On annonce que le gouvernement italien vient de donner une nouvelle impulsion aux fouilles de Pompéi et d’Herculanum.
Je n’ai jamais rien trouvé de plus curieux que cette résurrection lente et graduelle d’une cité morte, et j’ai passé de longues heures là-bas en contemplation devant ces fragments d’une civilisation immobilisée dans des ruines. Plus d’une fois, en errant, je songeais aux surprises que causerait Paris, englouti par un cataclysme imprévu.
Plusieurs centaines d’années s’écoulent.
Les générations se succèdent sur la surface du globe, se transmettant, en les dénaturant de plus en plus, les récits de la catastrophe et les souvenirs de la grande cité engloutie. Une couche de terre végétale se dépose sur le vaste tombeau de nos folies et de nos grandeurs. Le blé pousse, la rose croît, l’herbe verdit.
Un jour pourtant, en labourant son champ, un paysan de l’avenir rencontre un corps dur sous le soc de sa charrue ; c’est l’extrême pointe de la flèche des Invalides que les tassements successifs de la lave ont fait proéminer. Les journaux du temps racontent l’aventure ; des fouilles sont ordonnées et, grâce aux machines puissantes que l’imagination humaine ne peut manquer d’avoir créées en 3992, on ne tarde pas à mettre à découvert à la fois plusieurs quartiers de ce qui fut Paris.
C’est là précisément que l’hypothèse devient intéressante.
Ici un squelette debout, la tête emprisonnée dans un cercle de fer, en face d’une sorte de canon en cuivre braqué sur lui par un autre squelette qui, d’après son attitude, semble le viser.
Le fait est soumis aux délibérations des savants futurs. Comme de raison, ils discutent pendant quatre mois sans arriver à la moindre conclusion. Au bout des quatre mois, cependant, ils finissent par tomber d’accord et déclarent que l’un des deux squelettes devait être un condamné à mort, l’autre le bourreau chargé de l’exécution à l’aide d’un engin à aiguille.
En réalité, les deux squelettes ne seraient tout simplement qu’un bon bourgeois et un photographe en train de faire son portrait.
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Spectacles édifiants ! Dans cette chambre, on découvre un Parisien fossile accroupi sur une pile de papiers, et tenant encore une plume entre ses doigts raidis. On examine les papiers ; ce sont des actions dont le Parisien fossile, caissier de jadis, est en train de falsifier les numéros.
Dans cette rue, on déblaye deux citoyens, l’un ayant encore la main dans la poche de l’autre, dont il allait escamoter le porte-monnaie.
Dans cette cave, un homme, dont il ne reste, bien entendu, que les os ornés d’un tablier noir, est debout entre deux seaux et un tonneau. L’analyse chimique prouve que le tonneau contenait du vin, mais que les seaux n’ont jamais contenu que de l’eau.
Quel est donc ce mystère ?
Attention ! On vient d’opérer une découverte de premier ordre.
Sous une espèce de croûte de pâté en zinc, on a retrouvé trente-cinq personnes dans les attitudes les plus variées.
Celui-ci devait dormir sur son coude ; celui-là faisait des cocottes en papier, conservées par miracle ; ce troisième jouait aux dominos avec un quatrième ; et ainsi des autres. Un rapport officiel déclare que l’édifice devait être un lieu affecté aux récréations de quelques oisifs qui tuaient le temps comme ils pouvaient, faute d’avoir quelque chose à faire.
C’est presque vrai ; car ces trente-cinq fossiles sont les Académiciens réunis pour travailler au Dictionnaire.
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Autre point de vue.
Les travaux ont mis à nu une maison entière ; au premier étage, on trouve dans une chambre les débris d’une dame aux pieds de laquelle sont à genoux les débris d’un monsieur ; dans une seconde chambre, les débris d’un second monsieur, assis sur un divan ; dans une troisième chambre, les débris d’un troisième monsieur caché derrière un rideau ; dans une armoire, les débris d’un quatrième monsieur fourré là on ne sait pourquoi.
Ou plutôt, rien de plus facile à deviner ; car on est dans l’appartement d’une ci-devant feuilletée, qui donnait, au moment de la catastrophe, audience simultanée à ses adorateurs en commandite.
On monte aux étages supérieurs, même répétition exacte. La maison faisait partie des parages de Notre-Dame de Lorette…
Nous ne pousserons pas plus loin les fouilles hypothétiques ; mais, avouez-le, Paris ferait un bien drôle d’Herculanum à l’usage de nos postérités.
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(« Quivala, » in Le Charivari, soixantième année, lundi 12 octobre 1891 ; repris sous la signature de « Villiers » dans Le Bon Citoyen de Tarare et du Rhône, supplément illustré, troisième année, n° 72, dimanche 13 Avril 1902 ; Giovanni Battista Piranesi, « Capriccio architettonico, » 1748-1752)