détraqué. J’ai horreur de ses actes, mais à quoi bon aggraver inutilement ses souffrances ? »
 

M. Sardou refuse.

 

Nous sommes allé ensuite trouver M. Victorien Sardou.

« C’est une boue trop immonde, nous a-t-il dit, pour que je m’en mêle, de quelque façon que ce soit. Il vient de la pitié pour ce malheureux. Mais les vices odieux dont nous voyons autour de nous le développement m’indignent. Je ne veux même pas m’occuper une seconde de tout cela. Cela ne nous regarde pas. »
 
 

 

M. Barrès se réserve.

 

C’est ensuite à M. Barrès que nous nous sommes adressé.

« J’ai, en effet, connu Oscar Wilde, nous dit-il. Dans un voyage à Londres, j’avais été mis en rapport avec lui par le peintre Burn-Johnes [sic] et M. Harris, le directeur de la Revue du XIXe Siècle (Nine teath Centary Review) [sic]. Quand Oscar Wilde vint à Paris, je le reçus avec politesse, et je l’invitai à déjeuner chez Voisin. J’avoue qu’il ne me plaisait pas. Il avait une tournure d’esprit particulière, qui d’ordinaire, chez les commis voyageurs dans la vie vulgaire, se traduit par la recherche des combles. Il avait beaucoup lu Baudelaire et Barbey d’Aurevilly. Je préfère, et de beaucoup, les esprits plus précis. Son procès a été affreux ; j’en ai lu tous les détails. Devant la précision des accusations, le malheureux s’est écroulé. C’est un fou ; il ne faut pas s’étonner outre mesure de la condamnation qui l’a frappé.

Nous ne pouvons nous étonner de la condamnation qui l’a frappé. Mais, si nous admettons le châtiment, nous ne pouvons admettre la torture.

Seulement, à quoi peut servir notre protestation ? Nous demandons déjà aux Anglais Arton et Cornélius Herz, que penseront-ils de nous si nous leur demandions encore Oscar Wilde ?

Certes, le hard labour est une chose affreuse, mais c’est une affaire anglaise dans laquelle nous n’avons pas à nous mêler. Les Anglais, qui ne veulent pas que le travail des prisonniers fasse concurrence au travail libre, l’ont imaginé pour que les prisonniers ne restent pas inoccupés. Tous les grands écrivains anglais, Dickens notamment, ont protesté contre le hard labour. Cela n’a servi à rien. Serons-nous plus heureux ? c’est douteux. Si réellement la pétition dont on a parlé est soumise à l’approbation des hommes de lettres, je réserve mon adhésion. »
 
 

 

L’auteur d’ « Amants » signera.

 

Nous avons pensé qu’il serait intéressant de clore cette enquête par l’appréciation d’un jeune écrivain. Nous sommes allé trouver celui-là même que le succès vient de consacrer, M. Maurice Donnay, l’heureux auteur d’Amants.

« Je ne sais si cette pétition servira à quelque chose, nous a-t-il dit, mais si on me la soumet, je la signerai avec joie, comme jadis j’ai signé la pétition demandant la mise en liberté de Gégout. Je trouvais tout à fait inique qu’on mît en prison les anarchistes. Oscar Wilde est un anarchiste d’un autre genre. Certes, j’ai une horreur profonde pour ce qu’a fait le poète anglais ; mais la société actuelle, en Angleterre comme en France, est-elle donc assez pure pour pouvoir ainsi non seulement frapper, mais torturer celui qui s’affranchit des règles ordinaires ? J’ai une théorie qu’on trouvera peut-être singulière, mais j’estime que la liberté de chacun doit être complète quand il n’entrave pas la liberté d’autrui. La loi anglaise va plus loin que la loi française ; non seulement elle frappe l’outrage public, mais elle punit le vice. C’est le péché, au fond, qu’on veut punir. Ce serait fort bien si on pouvait nous montrer une société de mœurs absolument pures. Mais on ne nous propose guère pour modèle qu’une hypocrisie parfois répugnante. Je trouve donc qu’il est injuste de faire payer à un seul malheureux toutes les mauvaises mœurs de ce temps.
 

Détraqué.

 

Nous avons transmis fidèlement les réponses qui nous ont été faites, et elles semblent prouver que la pétition en faveur d’Oscar Wilde n’aura pas un très grand succès parmi les littérateurs français.
 
 

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(in Le Matin, « Nouvelles du monde entier, » douzième année, n° 4287, dimanche 24 novembre 1895. Caricatures de Maurice Barrès et de Maurice Donnay parues dans L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 4212, dimanche 8 décembre 1895, et n° 4208, mercredi 4 décembre 1895)

 
 
 

Les prisons d’Oscar Wilde !

 

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Il n’y a pas six mois que ce malheureux est condamné et il en est à sa quatrième prison. Quelles curieuses impressions il pourra écrire quand, dans dix-huit mois, il recouvrera la liberté !

Tout d’abord, on l’a envoyé à Holloway, d’Holloway à Pentonville, de Pentonville à Wandsworth, et maintenant, de cette dernière prison, il vient d’être transféré à Reading, sur la route d’Oxford. Sera-ce sa dernière étape ? On ne sait. Mais on aurait aussi bien fait de le laisser à Wandsworth, où il était à l’infirmerie depuis le commencement d’octobre. À cette époque, en effet, le médecin de la prison constata que Wilde, qui a beaucoup maigri, ne pouvait sans danger être soumis au régime si strict et si rigoureux des prisons anglaises.
 
 

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(in Le Figaro, quarante-et-unième année, troisième série, n° 328, dimanche 24 novembre 1895)

 
 
 

 

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(in Le Gaulois, vingt-neuvième année, troisième série, n° 5674, mardi 26 novembre 1895 ; interview reprise le même jour dans le Journal des débats politiques et littéraires, cent-septième année, mardi 26 novembre 1895)

 
 

 

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(in L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 4201, mercredi 27 novembre 1895)

 
 
 

LA GRÂCE D’OSCAR WILDE

 

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Je sais que j’aborde ici une question fort délicate. Mais, ces questions, je ne les crains pas, celles, surtout, que je puis aborder avec pleine liberté, n’étant pas suspect de parler pro domo. Il s’agit du projet d’une pétition, adressée à Sa Gracieuse Majesté la reine Victoria, par des lecteurs français et anglais, pour solliciter la grâce d’Oscar Wilde. Ce projet qui, d’abord, semblait avoir trouvé un bon accueil dans les milieux littéraires, a été, à l’examen, plus froidement reçu et paraît devoir être abandonné. Les gros bonnets se sont dérobés. Ç’a été un peu l’histoire de la sonnette à attacher au cou du chat. « Idée excellente ! » s’est écrié en chœur l’assemblée des rats. Mais quand il s’agit de la mettre à exécution, serviteur.

Quand Oscar Wilde fut condamné pour les faits que l’on sait, l’opinion, en France, fut à peu près unanime sur l’affaire. Personne, ouvertement, n’approuva la vilenie assez ridicule de ses mœurs. C’est tout au plus si des philosophes, d’indulgente hardiesse, firent observer que ces mœurs, condamnables au point de vue social, ne l’étaient peut-être pas au point de vue de la morale individuelle absolue. Pure discussion théorique, d’ailleurs. Tout le monde eût compris et approuvé que, si le scandale causé par M. Oscar Wilde avait été réellement patent, il eût été condamné à quelques semaines de prison. La disqualification sociale qu’entraînait cette peine légère paraissait suffisante pour punir un délit contre la société et son ordre accepté. Mais les légistes philosophes remarquèrent avec raison que ce qu’on prétendait punir en M. Oscar Wilde, ce n’était pas le scandale causé et l’exemple donné, mais bien l’outrage à ce qu’une loi de chez nous, abolie, appelait, de façon vague et périlleuse pour la liberté, « la morale publique et religieuse. » Les gens simplement humains étaient frappés surtout par la disproportion existant entre la faute et le châtiment, cet horrible hard labour qui est pire que notre détention cellulaire, déjà atroce. Tous, enfin, nous fûmes indignés de l’hypocrisie anglaise, prenant un bouc-émissaire des péchés de la nation. Car, j’en suis bien fâché pour les Anglais, mais, en dépit de la géographie, Londres est plus près de Sodome que le Caire ou Naples. Et ces sentiments, ces impressions que nous eûmes à la première heure n’ont pas changé. Je crois plutôt que la pitié est devenue plus forte quand on a su que, ruiné en plus, M. Oscar Wilde se trouvait dans un état déplorable, si bien que la folie ou la mort paraissaient devoir arriver pour lui avant qu’il eût accompli ses trois années [sic] de prison. Pourtant, les lettrés dont le nom eût été le plus utile, indispensable même, à la démarche à tenter, se sont dérobés, malgré l’ordinaire facilité qu’on montre en pareil cas. Pourquoi ? Quelques-uns ont fait observer que la démarche était insolite. Jamais, en effet, il n’est venu à l’idée d’Anglais ou d’étrangers quelconques d’intervenir en faveur d’un homme condamné par les tribunaux de notre pays. Peut-être trouverions-nous à cet acte un caractère d’impertinente indiscrétion. Peut-être même ne ferait-elle que nuire à celui qui en serait l’objet. D’autres ont répondu que les lettrés, justement parce qu’ils étaient des « mandarins, » devaient s’abstenir d’intervenir en faveur d’un homme qui eût été beaucoup plus excusable s’il eût été un pauvre diable ignorant et sans responsabilité. Les aristocraties, fussent-elles seulement des aristocraties intellectuelles, doivent se montrer plus sévères pour leurs membres que pour les hommes placés au-dessous d’elles. C’est une idée équitable. On a dit encore que la pensée de demander la grâce de M. Oscar Wilde était venue d’abord à certains hommes un peu compromis par son intimité ou, du moins, trop enclins à ce paradoxe littéraire à la mode qui consiste à défendre l’étrangeté des mœurs par des raisons d’esthétique qui ne me paraissent pas valoir les vieilles coutumes. Argument sérieux, car j’avoue que, pour ma part, si j’étais disposé à signer la supplique dont on parle, je ne le ferais que si je ne voyais pas, au bas, figurer les noms de certains hommes qu’on peut qualifier d’hypocrites quand on les rencontre avec une femme ! Enfin, – et c’est là une opinion que j’ai rencontrée chez des Anglais, – on peut considérer que M. Oscar Wilde est victime (car il est certainement une victime) non de la tartuferie des Anglais, mais d’une nécessité impérieuse, d’une réaction qu’on ne peut qu’approuver contre les mœurs de la société londonienne. C’est ainsi qu’en 1835, le duel était défendu par les lois anglaises, ce qui n’empêchait pas qu’on se battait tous les jours. À défaut d’un Richelieu, le lord-chief voulut en finir ; et un major de l’armée des Indes ayant, très galamment du reste, tué un de ses amis après une querelle de cabaret, on pendit bel et bien le duelliste. Depuis ce jour, plus de duels. On espérait qu’après la condamnation de M. Oscar Wilde, les petits télégraphistes resteraient sans amis dans la haute société qui les mêlait à ses fêtes.

