LETTRE DE PARIS

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Quelle épitaphe voulez-vous ?

« Quels mots ou quelle épitaphe voudriez-vous voir graver sur votre pierre tombale ? me demanda M. J.-S. Marchand, entre deux cigarettes, la première fois que je rencontrai le directeur de la revue Sur la Riviera.

– Ma foi, lui répondis-je, un point d’interrogation suffirait.

– Enquêteur que vous êtes, reprit notre confrère, posez donc la question aux écrivains. Nous publierons les épitaphes dans la revue. »

Elles parurent, au nombre d’une centaine environ. C’était en 1927.

Quelque vingt de nos enquêtes, durant les huit années écoulées, ont aujourd’hui leur épitaphe pour tout de bon. Je ne relis pas les réponses, même drôles, sans un frisson. Au moment où on annonce qu’un buste de la comtesse de Noailles sera édifié en l’hôtel de la Société des gens de lettres (au fait, Balzac, père de la Société des gens de lettres, attend toujours son buste), j’ai ouvert les numéros de Sur la Riviera, j’ai voulu relire l’épitaphe que l’auteur des Éblouissements indiquait :

Pourquoi votre enquête sur l’épitaphe désirée a-t-elle troublé tant d’esprits ? s’étonnait la comtesse de Noailles, qui précisait :

La Grèce et Rome resplendissent du trésor des inscriptions funéraires. Pour ma part, je tiens à vous dire que je voudrais que l’on trace sur ma tombe ce vers de Corneille, que je pense avoir mérité :

ET LE ZÈLE DU CŒUR HABITE ENCOR CES LIEUX

Le vœu de la comtesse de Noailles a-t-il été exaucé ? Je ne me rappelle pas avoir lu, sur les pierres tombales des enquêtes, les épitaphes recueillies. Il y en a de fantaisistes, mais il y a en a dont le souvenir des disparus s’accommoderait fort bien. Celle que l’auteur de l’Honneur de souffrir a choisie, est-ce que le Comité qui s’occupe de faire élever un buste à la comtesse de Noailles ne pourrait s’occuper aussi de la faire graver sur son tombeau ?

Pareillement, je signale, aux Amis d’André Lamandé, l’épitaphe que traçait pour sa pierre tombale le poète de Sous le clair regard d’Athéné :

IL AIMA LA LUMIÈRE,

LES HOMMES,

ET IL MOURUT.

Comme je signalerai aux fidèles de Franc-Nohain la réponse de l’auteur des Fables :

 Une épitaphe? Peut-être celle-ci :

QUELQUES FABLES… UN PEU DE SABLE…

Le vœu de Jean de Bonnefon a reçu un acquiescement empressé.

Le maître-écrivain – maire de Calvinet (Cantal) – nous disait :

  Il faut être simple avec la Mort, qui est la grande brutale.

   Sur ma tombe, qui est prête, je ne veux aucun mot, aucune phrase : une croix en relief sur la pierre de mon pays natal, de l’Auvergne aimée, et mon nom à la suite des noms de ceux qui m’ont précédé. Cela suffit et c’est plus fier ainsi.

Blasco Ibanez, le romancier fameux, répondait par la négative :

Je ne pense jamais à la mort. J’ai toujours en tête des projets dont la réalisation demanderait deux à trois cents ans. Rêve absurde ! Comme si j’étais immortel !…    C’est vous dire que je ne me suis jamais préoccupé de mon épitaphe.

Paul Souday, le critique du Temps, avouait qu’il ne s’en était pas préoccupé, lui non plus, jusque-là :

J’espère qu’il n’y a pas urgence, faisait-il remarquer. Et il ajoutait :

Si les futurs historiens littéraires veulent bien constater en deux lignes que j’ai servi de mon mieux les bonnes Lettres et soutenu de toutes mes forces les meilleurs écrivains, avec une prédilection pour les poètes et les philosophes, ce sera plus que je n’oserai en demander.

   Et si l’on consent à graver sur ma pierre ces simples mots :

PAUL SOUDAY, HOMME DE LETTRES

avec deux dates – dont je souhaite que la seconde soit encore éloignée, – on aura comblé mes vœux à ce sujet.

Votre question est plutôt… gaie ! Comme je ne crois point à la mort – nous écrivait Raymond Clauzel, le critique littéraire d’Ève, le romancier de l’Ile des Hommes – le souci d’une épitaphe ne m’a jamais pipé. Mais puisque vous m’y faites songer, voici, en accord avec ce qui précède : 

PARTI SANS LAISSER D’ADRESSE…

Vous sourcillez ? En effet, je dois en convenir, ce P. P. C. n’est pas d’un bon style funéraire. Alors, que la stèle porte seulement ma devise, celle d’un vivant incorrigible :

DE LA PIERRE À L’ÉTOILE.

G. de Pawlowski, le critique dramatique du Journal, l’auteur du Voyage au pays de la quatrième dimension, répondait avec son bon sourire :

POUR LES INTERVIEWS, S’ADRESSER À L’ÉTAGE AU-DESSUS.

