Les sept docteurs se déchaussèrent et le plus jeune, d’un geste machinal, étrangla les six autres ; puis il saisit la nuit par la taille et tous deux s’éloignèrent en chantant.
Les six cadavres eurent un rire étouffé.
Je sortis alors du tiroir où je me tenais plié et, sans prononcer une parole, je m’assis à table entre la marquise et mon porte-cigarettes en argent perdu la veille.
Personne ne m’avait vu entrer : pourtant, j’étais sûr d’être là puisque les cerises me regardaient, les yeux gonflés de sang.
Pour me donner une contenance, je versai le flacon de cognac entre les seins étonnés de la marquise ; celle-ci, avec un tact parfait, eut l’air de ne pas s’en apercevoir et, très digne, caressa les favoris du gros général transparent.
Les six cadavres eurent un nouveau rire étouffé.
Ma montre marquait onze heures dix : ce détail me frappa d’autant plus qu’elle s’arrêtait habituellement vers minuit. On me cachait donc quelque chose ? Je résolus d’en avoir le cœur net. Un bond me lança sur la berge. Je me dissimulai entre le courant d’air et le fleuve ; l’eau roulait avec un grand bruit ; je bouchai les arches du pont avec des nuages afin de ne pas l’entendre, mais l’eau tourbillonna plus rapide et je me sauvai, les pieds très mous, pour ne pas m’y enfoncer.
Au travers de la route, un bossu en deuil s’efforçait de noyer son ombre sous un écroulement de lettres majuscules mauves. J’escaladai sa bosse ; elle n’était pas assez cuite et trop cirée ; je fis un faux pas et glissai pendant des années entre deux miroirs de silence figé…
Les sept docteurs m’attendaient en bas ; la nuit se taisait autour d’eux, complètement noire et déjà morte.
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Lorsque je me réveillai, j’avais les cheveux blancs.
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(André Paysan, Un Cauchemar, suivi de quelques nouvelles, Paris : Paul Iribe et Cie, 1913)