Pour toutes ces raisons, qui sont d’importance, la supplique risque fort de ne pas réunir assez de signatures et des signatures assez notables pour qu’il soit séant de l’envoyer, ne dût-elle être qu’une manifestation platonique. Ceci, je le regrette. Il ne m’eût pas déplu de voir se créer, en Europe, une sorte d’Internationale des intellectuels et des lettrés. Ceci pourra se retrouver à l’occasion, si un cas se présente, moins délicat que celui dont je parle aujourd’hui. Cette solidarité des penseurs de tous pays serait une force, un incontestable progrès, tout en étant un retour à ce qui a existé déjà, surtout aux seizième et dix-huitième siècles. Il est certain qu’au moment de la Renaissance la patrie idéale des philosophes et des artistes fut une réalité. Il est vrai que le lien fut surtout religieux. Les protestants de tous les pays correspondaient ensemble, agissaient de concert, se solidarisaient et réunissaient leurs efforts. Les frontières n’existaient pas pour Étienne Dolet, Érasme, Mélanchthon, qui avaient de plus, pour correspondre, une langue unitaire, le latin. L’entente, philosophique cette fois, fut plus forte encore au XVIIIe siècle, et les rois se mirent de la partie et s’y prêtèrent. Voltaire, d’une part, correspondait assidûment avec les philosophes anglais, très émancipés dès le siècle précédent, et il était chambellan du roi de Prusse. Grimm et Diderot étaient les correspondants des princesses allemandes, très lettrées, et Diderot avait le titre de bibliothécaire de l’impératrice Catherine, qui lui avait donné à garder… ses propres livres. À cette époque, ce fut la langue française, que tout le monde parlait, qui devint l’instrument de l’unité de pensée. Si la Révolution se vit si aisément accueillie au début par l’Europe intellectuelle, si elle fut saluée par Alfieri, – qui, plus tard, devait écrire son Misogallo, – si Clootz devint citoyen français effectif, tandis que Schiller en recevait le titre, c’est que l’influence française internationale avait été assurée par les philosophes du dix-huitième siècle. Alors, certes, une manifestation en faveur d’un lettré, de quelque nation qu’il fût, eût pu être écoutée, venant des lettrés de pays divers. La situation n’est plus la même aujourd’hui. Les intellectuels mêmes, en chaque pays, vivent fort sur le « quant à soi » et ne se connaissent pas toujours assez. Je crois qu’en cela comme en tout, l’individualisme porte ses fruits. Les penseurs se sentent très près de ceux qui pensent comme eux, quelle que soit la distance matérielle qui les sépare. Les contemplateurs de leur propre nombril, nombreux aujourd’hui, ont forcément un horizon très borné. Je regrette, en ceci encore, comme en bien des choses, l’état d’âme des écrivains des temps passés, qui – sans qu’il en coûtât à la notion respectable du patriotisme étroit – se sentaient concitoyens d’une patrie plus vaste et plus apaisée !
 
 

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(« Nestor, » in L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 1202, jeudi 28 novembre 1895)

 
 

 

UNE PÉTITION

 

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Les dieux m’en sont témoins, – Vénus particulièrement : – j’avais pris la ferme résolution de garder le silence sur Oscar Wilde. À mon modeste avis, la Presse française s’occupait beaucoup trop de cet infortuné, mais très répugnant personnage. Si je me décide à parler de lui, c’est que l’on m’y force.

Une pétition en sa faveur, adressée à la reine Victoria, fait, depuis quelques jours, le tour des journaux, et j’apprends, non sans surprise, que cette pétition sera, sans aucun doute, revêtue de ma signature.

Peut-être la civilité puérile et honnête aurait-elle exigé qu’on me consultât, avant d’imprimer mon nom tout vif et ceux de quelques-uns de mes plus illustres contemporains sur la liste des écrivains français qui prétendent intercéder auprès de Sa Gracieuse Majesté pour obtenir, sinon la grâce complète d’Oscar Wilde, au moins une atténuation de sa peine. Mais, pardon ! je retarde. Nous ne sommes plus au temps de la courtoisie et des égards. On s’est dit, tout simplement : « Coppée est bonhomme. Il signera. Marchons. » Je suis bon enfant, en effet, et je veux bien excuser les gens pressés. Néanmoins, le procédé manque de correction.

Si demain – malgré l’invraisemblance du fait – on fourrait à Mazas un certain nombre de députés panamistes, je serais très mortifié, croyez-le bien, qu’on annonçât que je fais des démarches actives pour qu’ils bénéficient d’une ordonnance de non-lieu. Si les sans-patrie – tout est possible – se prenaient d’attendrissement, un de ces jours, pour l’ex-capitaine Dreyfus, et se mettaient à gémir sur son sort, rien ne me serait plus désagréable que de voir mon nom compromis dans cette affaire, sans ma permission expresse. C’est convenu, je suis plein de clémence et de miséricorde ; mais, avant d’accorder mon absolution, je désire qu’on vienne faire un petit tour à mon confessionnal.

Et, d’ailleurs, il y a des cas réservés.

Liquidons tout de suite celui d’Oscar Wilde.

Sincèrement, je trouve, avec tous les gens raisonnables, que le supplice qu’on lui inflige est excessif et cruel. Le malpropre esthète était très suffisamment châtié, selon moi, par la seule sentence de ses juges, qui le couvrait de déshonneur et – par-dessus le marché – de ridicule. J’imagine que, si l’on s’est montré, là-bas, à ce point sévère pour lui, c’est qu’on a voulu faire un exemple et arrêter les progrès d’un vice abominable, qui – me suis-je laissé dire – tend à se répandre en Angleterre. Je consens à plaindre Oscar Wilde, comme bouc émissaire ; mais les souillures dont il est chargé m’inspirent autant d’horreur que de dégoût.

Cependant, j’avais frémi en lisant le récit de ses souffrances ; et, lorsqu’on parla de la pétition, – encore une fois je passe condamnation sur le sans-gêne des pétitionnaires, – je me suis demandé si je la signerais ou non, et je me le demande encore aujourd’hui.

Mon premier mouvement – on dit que c’est toujours le bon – fut celui de la pitié quand même. Deux vers d’un vieux poème d’opéra chantèrent dans ma mémoire :
 

Il est homme, il est malheureux.

Ne m’en dites pas plus ; le reste est inutile.

 

Et je me rappelai aussi l’admirable épisode de la Légende des Siècles, où le sultan Mourad va droit au ciel, bien que chargé de toutes sortes de crimes, parce qu’il est mort un instant après avoir chassé les mouches qui irritaient la plaie béante d’un porc fraîchement égorgé. Entre nous, le souvenir de l’animal secouru par le sultan Mourad me paraissait même tout à fait opportun.

J’en étais là, quand voici qu’on publie le texte de la pétition. Il m’étonne, et je me mets à réfléchir. C’est « au nom de l’Humanité et de l’Art » qu’on implore la grâce d’Oscar Wilde. En ce qui concerne l’Humanité, nous sommes d’accord, bien que le mot « animalité » m’eût paru plus exact. Mais l’Art ?

Qu’est-ce que l’Art vient faire ici ?

Oscar Wilde a peut-être du génie. Comment le saurais-je ? J’ignore la langue anglaise. Il y a bien une traduction, toute récente, d’un de ses ouvrages, le Portrait de Dorian Gray, et des gens de goût m’assurent que ce conte fantastique n’est pas sans mérite. Mais, depuis que des voyageurs et des polyglottes m’ont affirmé qu’Edgar Poe écrivait médiocrement et ne devait son succès en France qu’à la version de Baudelaire, je ne sais plus que penser. Ce que je sais fort bien, par exemple, c’est qu’Oscar Wilde – avant ses malheurs – était absolument inconnu chez nous. Il avait pourtant déjà fait un séjour à Paris et il y avait laissé le souvenir d’un insupportable poseur, voilà tout. Depuis son aventure, – n’insistons pas sur cette ignoble histoire, – depuis son aventure seulement, il a été promu homme de génie.

Convenez que c’est bizarre, tout de même.

Mais va pour le génie ! En quoi le talent d’un écrivain excuse-t-il des actes qui – à tort ou à raison – sont punis par les lois de son pays ? En quoi le châtiment qu’il subit, si exagéré, si injuste, si affreux que soit ce châtiment, exciterait-il ma pitié plus que s’il était appliqué à tout autre coupable ? On va me trouver, aujourd’hui, bien égalitaire. Mais, si j’ai de l’indulgence pour les aberrations de la chair, je la dépenserai plutôt en faveur d’une brute de forçat ou d’un misérable matelot embarqué sur quelque navire baleinier pour une longue campagne, qu’en faveur de ce poète pourri. Il a, moins que bien d’autres, le droit d’invoquer les circonstances atténuantes. Tout ce que ses avocats peuvent plaider, c’est l’état morbide, la manie érotique. Eh bien ! il y a des asiles pour les fous. Apportez-moi un papier où vous proposeriez de mettre cet aliéné à Bedlam, je suis prêt à signer à tour de bras.