Willy, alias Henry Gauthier-Villars, alias l’Ouvreuse, alias Henry Maugis, se retranchait derrière ce dernier :

Voici, disait-il, l’épitaphe de mon « Alter magot, » le Mélomane alcoolique Henry Maugis :

DE MUSIQUE MON ÂME EST ENCOR DÉSIREUSE,

JAZZ OU « DE PROFUNDIS »

ALLEZ-Y, CHERS AMIS, SANS CRAINDRE, FOI D’OUVREUSE,

DE RÉVEILLER MAUGIS.

Et Willy ajoutait :

 Je demanderai à être crémé, car, sans être jamais, à la façon d’un personnage cornélien, « monté sur le faîte, » néanmoins j’aspire à « des cendres. »

Albert Erlande, l’auteur du Titan, d’En campagne avec la Légion étrangère, rédigeait comme suit son épitaphe :

ICI

S’ENNUIE A MOURIR

ALBERT ERLANDE

1878-19…

IL FUT INSPIRÉ PAR LA LUNE,

PAR LA GUERRE, L’ART ET L’AMOUR !

IL « FIT LA NIQUE » À LA FORTUNE…

ON VIT SI BIEN, AU JOUR LE JOUR !…

ET EN VOILÀ

POUR

L’ÉTERNITÉ

Les nombreux lecteurs des romans d’Arnould Galopin ne liront pas sans un regret cette déclaration dont la malice se nuance de gravité :

 Mon épitaphe ? Elle sera courte comme il sied à un romancier qui a beaucoup écrit. La voici :

CETTE FOIS, C’EST BIEN LE MOT « FIN »

ET NON PLUS LA SUITE À DEMAIN.

Octave Uzanne, le fin lettré, l’auteur du Sottisier des Mœurs, en tenait pour cette inscription :

CI-GÎT UN HOMME

QUI VÉCUT SOUS LA LOI DE SON INDÉPENDANCE

IGNORANT LES HONNEURS QUE TOUT LE MONDE

ENVIE,

TROUVANT CE QU’IL CHERCHA, POUVANT CE QU’IL VOULUT

IL GOÛTA SILENCE, SOLITUDE ET TÉNÈBRES, –

LA MORT NE CHANGEA RIEN À SA VIE.

Maurice Simart, le directeur de l’Imprimerie de la Presse, le romancier d’Un Cœur de quarante ans, rappelait le mot d’Alphonse Allais :

Il y a des années où l’on n’est pas en train, et il ajoutait : Je vous avouerai qu’il y a des sujets qui ne m’excitent pas… Mon épitaphe est de ceux-là… Il faudrait que je mente, en affichant un dédain de la vie, ou que je banalise en la regrettant. Pour vous dire le vrai, peu m’importent les mots qui seront gravés sur ma pierre tombale : seuls m’intéressent les chiffres. Je sais que ça commencera par 1892, mais je souhaite que le second nombre soit le plus imposant possible…

Sébastien-Charles Leconte, le poète des Bijoux de Marguerite, nous proposait trois épitaphes, au choix. Voici la première :

SÉBASTIEN-CHARLES LECONTE

BUVEUR D’EAU

Jean Psichari – qui fut le gendre de Renan – rédigeait comme suit l’inscription à placer sur un des côtés du petit monument :

À L’INTÉRIEUR

PRÈS DE VOUS TOUJOURS

VIT

VOTRE AMI

JEAN

PSICHARI

Xavier Privas, prince des Chansonniers, citait ces vers de son ami regretté, le doux poète Gabriel Vicaire :

APRÈS AVOIR TANT TROTTÉ

ET S’ÊTRE FAIT TANT DE BILE

C’EST SI BON D’ÊTRE IMMOBILE

POUR L’ÉTERNITÉ !

Camille Le Senne, le critique dramatique, troussait ce quatrain :

LA VIE ÉTAIT BELLE…

SALUONS LA MORT.

QUE NOUS PROMET-ELLE ?

UNE ESCALE AU PORT.

André Bâillon, le romancier de Zonzon Pépette, répondait :

 Comme je leur jouerai – qui sait ? – un vilain tour, mes héritiers (?) feront graver sur ma pierre tombale :

ET ROSSE, IL A VÉCU CE QUE VIVENT LES ROSSES

Seulement, voilà ! me donneront-ils cette pierre ?

Paul-Napoléon Roinard, le poète des Miroirs, indiquait un extrait de sa Mort du Rêve :

DANS SA RÉVOLTE JUSTE ET SA DROITE FIERTÉ,

EN FACE DES LAURIERS, IL EST TOUJOURS RESTÉ

PAR SON CŒUR FRATERNEL AUX PLEURS, LE VRAI POÈTE DE LA BONTÉ.

Trois lettres composent le pseudonyme de Gyp. Trois lettres suffisaient à l’auteur du Mariage de Chiffon :

OUF !

Et c’est bien là le mot de la fin.

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(Gaston Picard, in La Revue Belge, 1er juillet 1935)