Monsieur le bourreau, je désirerais que

vous me guillotinassiez.

PETRUS BOREL

 
 

Londres, août 1851.
 
 

Le ciel est d’une humeur maussade,

Et le soleil est enrhumé.

Il passe, frileux et malade,

Comme un oiseau qu’on a plumé.

Infidèle à notre planète,

Qui vit de ses baisers de feux,

À quelque brillante comète

Le drôle fait-il les doux yeux ?
 

La peste soit de sa grimace !

Il a la fièvre en vérité.

Voyez blêmir sa large face

Avec son gros nez épaté.

Morbleu ! la vilaine journée !

Le brouillard couvre les vallons…

J’ai l’âme pensive et peinée…

Que vont devenir les melons ?
 

La grande machine est usée,

Et les rouages ne vont plus.

Là-haut la flammèche embrasée

Est chétive comme un fœtus.

La lune semble poitrinaire,

Un volcan n’est guère qu’un four ;

Et quand résonne le tonnerre,

C’est comme le bruit d’un tambour.
 

L’eau croupit dans les sources vives.

Aux champs sont de maigres moissons,

Et les mamelles maladives

Sustentent quelques avortons.

La mer est un égout fétide,

Et ne soyez pas étonnés

Si quelque étoile peu solide

Un soir vous tombe sur le nez.
 

J’ai du plomb fondu dans la tête…

Mes yeux roulent languissamment,

Et j’entends comme un air fort bête

Que le vent joue incessamment.

J’ai goûté de tout sur la terre,

On peut préparer mon tombeau,

Car, à moins que l’on ne m’enterre,

Je ne vois plus rien de nouveau.
 

On dit que les hommes comprennent

Ce que la vie a de dégoût…

Comment donc se fait-il qu’ils traînent

Leur carapace jusqu’au bout ?

Je sais bien que chacun espère,

En sa lâche crédulité,

Trouver au bout de sa carrière

Un pur instant de volupté…
 

Mais quand vient la décrépitude,

Qu’on est aux trois quarts du chemin,

Au sein de cette turpitude,

Qu’attendre encore du lendemain ?

Dupé par un rêve perfide,

Assez longtemps j’ai barboté

Dans ce marécage stupide

Qu’on appelle société.
 

J’ai couru les champs et les villes,

Et je n’ai rencontré partout,

– Villes de bruit, hameaux tranquilles, –


Que des pianos et du dégoût.

Que la campagne est attrayante !

Voyez. Là, c’est un bouc qui paît,

Plus loin, une mare puante,

Des canards, un âne qui braît…
 

Un fumier, une betterave,

Du persil, des dindons gloussants,

Puis un colimaçon qui bave

Et des artichauts languissants.

Oh ! certes, la campagne est belle !

Et moi, bête comme un mulet…

– Çà ! qu’on m’apporte un pistolet !


Je veux me brûler la cervelle…
 
 

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(Aurélien Scholl, « Spleen, » in L’Éclair, revue hebdomadaire de la littérature, des théâtres et des arts, n° 51, samedi 25 décembre 1852 ; repris dans l’Écho des coulisses, revue théâtrale, n° 217, 16 juillet 1854 ; Édouard Manet, « Le Suicidé, » huile sur toile, c. 1877-1880)