Je n’ignore pas que, depuis Lombroso, nous sommes tous des irresponsables, des malades et des déments, qu’il n’y a plus ni crimes, ni délits, ni vices, ni quoi que ce soit, et que les scélérats et les dépravés méritent les plus grands ménagements. Admirable théorie, qui n’est impitoyable que pour les victimes ! Complétons le physiologiste italien par le critique allemand ; lisons Max Nordau, et nous apprendrons que ceux de l’élite intellectuelle sont précisément descendus au pire degré de la dégénérescence. Et, alors, en bonne logique, la société idéale serait une immense maison de santé, où les tribunaux seraient remplacés par des commissions médicales, le Code par le Codex, et l’amende et la prison par le bromure et les douches.

Dans un tout autre sens que ces divagations scientifiques, moi, j’irai plus loin et j’accorderai que, peut-être bien, l’homme, en effet, n’est pas libre, et que, devant une justice supérieure, absolue, qui plane au-dessus de nos misères, il se peut qu’il n’y ait plus de coupables, ni d’innocents. Mais nous sommes ici en plein rêve. Or, avant tout, il faut une société habitable. Que ceux qui sont d’avis de supprimer la gendarmerie veuillent bien lever la main.

Pour revenir à la pétition en faveur de l’esthète, il est facile d’en prévoir l’effet sur l’opinion dans cette puritaine et traditionnelle Angleterre, où l’on ne touche pas à des lois datant de Marie la Sanglante. On n’obtiendra rien dans l’intérêt du prisonnier, et un cri d’hypocrite indignation s’élèvera de toutes parts contre l’immoralité française. Avant de compromettre, au-delà de la Manche, le bon renom de mon pays, où la législation plus sage pousse le mépris de pareilles turpitudes jusqu’à les ignorer, dame, j’hésite.

Hélas ! faut-il que nous soyons entichés d’exotisme pour n’avoir pas attendu une meilleure occasion de manifester nos sympathies internationales ! Il n’en manque pourtant pas, chez nous, et à l’étranger, d’injustices scandaleuses, de malheurs faits pour arracher des larmes. D’où vient donc la préférence malsaine qui passionne certains esprits pour cette histoire fangeuse, pour ce martyr abject ?

En vérité, nous ferions mieux de laisser là cette sale affaire. Le drame n’est pas intéressant. Cela manque trop de femmes.

Faut-il, quand même, signer la pétition ? La loi qui a frappé Oscar Wilde est barbare, la torture qu’il subit est atroce. Je suis ému en songeant à tout cela, comme je le serais devant une bête qui souffre. Allons ! Qu’on me donne une plume et de l’encre. Mais, sous mon nom, je prétends inscrire le seul de mes titres qui convienne à la circonstance :

« Membre de la Société protectrice des animaux. »
 
 

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(François Coppée, in Le Journal quotidien, littéraire, artistique et politique, quatrième année, n° 1159, samedi 30 novembre 1895 ; repris dans Mon Franc-parler, quatrième série (mars 1895-janvier 1896), Paris : Alphonse Lemerre, 1896)

 
 
 

 

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Caricature de François Coppée parue dans L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 1213, lundi 9 décembre 1895

 
 

 
 

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(A. A., « Mon Almanach, » in La Vie parisienne, trente-troisième année, n° 48, samedi 30 novembre 1895. Cet article à charge sera évoqué plus loin par Stuart Merrill dans son « Épilogue » et suscitera les foudres d’Albert Olivier dans L’Art Wallon ; l’auteur, qui signe des initiales A. A., n’en était pas à son coup d’essai, puisqu’il avait déjà éreinté Oscar Wilde quelques mois plutôt dans l’entrefilet que nous reproduisons ci-dessous)

 
 

 
 

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(A. A., « Mon Almanach, » in La Vie parisienne, trente-troisième année, n° 15, samedi 13 avril 1895)

 
 
 

EN FAVEUR D’OSCAR WILDE

 

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La vérité est qu’il y a dans le peuple beaucoup moins de corruption que dans la classe bourgeoise et que s’il fallait pendre tous les gens du monde ayant des mœurs dissolues, on ne trouverait pas assez de cordes chez les fabricants.

Mais faut-il les pendre ? D’aucuns estiment qu’on ne doit pas même les emprisonner et c’est poussés par ce sentiment qu’ils font signer en ce moment une pétition, tendant à l’élargissement de M. Oscar Wilde.

On n’a pas oublié l’émotion qui s’empara du public à l’annonce du châtiment barbare infligé à cet écrivain anglais, coupable de trop mépriser les femmes. Certes, Oscar Wilde n’était pas intéressant ; mais on trouva que la peine qu’on lui faisait subir était disproportionnée avec la faute commise. Et l’on voulut voir, avec raison, dans la sévérité des juges londoniens, moins le désir de satisfaire la justice que celui de dissimuler la corruption anglaise.

Et puis, ce n’était pas seulement d’Oscar Wilde qu’il s’agissait, mais du hard labour dont les journaux publièrent à ce sujet des articles indignés. « Comment, disaient-ils, est-il possible d’admettre qu’à la fin du XIXe siècle, un peuple qui se prétend civilisé traite les prisonniers avec une barbarie pareille ! »

Cette indignation, d’ailleurs légitime, dura quelques jours, puis on n’y pensa plus et les prisonniers anglais continuèrent à faire tourner leur roue comme devant et à s’ensanglanter les doigts en effilochant des câbles.

Mais voici que, par sa faillite, Oscar Wilde revient au jour de l’actualité, et de bonnes âmes en profitent pour demander à la vieille Victoria la grâce du condamné.

J’avoue que je ne comprends pas trop bien cet excès de sensibilité. Il me paraît, en effet, que puisqu’on faisait tant que de faire appel aux écrivains anglais et français, on aurait pu se servir de leur signature, non pour demander la grâce d’Oscar Wilde, mais pour essayer de faire cesser les traitements ignobles infligés aux prisonniers anglais. À cela, tous les hommes dignes de ce nom se seraient prêtés volontiers ; tandis que beaucoup trouvent inutile de se déranger pour rendre Oscar Wilde à ses amours étranges.
 
 

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(Jacques Marmande, in Le Petit Troyen, journal quotidien républicain démocratique régional, quinzième année, n° 5698, lundi 2 décembre 1895)

 
 
 

CHRONIQUE

 

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Voici qu’on parle encore de M. Oscar Wilde. Cette fois, on doit en parler sans sourire, car il ne s’agit plus d’apprécier le paradoxe de ses mœurs néo-grecques. Il paraîtrait que son état de santé est devenu inquiétant. L’autre jour, il a comparu en justice pour entendre proclamer sa faillite, c’est-à-dire l’achèvement de sa ruine et sa déchéance sociale en un pays où l’argent reste la plus sûre garantie de la respectability. Les personnes qui assistaient à l’audience ont à peine reconnu en ce pauvre diable miné de fièvre, à demi inconscient, le gros garçon qui, lors de son séjour à Paris, avait montré, sous des dehors affectés de littérature ultra-esthétique, un naturel plutôt bon enfant, et qui s’est perdu à Londres, on peut le dire, par l’ingénuité de son aplomb. Le dur régime de la prison, le cruel Hard Labour ont vite triomphé de sa résistance physique et morale.

À cette heure, sa vie même, si on n’apporte aux rigueurs de son « expiation » certains tempéraments, serait en danger. C’est à la suite de ces révélations que des lettrés français et anglais ont eu l’idée d’adresser une pétition à la reine Victoria pour solliciter de « sa gracieuse majesté » la grâce d’Oscar Wilde. Encore que le sujet soit assez délicat à traiter, on peut le traiter, je crois, librement et avec sérieux. Il suffit d’y ajouter – ce qui n’exige pas grand effort – un intérêt purement philosophique.

L’initiative de cette pétition en faveur d’Oscar Wilde a été prise par une petite revue d’avant-garde, la Plume, qui se publie au quartier Latin, en plein foyer de la jeunesse travailleuse, généreuse et orthodoxe en ses amours, même en ses fredaines. Avec cette décision, ce courage et cette logique de la jeunesse qui, pour être un peu étourdis, n’en ont que plus de mérite, on a donc rédigé une belle pétition au nom de « l’humanité et de l’art, » et on s’est mis en campagne pour recueillir des signatures autorisées. C’est ici que les choses ont cessé d’aller toutes seules. Plusieurs des écrivains qu’on pensait enrôler ont fait grise mine et battu en retraite.

M. Alphonse Daudet a exprimé le désir de savoir au préalable en quelle compagnie il manifesterait, réserve des plus légitimes, des plus respectables, mais qui marque une totale absence d’emballement évangélique ! M. Sardou, toujours nerveux, a déclaré que cela ne « le regardait pas. » M. Maurice Barrès, en dilettante, a conclu que la pétition ne servirait probablement à rien ; qu’ainsi il était assez inutile de la signer et qu’au surplus Oscar Wilde, « qu’il avait invité à déjeuner chez Voisin, » ne lui avait pas plu, avec ses allures de commis-voyageur baudelairien.

M. François Coppée consentirait à signer, mais par un sentiment de pitié à la fois lyrique et assez méprisant, en tant que « membre de la Société protectrice des animaux » ! Ceci ne laisse pas que d’être dur pour l’esthète qui se promenait dans les rues de Londres, un lys à la main ! Mais ce mauvais compliment, l’esthète se l’est attiré par le contraste vraiment excessif qu’il a mis entre l’idéalisme de ses rêves et les réalités médiocres et malséantes de sa vie. En somme, je n’ai vu d’adhésion franche à la pétition que celle de M. Maurice Donnay : il l’a motivée en faisant observer toute l’outrecuidance et l’hypocrisie qu’il y avait de la part de la société anglaise à prétendre punir, non pas même le vice, mais le péché, alors que ses mœurs ne l’autorisent pas à des sévérités pareillement exemplaires. La thèse de M. Donnay et son audace à la soutenir ont un même charme : c’est le cri de guerre d’un gai Parisien contre les pharisiens tristes et féroces. Mais ce cri risque de n’éveiller que de rares échos, et le projet de pétition, si froidement reçu à la ronde, a des chances assez fortes d’avorter.

Philosophiquement, je crois qu’il est permis d’en éprouver quelque regret. Non pas qu’on doive méconnaître la valeur des objections qui ont été présentées à cette démarche naïvement humanitaire ; ces objections ne se résument même pas, comme on pourrait le supposer d’après quelques-unes des réponses que j’ai rapportées, à la peur de se compromettre, à la préoccupation religieuse de la morale bourgeoise, à l’indifférence d’un égoïsme transcendental, professionnel et didactique. Il en est de plus sévères et de plus hautes que j’aurais voulu voir préciser par quelques-uns des écrivains réfractaires à cette intervention en faveur d’un malheureux détraqué, notamment par M. Barrès, qui a, de par le monde, renom et pignon sur rue de moraliste.

