Le satyre est monstrueux.

Il est le bouc qui contrefait l’homme sur lequel il s’est penché, dont il a surpris les rêves obscurs, les convoitises secrètes, les vices inavouables ; et ces débauches, ces délires, ces songes, il les lui montre avec une impudence effrayante, avec des sarcasmes fiévreux, angoissants et obstinés.

Même, à force de contempler son modèle, il s’est transfiguré, par malignité sans doute, à moins que ce ne soit par orgueil frivole : la vanité est pour tout le monde, en ce monde.

Et, après avoir volé notre âme, Ægipan a copié plusieurs de nos gestes, et, afin de mieux les traduire, il a moulé sur les nôtres ses mains réjouies aux contacts équivoques et aux pantomimes lascives.

Imprégné de notre substance, il a parfois notre rire et souvent notre regard.

Il écoute avec des oreilles pointues et plantées dans la tête de même que celles du bouc, mais il répond avec une voix presque humaine.

Il a des cornes, mais ses cheveux ressemblent à notre chevelure.

S’il n’exhibait une queue de chèvre, la partie postérieure de son tronc serait pareille à notre dos.

Et, quoique ses pieds soient fourchus, il a la démarche verticale, il danse et gambade comme nous.

Après tout, le satyre n’est peut-être pas une bête qui a épié nos actes, démasqué nos désirs, et s’est transformée par l’imitation de nos gestes et l’usage excessif, exaspéré, de nos voluptés.

Il se peut qu’il soit simplement une incarnation à la fois furieuse et ironique de la bête qui palpite au fond de vous tous et au fond de moi.

Et d’ailleurs Ægipan est mort.

Il était déjà mort au temps d’Aristophane qui affecte pourtant d’avoir recueilli son dernier soupir.
 
 

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(Fernand Mazade, in Le Supplément, grand journal littéraire illustré, vingt-cinquième année, n° 5001, jeudi 22 octobre 1908 ; photographie de Wilhelm von Glœden, « Le Faune, » épreuve sur papier albuminé, Sicile, 1898)