On peut dire d’abord que la sévérité de la peine portée contre M. Oscar Wilde s’explique par une nécessité urgente et catégorique de réagir contre les mauvaises mœurs d’une partie de l’aristocratie anglaise. Ainsi, chez nous, Montmorency-Boutteville paya sous Richelieu pour tous les duellistes qui se coupaient la gorge, moins par goût particulier que pour obéir à la mode. C’est là un argument d’ordre pratique et social. On peut en invoquer un autre, d’ordre si l’on veut métaphysique, mais qui a bien plus de force et de profondeur. On peut dire que, dans le siècle où nous sommes, alors que tant de croyances dogmatiques entrent et disparaissent dans la nuit, c’est aux aristocrates de l’intelligence de préparer par leur exemple les voies d’une morale sans sanction, simplement et noblement humaine, et que ceux qui manquent à ce devoir de l’exemple doivent être plus rigoureusement punis dans la mesure même de leur supériorité intellectuelle et de leur responsabilité. Mais ce sont là des rêveries de moraliste, tout au moins des vues théoriques, qui ne sauraient prévaloir contre ce fait qu’un homme jeune, et hier encore dans tout l’éclat de son talent, vieillisse de jour en jour en l’enfer d’une prison où ses yeux de poète visionnaire voient grandir et grimacer autour de lui les ombres de la folie ou de la mort. Pour le délit commis, pour le scandale causé, délit individuel, scandale anodin en soi parmi une société aussi corrompue que celle de Londres, et que la publicité des débats a pu seule aggraver, une peine légère suffisait, pourvu qu’elle fût infamante. La torture est de trop, et, quand il se peut qu’elle précède l’agonie, elle doit faire horreur. Je ne veux nullement réhabiliter M. Oscar Wilde. Tout au plus dois-je faire observer qu’il y a dans son cas pas mal de littérature, et que chez cette race anglo-saxonne instinctivement brutale, il en est beaucoup à qui le vin du banquet de Platon, versé dans une coupe d’or, a tourné la tête jusqu’à la plus fâcheuse et ridicule ivresse. Mais ce qui emporte tout, c’est que ce pauvre fou, aux mains de ses bourreaux légaux, paie de sa vie l’ignominie d’une aristocratie et l’hypocrisie de toute une race. M. François Coppée – qui signera la pétition – prédit qu’ « on n’obtiendra rien et qu’un cri d’indignation s’élèvera en Angleterre contre l’immoralité française. » Voilà tout justement ce qui est tentant, et pourquoi il faut signer. Voltaire n’aurait pas hésité, ni, sans doute, le poète de la Pitié Suprême. N’est-ce pas assez pour décider M. Barrès ?
 
 

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(Marcel Fouquier, in Le XIXe Siècle et Le Rappel, n° 9398, mardi 3 décembre 1895 [13 frimaire an 104])

 
 
 

 

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« L’art pour l’art, théorie pratique d’Oscar Wilde, » caricature d’Édouard Pépin [Claude Guillaumin] parue à l’occasion du procès Wilde, en première de couverture du journal satirique Le Grelot, vingt-cinquième année, n° 1253, 14 avril 1895

 
 
 

ÉCHEC AUX PHARISIENS

 

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Pour Monsieur Henry Bauër.

 
 

Lorsque, sous une impulsion manifestement divine, les uns suscités par Minerve, les autres conduits par l’Esprit saint, chrétiens et libres-penseurs du Royaume-Uni, émus en faveur d’Oscar Wilde et tournés vers Paris, appelèrent au secours de leur bonne action la magnanimité française, quelque chose de meilleur que l’usuelle débonnaireté, cette Pitié suprême dont Hugo blasonna les prophètes et les martyrs répondit à leur invocation.

Stuart Merrill, que des affinités de race donnent pour compatriote à l’auteur de Dorian Gray, tandis que ses nobles vers enrichissent d’incomparables mélodies le trésor des Rimeurs gaulois, Stuart Merrill, artisan d’actes généreux aussi bien qu’ouvrier sans défaut ès besognes lyriques, a pris l’initiative. Il s’est fait, chez nous, le promoteur de la bonne entreprise de ce retour vers la justice, la raison et l’humanité.

Par son zèle, une pétition quémande l’élargissement pur et simple du captif à Sa Gracieuse Majesté. Mais par quel moyen toucher le cœur de la vieille reine sous la triple cuirasse du piétisme, de l’âge et du pouvoir ? Un mouvement d’opinion, sans doute, la prière des plus notables parmi ces écrivains de France dont l’univers entier adopte les écrits.

La liste de Stuart Merrill se couvre de noms illustres, les plus grands, les plus purs entre les maîtres de la langue, tenant à honneur d’y poser leur seing.

Le doux François Coppée, sachant par le menu ses devoirs de paternel bonhomme, ne réserve point son patarafe, cher aux instituteurs. Néanmoins, et pour conserver ses relations amicales avec le fruitier du coin, il ne retient de « ses titres » que celui de « membre protecteur » à la Société Uhrich ! D’ailleurs, Oscar Wilde, infortune à part, ne l’intéresse guère. Vous concevez sans peine qu’un poète aussi béni que le père du fameux alexandrin :
 

Une pendule avec Napoléon dessus,
 

ne saurait prêter qu’une attention vague aux sombres et magnifiques lamentations de Dorian Gray.

Un autre académicien, Sardou, le macrobite, se déclare franchement scandalisé d’une pareille commisération. Voilà son opinion, car il opine, le monsieur indestructible, voilà son opinion de couturier achalandé pour théâtres de genre, de tapissier en camelote historique, de plagiaire accroupi, depuis cinquante ans, sur les œufs d’autrui. Je crains bien aussi que d’autres encore aient glissé quelque restriction pudibonde et sapientale. Toutefois, ils signeront la pancarte, ce qui est le point essentiel.

Une si belle entente de personnes communément désunies trouve son explication dans les affres sans nom que subit l’Esthète en son cachot.

Ne pouvant, sous les yeux de la presse et devant la curiosité européenne, renouveler pour son ancien favori le pal incandescent d’Edward II, la société anglaise fait expier au Benjamin déchu l’engouement grotesque, le « béguin, » si j’ose dire, dont il fut, depuis son adolescence, l’incompréhensible objet. Ainsi la Pudeur anglicane rachète ses égarements.

D’accord avec la tradition biblique, elle choisit une hostie propitiatoire, un bouc d’iniquité chargé d’assumer, devant le Siècle et les Gentils, ses hontes mystérieuses, ses lèpres inavouées.

Elle punit aussi le pauvre Esthète de l’avoir admiré jadis.

Tant d’imitations idolâtres, de complaisances abjectes, tant de louanges serviles, à présent, se dressent contre lui.

Platitude, frivolité, snobisme, la tourbe des valons fait expier au vaincu tous ses ridicules et toutes ses erreurs. Le tournesol qu’implanta chez les belles préraphaëlistes son caprice indiscuté ne tourne guère vers le soleil couchant. Et c’est pourquoi les gens à la mode font pénitence de leur enthousiasme passé en reniant à l’envi leur infortuné modèle. Oscar Wilde, au surplus, se montrait dédaigneux, élégant et neuf en toutes ses manières. Des femmes l’adoraient. N’était-ce point assez pour qu’au premier faux pas, à la défaillance qui, pour toujours, le séparait du monde factice et triomphal auquel sa volonté donnait des lois, n’était-ce point assez pour ameuter contre lui toutes les haines, toutes les hypocrisies, toutes les vanités que tourmenta, si longtemps, son orgueilleux bonheur ?

Aussi, nulle peine assez dure pour un tel coupable, nul châtiment assez infâme, nulle croix assez pesante, nulle vindicte assez implacable, nul bourreau assez expert. Une cruauté d’Apache dose les tourments du forçat, le contraint d’user ses doigts saignants sur la corde goudronnée, dans le silence d’un éternel cachot.

Non ! Pellico lui-même, sous les plombs de Venise, n’endura pas de telles horreurs. Il faut le génie atroce, la cruauté systématique de marchands bigots pour atteindre ce faîte d’inclémence, pour organiser ainsi le rythme quotidien de la méchanceté.

Les gens de négoce ne savent aimer ni compatir. Et ce lent assassinat d’un admirable artiste ne trouble aucunement la sérénité des philistins de Londres, ruminant à leurs comptoirs.
 

*

 

Pourtant, quel crime a-t-il commis, cet Oscar Wilde, si longtemps fêté ? Ne pourrait-on, sans courroux ni parti pris, émettre quelques réflexions d’où le respect des bienséances n’exclurait pas tout à fait la raison et la charité ?

Sa faute, imputable à des causes dont nul docteur, que je sache, n’élucida l’obscurité, sa faute est, peut-être, vénielle entre toutes et la plus excusable aux yeux du moraliste, car le Moi du délinquant y prend la moindre part.

Une fatalité que l’on ne saurait incriminer avec justice, puisqu’elle ne résulte ni d’un choix possible et librement consenti, ni d’une corruption intellectuelle, mais de cet appétit obscur autant qu’irrésistible, Éros, Cupido, « tyran des hommes et des dieux, » courbe l’amoureux pantelant sous le joug des pires concupiscences, ne permettant pas à son esclave de choisir, lui-même, son péché.

De nombreux criminalistes : Lornbroso, Tarde, Lacassagne, Moreau de Tours exonèrent, ou peu s’en faut, le criminel de toute responsabilité, cependant que, d’accord avec leurs prémisses, ils contestent au génie le libre choix de ses créations. Que Dante échafaude la Divine Comédie ; que Passanante ramasse, pour un moderne régicide, le poignard de Chéreas ; que Fra Diavolo emprunte aux touristes leur argent de poche en attendant la serinette d’Auber, ces gens-là subissent tous une même loi de déterminisme, cèdent inéluctablement au mobile le plus fort, résultant de leur complexion.

Cette doctrine a séduit plus d’un philosophe, quelque désolante qu’elle soit, et ses affirmations ne manquent pas de faire paraître maints côtés spécieux.

Eh bien! si nous ne pouvons rien affirmer touchant le mérite ou le démérite ; si le doute reste permis devant les forfaits qui troublent l’ordre naturel aussi bien que le pacte social ; si le meurtrier, le voleur ont quelque chance, malgré leurs œuvres scélérates, de n’être pas incriminés, comment oserions-nous porter un jugement sur la ténébreuse réaction d’organes par quoi les affinités d’amour s’incorporent dans nos sens ?

De toutes les fatalités où l’homme est asservi, la plus humiliante est, sans conteste, l’épilepsie d’une minute chargée de perpétuer l’espèce et qui, selon un mot célèbre, fait Marc-Aurèle égal à son palefrenier. Pourquoi donc prétendre régir cette honte, donner des lois à cette aberration fugitive ?

Encore, si les comportements d’Oscar Wilde avaient été une exception ! À parler franc, rien n’est plus ordinaire dans la civilisation contemporaine. Les coupables seuls ou les jocrisses peuvent feindre quelque ignorance là-dessus.

Je néglige, bien entendu, le trafic éhonté qui se montre ingénument sur le pavé luxurieux des grandes villes : je ne parle pas des cafés hantés par les débauchés hétérodoxes, ni des jardins publics, quand, par les soirs d’été, acacias et vernis jettent dans l’air des pollens aux senteurs animales. Je veux ignorer aussi les bontés des clubs aristocratiques pour les télégraphistes ingénus. Même, je tâche d’oublier ce peuple de Lesbiennes dont pullulent certaines brasseries, ainsi que les tables d’hôte où la langue de veau ne s’accommode pas toujours à la sauce piquante.

Admettons, j’y consens, que le dix-neuvième siècle ait, pour apanage, les plus rares vertus.

Si faible comme il est et proche de la fin, je ne répugne aucunement à louer son impuissance comme une fleur de pureté.

Mais, de grâce, pourquoi tant de fureurs lorsqu’un être artiste, intelligent, assouvit à sa manière la lubricité de son « frère âne » ? Pourquoi tant d’importance à la malpropreté négligeable de celui qui peut donner à ses frères les nobles joies de l’esprit ? Votre horreur du crime antiphysique vous fera-t-il oublier la doctrine et la mort auguste de Socrate ? Jetterez-vous au feu les vers d’Anacréon ? Et l’Alexis de Virgile ? Et Catulle ? Et Martial ? Contesterez-vous la science de Brunetto Latini ou l’esprit de Boisrobert ?

Pourvu que les complices (pour leur donner leur épithète légale) soient d’âge à consentir librement tous deux ; pourvu que le faible soit défendu et l’enfance protégée, ne serait-il pas humain de châtier par le seul ridicule tel demi-fou qui s’attribue l’androgynat ?

Parce qu’un tel malade inspire le dégoût à tout être normal, lui refuserez-vous la pitié que vous accordez cependant au lépreux, à l’idiot, au monstre quel qu’il soit ?

Mais la morale traditionnelle, mais la Convention indestructible n’ont que faire de la justice et, pour affirmer leurs dogmes, sacrifient volontiers des victimes humaines.

Le sacrifice, d’ailleurs, prend une odeur tout à fait agréable au Pignouflisme universel quand le couteau déchire, sur l’autel, un misérable convaincu de poésie, d’élégance ou de beauté.
 
 

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(Tybalt [Laurent Tailhade], in L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 4208, mercredi 4 décembre 1895)

 
 
 

 

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Gil Baer, « Revue comique du mois d’avril, » in La Lanterne, supplément littéraire, deuxième année, n° 901, 2 mai 1895
 
 

Courrier de Paris

 

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L’effroyable torture dont meurt Oscar Wilde a ému quelques âmes d’artistes qui planent au-dessus des ivresses et des misères terrestres. Je ne crois guère à l’efficacité de leur intervention, et la supplique qui se signe en ce moment prendra place un de ces jours dans le Livre des légendes d’Andhré et Jacques des Gâchons. Ce n’est ni un crime ni un délit qu’a frappé la justice anglaise, c’est un péché. Un péché dans quelques pays seulement. En Asie, en Afrique, point. Et, sur notre continent même, un grand empire s’étonne d’une rigueur dont les motifs lui échappent. M. Stuart Merrill trouve à Constantinople une précieuse alliance. La tardive protestation qui ne tardera pas à arriver à Londres par la voie diplomatique pourrait amener une détente de l’opinion et, sinon la grâce complète du pécheur, au moins une charitable atténuation de sa peine.
 

Osman-Edding-Bey, attaché d’ambassade, a bien voulu me laisser prendre une copie de ce document suggestif :
 

« À M. le marquis de Salisbury
 

Monsieur le ministre, Milord,

Les soussignés, représentants de quatre cent millions de fidèles, vous prient de communiquer à votre très gracieuse souveraine la respectueuse protestation des musulmans indignés du traitement imposé par une législation barbare à un remarquable écrivain dont la réputation serait restée intacte, s’il était né à Stamboul ou à Téhéran. M. Oscar Wilde a été condamné pour avoir mené sous d’autres climats la vie de famille en Orient. Les Turcs sont-ils donc le rebut de l’humanité parce qu’ils aiment la jeunesse sans se préoccuper de savoir si l’objet de leur flamme est prénommé Aly ou Namouna ? Virgile ne parlait-il pas du beau Corydon avec autant d’enthousiasme et de passion qu’en mit Ovide à célébrer Julie, fille d’Auguste ?

Quelques particuliers, qui s’affublent de vieilles perruques pour rendre des arrêts odieux et bouffons, flétrissent sous votre ciel enfumé des hommes qui, aux Indes, seraient recherchés du meilleur monde. Sa Très Gracieuse Majesté, la reine du Royaume-Uni, est aussi impératrice des Indes (limited), la souveraine de plusieurs millions de musulmans dont la conscience est révoltée de la condamnation d’Oscar Wilde.

Nos pachas, nos beys, nos effendis n’oseront plus se risquer à visiter la capitale de l’Angleterre par crainte du hard labour. C’est une bravade que de condamner à confectionner des étoupes des hommes naturellement ardents.

Qu’arriverait-il du commandeur des croyants, s’il allait souper à Savoy-Hôtel ? Un long frémissement a parcouru comme un mascaret les plaines et les villes de l’Orient. La Turquie s’est indignée, l’Égypte a tressailli, les Indes ont levé les bras au ciel ; l’influence de l’Angleterre a reçu un coup terrible. L’auteur du Portrait de Dorian Gray, s’il survit à sa peine, pourra venir se fixer sur les rives du Bosphore ; il y aimera et y sera aimé comme nos gouverneurs, comme nos vizirs, comme nos généraux.

Qu’Allah vous ouvre les yeux et vous délivre de vos préjugés !
 

OSMAN EDDIN-BEY,

TABAR-PACHA,

ZIEZ-EFFENDI »
 
 

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(Aurélien Scholl, in L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 1210, vendredi 6 décembre 1895)

 
 
 

POUR OSCAR WILDE

 

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Je prie M. Stuart Merrill de me faire l’honneur d’inscrire mon nom parmi les signataires de la pétition, dont il a pris l’initiative, en faveur d’Oscar Wilde. Même si cet acte public n’obtenait pas gain d’humanité auprès de la reine d’Angleterre, il aurait le résultat de provoquer, autour de la situation de notre infortuné confrère, un mouvement d’opinion.

On ne saurait assez rappeler qu’Oscar Wilde, aux travaux forcés, endure un supplice abominable, que le régime des maisons de force anglaises exige le dépérissement du prisonnier et qu’on le pèse chaque quinzaine afin de mesurer l’intensité de l’épreuve.

La dernière fois où Oscar Wilde a pu être vu, son état de maigreur, de misère et de déchéance physique était si manifeste qu’il est indubitable que M. Stuart Merrill pose une question de vie ou de mort.

Toutes les répressions sont lâches, hypocrites, et cherchent à donner le change sur la nature des châtiments qu’elles raffinent. La vérité, aujourd’hui, nous la tenons des sources les plus sûres, – c’est que si Oscar Wilde n’est pas relaxé prochainement, il mourra sous la géhenne.

La généreuse initiative des hommes de lettres français ne serait pas seulement une preuve de solidarité intellectuelle entre tous ceux qui tiennent une plume : elle permettrait aux littérateurs anglais neutralisés par la peur de l’opinion de s’inscrire à la suite et de participer à la libération du condamné.

Lorsqu’on m’annonça le projet de pétition, il me parut tout à fait sensé et pratique. Je ne m’imaginais pas que le sens en pût être méconnu ou que des littérateurs en possession de la renommée et de la fortune répugneraient à donner leur signature dans la crainte de se compromettre. C’est ainsi pourtant que la manifestation commença ; à part Maurice Donnay et mon ami Lucien Descaves qui se prononcèrent clairement et bravement pour l’humanité, les autres hommes de lettres consultés publiquement ont soit équivoqué en évitant de répondre, soit accablé le prisonnier. Un auteur dramatique, célèbre pour ses acquisitions, a renvoyé le pourceau à son fumier ; un des écrivains les plus distingués du temps a dénié à Wilde talent et esprit : le moment n’était peut-être pas à la critique. Tous enfin se sont inspirés de leur intérêt immédiat et des appréciations ambiantes.

Il ne s’agissait pourtant pas de savoir si l’auteur de Dorian Gray est un écrivain de marque, encore que ce livre me paraisse au plus haut point curieux et d’un art singulier : il n’était proposé à aucun des signataires d’approuver les mœurs des antiphysiques ; on demandait que, par la générosité d’honnêtes littérateurs, Oscar Wilde, coupable de vice socratique, ne mourût pas au bagne supplicié, exténué. Solliciter un acte de clémence, ce n’est pas, que je sache, exalter la coulpe.

N’y a-t-il pas dans cette réserve, cette prudence, un peu de pharisaïsme ? en est-il vraiment qui redouteraient d’être soupçonnés de trop de complaisance ?… Je me rappelle qu’il y a quatre ans à peine Oscar Wilde fut le great event de la saison de Paris. On vantait son talent, son esprit, on le recherchait, on le choyait dans les salons ; des littérateurs organisaient des repas en son honneur. Personne, en ce temps-là, à Paris comme à Londres, n’ignorait ses affinités électives, qui lui avaient déjà valu à Oxford un fâcheux traitement. Tout le monde lui pardonnait ou feignait d’ignorer.

Maintenant qu’il est condamné, affligé, misérable, les plus autorisés se refusent à lui accorder la vie dans un paraphe…

Envoyez-nous la pétition, Monsieur Merrill ; je connais encore vingt hommes de cœur qui la signeront.
 
 

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(Henry Bauër, in L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 4212, dimanche 8 décembre 1895)

 
 
 

 

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(in Gil Blas, dix-septième année, n° 5866, mardi 10 décembre 1895)

 
 

 

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(in La Lanterne, dix-neuvième année, n° 6809, vendredi 13 décembre 1895 ; entrefilet repris de L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 4216, jeudi 12 décembre 1895)

 
 

 

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(in Gil Blas, dix-septième année, n° 5872, lundi 16 décembre 1895)

 
 
 

 

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(in Le Gaulois, vingt-neuvième année, troisième série, n° 5692, samedi 14 décembre 1895)

 
 
 

UNE PÉTITION

 

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Un très grand et fier poète, Stuart Merrill, a pris l’initiative courageuse de lancer une pétition parmi les lettrés, pour obtenir, de la reine d’Angleterre, la grâce d’Oscar Wilde.

Il faut féliciter Stuart Merrill d’avoir osé assumer une si audacieuse et délicate mission.

Pour notre part, nous approuvons énergiquement.

Oscar Wilde est évidemment une victime expiatoire, immolée à l’odieux, à l’exécrable puritanisme anglican. Les Anglais, peuple à la fois angélique et porcin, se sont déshonorés aux yeux des autres peuples, en frappant ainsi cet écrivain.

Qu’Oscar Wilde ait été pris en flagrant délit d’outrage public à la pudeur, on concevrait encore l’intervention toujours saugrenue de la loi, mais avoir condamné à un tel supplice ce malheureux, sur des présomptions et des témoignages douteux d’éphèbes de mœurs non moins douteuses, la honte en demeurera historique, légendaire, irréparable, sur la magistrature anglaise de notre temps.

À ce propos, quelques écrivains français et gens de lettres « interwiewés » sur la question de leur signature à apposer pour renforcer la pétition qui circule, ont saisi cette occasion pour promulguer à la face du monde l’inconcevable, l’inattaquable chasteté de leur rectum.

Il n’était venu à l’esprit de personne de soupçonner la pureté des mœurs de M. Sardou, et il s’est livré à ce sujet à des manifestations aussi inutiles que bruyantes.

Nous aimerions mieux, pour notre part, qu’il soit le plus débauché des hommes et qu’il ait dans ses dramaturgies plus de souci de la forme, du style et des idées, et que son théâtre ne soit pas ce qu’il est, c’est-à-dire la meilleure manière d’escroquer les bons sentiments de la foule crédule.

Quand on aura martyrisé et peut-être tué Oscar Wilde, quel bénéfice en retirera M. Sardou ?

Au fait, mais le cas échéant, ce serait une excellente et profitable fin pour tout le monde. Dame, Oscar Wilde, auteur dramatique, qui manqua d’être joué par Sarah-Bernhardt, Oscar Wilde libéré, referait des pièces, plus que probablement jouées sur des scènes françaises, et alors il faut éviter la concurrence commerciale possible.

Indignons-nous, Messieurs, contre les mœurs infâmes !
 
 

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(Jehan Rictus, « Banderilles, » in L’Aurore parisienne illustrée : littéraire, artistique, politique, mondaine, première année, n° 3, 20 décembre 1895)

 
 

 

P. S. — Il y a quelques semaines, je conviai mes lecteurs et mes amis à signer une pétition pour un adoucissement de la peine d’Oscar Wilde, dont avaient pris l’initiative M. Stuart Merrill et M. Deschamps, directeur de la Plume. Nombre d’hommes de lettres connus me firent savoir qu’ils étaient de compassion avec moi et qu’ils intercéderaient de leur signature en faveur du malheureux condamné.

Mais la supplique ne fut remise ni à moi, ni à personne. Peu après, je reçus une lettre fort obligeante de M. Stuart Merril, m’indiquant qu’elle n’avait plus d’objet, – Oscar Wilde ayant été changé de prison et jouissant d’un régime plus clément.

Il paraît qu’il n’en est rien : MM. Stuart Merrill et Deschamps auraient été trompés et le condamné n’a fait que changer de lieu de supplice. Un reporter a vu l’infortuné Wilde dans son nouveau bagne, amaigri, affaissé, écrasé de misère, torturé, les mains estropiées, le corps usé par la dysenterie, dans un état proche de la mort ou, qui pis est, de la folie.

MM. Deschamps et Stuart Merrill nous ont abusés, non pas systématiquement et à dessein, comme semble penser le visiteur, mais parce qu’ils le furent eux-mêmes. Toutes les fois qu’un mouvement de pitié se produit en faveur d’un misérable, ses bourreaux soutiennent qu’il se trouve fort bien traité et le font croire.

L’essentiel est de savoir la vérité : le
 triste prisonnier de l’hypocrisie anglaise
 demeure un sujet de commisération, un
insigne exemple de la férocité légale et de
la lâcheté humaine.
 
 

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(Henry Bauër, in L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 4228, mardi 24 décembre 1895)

 
 
 

À PROPOS D’OSCAR WILDE

 

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Nous avons reçu la lettre suivante :
 

Je ne lis que ce matin, lundi, l’article si renseigné et si courtois de votre collaborateur M. Conte, à propos d’Oscar Wilde et de notre conduite, à Merrill et à moi.

En l’absence du poète des Fastes, je prends seul la parole, certain qu’il m’approuvera :

1° L’initiative prise par nous en France était secondée par notre ami, l’écrivain anglais Robert Sherard ; voilà pour l’exactitude de nos renseignements.

2° La pétition n’a été envoyée à personne ; ce qui vous donne la mesure de la véracité des affirmations de M. Conte, écrivant « qu’elle nous est revenue vierge de signatures » !

3° Merrill a été informé de Londres que Wilde était transféré d’une prison dans une autre ; que satisfaction serait donnée aux écrivains réclamant pour leur confrère ; que la pétition devenait sans objet (nous l’avons supprimée). Le transfert est exact, M. Conte le constate. Pour le reste, si nous avons été trompés, notre loyauté ne peut être mise en doute.

Le langage de votre collaborateur a été plus que léger : nous venons demander à votre loyauté, à vous, l’insertion de cette lettre, si, de lui-même, M. Conte ne juge pas bon de rectifier certaines épithètes pour lesquelles Stuart Merrill et votre serviteur ont droit à une autre solution.

À vous cordialement,
 

LÉON DESCHAMPS

 

Nous avons communiqué cette lettre à notre ami, M. Édouard Conte. Voici sa réponse :
 

« La pétition n’a été envoyée à personne, » déclare M. Deschamps. Mais, n’osant pas l’envoyer d’abord, on a tâté, par le moyen d’interviews, les hommes de lettres en vue. On connaît leur opinion. J’ai donc sujet de dire que la pétition n’a pas donné.

« M. Merrill a été informé de Londres que satisfaction serait donnée aux écrivains réclamant pour leur confrère. » A été informé par qui ? Comme cela est vague ! Le terme « réclamant » est bien impropre. Dans un cas comme celui-ci, on ne réclame pas, on intercède. Puis, quelle contradiction de prétendre que satisfaction serait donnée à une pétition que personne encore n’a signée : c’est absurde. À moins que ces écrivains réclamant ne soient pas le poète des Fastes et M. Léon Deschamps eux-mêmes ! Se figure-t-on ces deux messieurs, parlant au nom des écrivains français ? Absurde et bouffon.

Quant au dernier alinéa de la lettre de M. Léon Deschamps, je n’en fais aucun cas.
 

ÉDOUARD CONTE

 
 

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(in Le Journal quotidien, littéraire, artistique et politique, quatrième année, n° 1185, jeudi 26 décembre 1895. Ce prière d’insérer est une réponse à un article d’Édouard Conte paru dans le Journal du dimanche 22 décembre 1895 ; nous n’avons pu le reproduire, car l’article en question n’a malheureusement pas été numérisé sur Gallica ; il nous a paru néanmoins intéressant de publier ce droit de réponse, car, comme dans le différend qui opposa Jules Huret, Marcel Schwob et Catulle Mendès, il a failli se régler par un duel. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de revenir prochainement sur cette affaire.)

 
 
 

 

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(in Le Journal quotidien, littéraire, artistique et politique, cinquième année, n° 1199, jeudi 9 janvier 1896)

 
 

 
 

POUR OSCAR WILDE

 

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ÉPILOGUE

 
 

Lorsque, il y a quelques années, un potentat d’Asie, célèbre par ses pierreries, son sans-gêne
 et sa malpropreté,
vint faire visite à sa
 cousine S. M. la reine Victoria et à son 
cousin M. le président Carnot, il fut
 reçu avec tous les 
honneurs dus à son 
rang, malgré qu’il 
traînât à sa suite certain mignon dont le rôle ambigu fit souvent verser des larmes d’envie à nos courtisanes cosmopolites. Et si quelque fâcheux Bérenger d’une ligue contre la licence des cours se fût avisé de protester, au nom de la morale, contre la fastueuse réception qu’on fit à cet Oriental si peu prévu par Montesquieu, on lui aurait répondu avec quelque semblant de raison : « Monsieur, autant que vous, nous répugnons aux mœurs de notre hôte, mais le directeur du protocole sait oublier la morale quand il s’agit des intérêts supérieurs de la politique. »

J’eus la naïveté de croire qu’un bon poète valait un méchant roi, et même que les intérêts de la littérature étaient supérieurs à ceux de la politique. Déjà étonné qu’Oscar Wilde fût condamné par les magistrats d’une capitale où il est compromettant de s’accointer avec un homme sans être protégé par un chaperon du sexe opposé, je le fus davantage que ses geôliers l’exposassent sans vergogne à la déraison ou à la mort, et, en sa personne, toutes les œuvres inaccomplies dont ils sont aujourd’hui moralement responsables envers l’avenir. Je crus donc le moment propice pour demander aux écrivains de France et d’Angleterre de s’interposer en faveur d’un poète que les Barbares n’avaient pas le droit de tuer, quel que fût son crime. Je sais bien, hélas ! que nous ne sommes plus au temps où un pape répondait aux amis d’une victime de Cellini : « Apprenez que des hommes d’un talent sans égal, comme Benvenuto, ne sont pas tenus d’obéir aux lois, » – et où, par contre, un artiste coupable d’avoir mutilé son propre ouvrage, comme Verocchio, se voyait condamné à mort par le sénat de Venise. Ces hommes d’un autre âge avaient au moins le sens de la justice, ô Monsieur Prudhomme, et se montraient experts à approprier les peines aux délits. Mais, sachant que dans notre société faussement égalitaire Oscar Wilde, malgré son œuvre considérable, n’était pas supérieur devant la loi à ce magistrat de Bournemouth, par exemple, condamné lui aussi à deux ans pour avoir abusé de l’ingénuité d’un policeman, nous crûmes prudent, Deschamps et moi, de motiver le plus largement possible, au nom de l’humanité et de l’art, la pétition que nous avions l’intention de soumettre aux plus illustres écrivains de France et d’Angleterre. Nous devions éviter, par convenance, de paraître mettre en doute la culpabilité du condamné ou en question la justice de la sentence anglaise. Notre réticence ne fut pas toujours comprise, et on affecta de croire, en certains lieux, que nous désirions non seulement protester contre la condamnation dont Oscar Wilde fut atteint, mais encore faire l’apologie de ses mœurs. Nous nous sommes pourtant abstenu de toute opinion personnelle ; nous pouvons maintenant avouer qu’elle est absolument conforme à celle de M. Francis Campbell exprimée dans une lettre au Courrier Français : « Cet homme fut un fou, et sa faute est amoindrie par ce fait qu’elle n’attaquait que ceux qui, comme lui, étaient fous. »

Nous n’osâmes pourtant aller aussi loin dans l’apparence d’une opinion, et dans notre lettre circulaire nous nous bornâmes à demander à un certain nombre d’écrivains leur signature : 1° au nom de l’humanité, parce que, d’après les témoignages publics et privés, M. Oscar Wilde est gravement malade ; 2° au nom de l’art, parce que sa mort possible priverait les lettres d’œuvres dont le passé littéraire de l’auteur garantit suffisamment la valeur.

Nous comptions sans la prudence de nos chers maîtres et la défiance que leur inspire le moindre de nos actes.

M. Sardou fut un des premiers consultés par les reporters. Sa réponse me paraît à la fois la plus courageuse et la plus logique. « C’est une boue trop immonde, dit-il, pour que je m’en mêle, de quelque façon que ce soit. » Voilà qui est entendu, Monsieur Sardou ! L’auteur de Fédora ne saurait tolérer l’auteur de Macbeth, coupable d’avoir brûlé d’un feu impur, dans ses sonnets, pour un jeune acteur qui assumait, au théâtre du Globe, les rôles de femme. Il me semble pourtant que le dégoût, en cette matière quasi amoureuse, devrait s’atténuer de pitié. Le plus cruel des médecins est plus miséricordieux que M. Sardou. Il est vrai que celui-ci doit ménager sa clientèle anglaise.

M. Alphonse Daudet désira savoir en quelle compagnie il lui serait possible de manifester. Jésus-Christ, auquel, d’après ces dames, il ressemble, n’était pas si dégoûté quand il fréquentait les peagers et les courtisanes. Mais notre lettre circulaire aura rassuré le sympathique Petit Chose : nous lui demandions de manifester en compagnie d’immortels !

Quant à M. Barrès, il annonça que lorsqu’Oscar Wilde vint à Paris, « il le reçut avec politesse et l’invita à déjeuner chez Voisin. » Il oublia de révéler la somme de l’addition qu’il dut payer, sans doute pour ne pas effaroucher ses austères électeurs de Nancy… et de jadis. Mais, avec sa nervosité habituelle, M. Barrès compromit ses intérêts électoraux en se gaussant de la puissante corporation des voyageurs de commerce : « Oscar Wilde avait une tournure d’esprit particulière, qui d’ordinaire, chez les commis voyageurs, dans la vie vulgaire, se traduit par la recherche des combles. » Le comble me paraît être d’apprécier avec un pareil sans-gêne un homme, réduit aujourd’hui à l’impuissance, dont on a recherché la fréquentation. J’accuserais volontiers M. Barrès de snobisme, s’il n’était venu de son propre gré nous offrir sa signature. Il comprit donc que nous réussirions dans notre tentative ?

L’objection la plus inattendue nous vint de M. Zola. Lui, l’ennemi déclaré des journalistes, lui, dont on ne vit jamais flamboyer le nom sur les monuments d’utilité publique, lui, la modeste violette du parterre des lettres, se demanda anxieusement : « Enfin, de qui émane la pétition ? De quel élan ? Veut-on se servir de notre nom pour se tailler une carte-réclame sur le dos du prisonnier ? » Non, cher Maître, nous laissons ces procédés à M. Géraudel et à vous. Dussent nos opuscules de vers se vendre un jour comme vos romans, – puisque vous jaugez le talent par le tirage, – nous n’aurions, mes amis et moi, ni plus de vanité, ni moins d’orgueil que par le passé. Pourtant, vous étiez de ceux que nous respections autrefois, alors que vous combattiez, seul contre tous, pour la licence d’un art qui n’était pas le nôtre. Maintenant, nous vous plaignons sincèrement de voir une tentative de réclame dans un simple mouvement de pitié et d’indignation. Entrez vite sous la coupole, et regagnez votre indépendance !

M. Donnay vous a donné à tous l’exemple de la générosité. Il est vrai que c’est un jeune, et que ses yeux encore purs voient plus clair que les vôtres dans la pénombre de cette fin de siècle. Ce satiriste qu’on prétend méchant, a fait preuve d’un cœur plus prompt que nos plus larmoyants moralistes. Merci, cher confrère, pour la belle leçon que vous donnâtes aux Pharisiens !

Après les interviews vinrent les articles. Remercions surtout MM. Georges Montorgueil, toujours âpre et fougueux dans sa défense du bon droit, Henri Bauer, qui s’éleva justement, en homme sincère, contre ceux qui feignirent d’ignorer Oscar Wilde après son procès, Laurent Tailhade, dont la charité égale le courage, et réconforte les malheureux entre deux combats, Marcel Fouquier, qui compensa le fâcheux effet d’une phrase lâchée par son homonyme à l’Écho de Paris, phrase trop vague pour que nous en pussions relever la traîtrise nestorienne, Albert Mockel, le très cher ami qui mérite mieux que moi tous les compliments qu’il me prodigua, Eugenio de Castro et de Carvalho, qui me proposèrent de soumettre la pétition aux hommes de lettres portugais, enfin Lucien Descaves, Ernest Daudet, Georges Vanor, Henri de Weindel, Henri Lapauze, Paul Royer, Léon Millot, F. May, Henri Turot, Georges Vernier, et tant d’autres. Nous remercions également ceux qui s’opposèrent loyalement à la pétition, tels MM. Jacques Normande, Louis Schneider, Joseph Charrier, F. Rozier, Edmond Deschaumes, et même l’anonyme qui simplifia si singulièrement la question dans la Vie Parisienne : « Si j’ose l’écrire, un cochon artiste n’en est pas moins un cochon. Il n’est même pas très sûr qu’Oscar Wilde soit un artiste. Reste le cochon… »

L’auteur de cette phrase ne serait-il pas M. François Coppée, qui consentit à signer la pétition comme membre de la Société protectrice des animaux ? Le sympathique zoophile a trouvé dans une chronique ultérieure sur les animaux des accents vraiment touchants : « Cette femme du monde, qui abandonne ses enfants aux domestiques, devrait rougir devant une poule, » s’écrie-t-il dans un bel élan d’indignation. Mais pourquoi croit-il opportun d’allonger en passant un coup de parapluie à Edgar Poe, qui, selon lui, ne doit son génie qu’à Baudelaire ? Si M. Coppée, qui se vante si souvent de son ignorance, avait consulté des gens compétents, il aurait appris que la traduction de Baudelaire vaut avant tout par sa littéralité. Le chantre du Petit Épicier de Montrouge ne serait-il pas plutôt offusqué par la hautaine aristocratie d’Edgar Poe ? Tout brave homme qu’il se dise, il n’est pas exempt des mesquines jalousies de la bourgeoisie, et je gage qu’un jour il voudra nous prouver que Baudelaire a plagié Edgar Poe. Son argument est en effet à renversement. Il a bien tenté de l’appliquer à Oscar Wilde.

Bref, nous sortons de l’aventure suffisamment renseignés sur la générosité de nos chers Maîtres. Parmi eux, il en est certes plusieurs qui eussent accordé sans phrases leur signature ou qui en eussent suffisamment motivé le refus. Ceux-là, nous les connaissons et nous les respectons. Mais les autres ?

Ah ! les autres !… M. Henry Houssaye est venu, après M. Coppée, se plaindre en habit de grenouille que les jeunes manquassent de respect envers leurs aînés. Son contradicteur, un de ceux que nous respectons pour sa rude probité, même lorsqu’il croit bon de nous rabrouer, M. Brunetière, lui répondit d’assez spirituelle façon. Plus tard, M. Lucien Descaves prouva, à propos de l’inauguration du tombeau de Villiers de l’Isle-Adam, que les jeunes entretenaient pieusement le culte du génie. Et certes, MM. Mallarmé, Verlaine, de Heredia, Dierx, et d’autres, n’ont jamais pu constater, même lorsqu’il nous est arrivé de discuter leur esthétique, le moindre manque de ce respect que nous devons non seulement à leurs écrits glorieux, mais à leur noble caractère. Nous ne sommes des Caraïbes que pour M. Coppée et ses semblables ; quant à M. Zola, cet Eugène Sue qui voudrait se faire prendre pour un Balzac, pourquoi réclamerait-il de notre part plus de respect qu’il n’en témoigna à Victor Hugo ?

Pauvres victimes du succès populaire, c’est de l’exemple du Maître immortel que vous auriez dû vous inspirer. Lui n’aurait pas demandé en quelle compagnie il lui aurait été permis de manifester, ni traité de commis voyageur un hôte parti de sa table, ni soupçonné une pensée de réclame dans une pétition que nous avions toutes les raisons du monde pour ne pas rédiger. Ému de pitié, il aurait apposé sa griffe énorme et tremblée sur le papier encore vierge de signatures. Car il ne se serait pas cru le droit de montrer envers le malheureux fou, bêchant peut-être en ce moment le jardin de la prison de Reading, plus de cruauté que cette femme dont je veux que le nom rayonne, comme une étoile d’amour, sur ma dernière page : Madame Oscar Wilde.
 

STUART MERRILL

 
 

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(Stuart Merrill, in La Plume, littéraire, artistique et sociale, huitième année,n° 161, 1er janvier 1896. Caricature de Steinlen, « Le Noël des prisonniers, » parue dans L’Écho de Paris, journal littéraire et politique du matin, douzième année, n° 4235, mardi 31 décembre 1895)

 
 

 

 

 

 
 

 

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(Lettre de Stuart Merrill à Eugenio de Castro, in Arte, revista internacional, volume I, 1895-1896)

 
 
 

LETTRE PARISIENNE

 

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(Camille Mauclair, in Le Coq rouge, revue littéraire, première année, n° 8 et 9, décembre 1895-janvier 1896)

 
 

 
 

 
 

(in Le Gaulois, trentième année, troisième série, n° 5178, vendredi 10 janvier 1896)

 
 
 

Pour Oscar Wilde

 

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Je connaissais déjà le « comble » de M. Maurice Barrès et, vraiment, il est regrettable qu’un tel artiste s’embourgeoise au point de devenir hypocrite et imbécile.

Depuis longtemps aussi, je savais la noire malpropreté du poéticulet Coppée et cette malpropreté n’a rien d’extraordinaire chez un épicier académique qui a toujours, par principe bourgeois, ménagé la chèvre et le choux. Quant à l’ignoble et répugnant Sardou, j’en ai dit tout mon dégoût dans une causerie faite (il y a déjà quelques mois) au « Caveau Verviétois » et dans laquelle je défendis de mon mieux le malheureux Oscar Wilde.

M. Émile Zola, lui, ne m’a nullement étonné par sa réponse et je trouve que le plus étonnant serait justement de s’en étonner.

Ce pornographe ne voit et ne peut voir que de l’ordure dans tout, partout, quand même et toujours, et il a montré, une fois de plus, qu’il était un être anti-artistique, et sa pitié (personne ne l’ignore) n’a jamais été assez surhumaine pour en faire un Homme.

Et M. Alphonse Daudet, qui a fait preuve, lui aussi, d’une bassesse d’âme écœurante, restera, comme les autres, marqué éternellement de l’implacable mépris de tous ceux qui ont si loyalement, si sincèrement défendu le poète prisonnier.

Tous ceux qui l’ont condamné, publiquement ou intimement, sont des cuistres.

Ils n’ont pas compris, ils ne pouvaient comprendre (parce qu’ils ne le voulaient) qu’en attaquant un artiste on attaquait l’Art. Ils resteront toujours les petits de cette lamentable et infâme affaire ; ils resteront toujours les Bourgeois de l’Art. Ils sont les descendants (plus monstrueux encore) de ceux qui ont osé – par exemple, cet idiot académicien Mérimée – vilipender, siffler, injurier le génial Wagner ; ils sont de cette famille puissante et bêtement cruelle qui a laissé mourir de misère notre grand Ch. de Coster, notre magnifique Villiers de l’Isle-Adam, et notre pauvre et merveilleux Verlaine ; ils sont ceux qui se passent l’infamie, jour à jour.

Ils sont les lâches.
 

Eh bien, il s’est trouvé quelqu’un de plus atroce que tous ceux-là.
 

*

 

J’ai sous les yeux un article de M. Stuart Merrill (1) : Pour Oscar Wilde, Épilogue. – (Pourquoi épilogue ? Allons-nous accepter, maintenant, un silence honteux ?)

L’article ne nous apprend presque rien de nouveau, mais, vraiment, M. Stuart Merrill s’y montre comme toujours si bellement fier, si courageusement digne, que je crois le moment venu de lui dire en face de tous les ignobles : « Vous avez été et êtes resté admirable !… »

Cet article me révèle, pourtant, une lâcheté formidable et plus j’y réfléchis plus elle m’apparaît affreuse et noire. En la lisant, on pense fatalement à ces gouffres inaperçus, insoupçonnés, où l’on tombe à jamais.

Voici : Un anonyme a écrit dans la « Vie Parisienne » : « Si j’ose l’écrire, un cochon artiste n’en est pas moins un cochon. Il n’est pas même certain que Wilde soit un artiste. Reste le cochon… »

Moi, je déclare que celui qui a osé commettre pareille chose est doublement lâche ; je dis qu’il est plus hypocrite que M. Barrès, plus sot que Coppée, plus mesquin que Daudet, plus idiot que Zola, plus immonde même que le Sardou.

Écrire une telle infamie et y ajouter l’ignominie de l’anonymat est le fait, est l’acte d’un atroce gredin.

Il y a quelque chose en ceci qui ressemble à un assassinat motivé par le vol.

Le plumitif qui a écrit cette saleté est un voleur, car il a voulu voler, à M. Wilde, une réputation, peut-être exagérée, mais justifiée par un beau passé littéraire ; il a tâché d’amoindrir un véritable talent et cela est un vol, le vol le plus humainement hideux…

Tout homme n’a de valeur réelle que par la quantité d’Art qui est en lui, et Wilde a une valeur, quoi qu’en puisse dire 
le monsieur qui n’a probablement jamais lu un livre de cet 
écrivain. S’il en a lu, c’est un parfait imbécile qui n’y a rien
 compris et alors…

J’ai lu, et j’avoue même avoir relu, le dernier livre de ce malheureux littérateur : Le Portrait de Dorian Gray. Ce n’est certes pas un chef-d’œuvre, mais c’est en tout cas un beau livre. On en garde je ne sais quelle étrange impression, quelle savoureuse émotion qui en fait presque un livre inoubliable. Il y a en lui quelque chose d’énervant et d’attirant à la fois qui vous charme en vous étonnant, qui vous grise en vous faisant mal, qui vous caresse en vous égratignant : il a le charme d’un beau fruit vénéneux.

La forme, un peu romanesque, déplaît mais le livre est parsemé de tant d’idées, parfois profondes, parfois « vieux jeu, » toujours délicieusement présentées, que l’on se laisse aller à une douce lecture et qu’on le lit d’un bout à l’autre avec un vrai plaisir. Quoique l’œuvre ne soit pas d’une psychologie sérieusement forte, quoique l’auteur ne soit pas d’une remarquable originalité, on y trouve vraiment des pages admirables. Wilde est surtout un styliste brillant et il a su trouver de ces mots dont il a dit lui-même :

« La musique l’avait ainsi remuée déjà, elle l’avait troublée bien des fois. Ce n’est pas un nouveau monde mais bien plutôt un nouveau chaos qu’elle crée en nous…

Les mots, les simples mots ! Combien ils sont terribles !
 combien limpides, éclatants ou cruels ! On voudrait leur
 échapper. Quelle subtile magie est donc en eux ?…

On dirait qu’ils donnent une forme plastique aux choses informes, et qu’ils ont une musique propre à eux-mêmes, aussi douce que celle du luth ou du violon ! Les simples mots ! Est-il quelque chose de plus réel que les mots ? »

Et ce que j’aime beaucoup chez cet auteur, c’est la façon paradoxale de présenter ses réflexions et ses pensées (quelquefois trop baudelairiennes). Oui ! J’aime beaucoup tous ces paradoxes dont on dit tant de mal et pour qui les crétins professent un souverain mépris.

Le paradoxe est simplement la forme exaltée d’une idée. Toute beauté est paradoxale comme tout ce qui n’est « l’ordinaire, » et condamner le paradoxe, c’est condamner toute l’originalité de l’œuvre.

Quelques critiques sont allés jusqu’à dire que ce livre était immoral ; or, comme la préface les en avertissait, une œuvre d’Art n’est pas morale ou immorale : elle est bien ou mal pensée, bien ou mal écrite. Et, dit encore Oscar Wilde : « Ceux-là qui trouvent de laides intentions en de belles choses sont corrompus sans être séduisants. Et c’est une faute. Ceux qui trouvent de belles intentions dans les belles choses sont les cultivés. Il reste à ceux-là l’Espérance.

Ce sont les élus pour qui les belles choses signifient simplement la beauté. »

Oui, je le répète, Wilde était un artiste, sans être pour cela un Maître, et vouloir lui enlever sa réelle valeur est un vol et une lâcheté…

Avant cette horrible condamnation, on avait le droit, on devait même être sévère envers ses œuvres. Mais, du moment qu’en l’exposant à la mort ou à la folie (cette mort intellectuelle), on tente publiquement de détruire de l’Intelligence, de la Beauté, notre Devoir est, malgré tout, de protester. C’est au nom de l’Art que, tous, nous réclamons la liberté de l’écrivain, c’est au nom de cette seule réalité éternelle que nous réclamons la vie d’un de ses simples ouvriers.

Peu importent les cris de la valetaille bourgeoise et plébéienne. Tout ce qu’elle peut dire ne tire pas à conséquence. Il nous restera toujours l’espérance, la foi en cet Art vilipendé.

Et je veux, pour terminer ces quelques redites, rappeler à tous ceux qui furent bas de cœur et d’âme, dans cette affreuse affaire, ces vers du poète Albert Giraud, ces vers qui annoncent tout un avenir merveilleux :
 

« Et maintenant criez ! faites vos choses viles !

D’autres hommes viendront, ceci sera changé :

Vous aurez, contre vous, jusqu’aux pavés des villes !

D’autres hommes viendront et l’Art sera vengé ! »
 

Janvier 1896.
 
 

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(1) La Plume (1er au 15 janvier).
 

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(Albert Olivier, in L’Art wallon, revue mensuelle d’art et de littérature, n° 7-8, février-mars 1896)