VASSI ATELIER
 
 

MAGIE DES JOUETS

 

Quand Marie Vassilieff parle des poupées

 

_____

 
 

L’atelier de Marie Vassilieff respire l’art, la gentillesse, la bienveillance… et la cuisine… Et la maîtresse de maison est tour à tour… tout ce qu’on veut… Juste sous mes yeux, pendue à la fenêtre, ne voilà-t-il pas une pancarte qui résume l’artiste. La pancarte dit :
 

Marie Vassilieff
fait la bonne aventure.
Marie Vassilieff
fait des vierges miraculeuses.
Marie Vassilieff
récite sa poésie, sa prière.
Marie Vassilieff
fait des conférences,
Et la bonne à tout faire…

 

Sans oublier qu’elle est danseuse, écrivain de théâtre, peintre, et que c’est elle qui créa la mode des poupées à l’image des grands personnages…
 
 
MARIE1
 

« Comment je fis des poupées pour la première fois ? me dit-elle. Écoute… »

Tandis que Marie parle, je ne puis m’empêcher d’observer la salle haute, aux poutrelles apparentes, avec une série de poupées contre le plafond, en guise de frise… Elles ont des masques joyeux ou graves, avec un rien de caricatural… De hauts miroirs, des sièges bizarres, des tables encombrées de livres, de photos, d’oranges, de flacons, d’assiettes et de fleurs. Sur un socle rose, un arbre de Noël vert, guirlandes d’argent, sphères brillantes…

« Voilà… Il fallait des jouets à mon gosse, pendant la guerre… C’était alors un poupon criard et exigeant… Je lui fis une poupée à l’image de sa mère, puis une autre à l’image de son père, un Caïd magnifique et splendide… Mon fils ne s’endormit plus que tenant dans ses bras ces deux nouvelles créatures.

Des amis me firent quelques compliments. Allons-y !… Moyennant quelques matériaux vulgaires, des bouts d’étoffe, du carton, du celluloïd, des fils d’or et d’argent, des boutons, de la peau, j’imaginai des fantoches qui ressemblèrent aux grands de ce monde, ou à mes camarades… Je fis ainsi Maginot, Poincaré, Poiret, Trotzki, la comtesse Greta Prozor, Joséphine Baker… Guillaume Apollinaire, qui était mon ami, me dit une fois :

« Je voudrais ainsi mon portrait par toi… »

Ainsi je fis une poupée qui lui ressemblait et pour laquelle il m’adressa beaucoup de louanges. Pour me remercier, il me disait des vers…

– Et cela rapportait de l’argent ?…

– Mon Dieu… Toujours, ce côté laid de chaque question… Au commencement, je vendais 60 francs une poupée. Ensuite, tout portrait m’était payé 2000 francs. La gentille Suzanne Valadon me fit aussi une commande…

« Tu prends trop bon marché, » me fit-elle.

Et elle me donna 500 francs de plus. »
 
 
VASSI1
 

Dans ce temps-là, continue Marie, j’étais l’amie de Jean Borlin, de Van Dongen. J’inventai alors un guignol, mais un guignol mystique (oui, mon petit !), avec une pièce érotique. Je créai les décors, les quatorze personnages.

– Qui avaient nom ?…

– Mais je ne me souviens plus de tous… Enfin !… Il y avait… Saint François d’Assise, Sainte Thérèse, la Vierge Noire, le Christ… le… moine, le diable… les anges… et d’autres… et d’autres…

Je fis encore un autre guignol avec cinq personnages, la Fleur du Mal, la Rose et le Revolver… Ces personnages étaient animés de sentiments qui se traduisaient par des effets de lumières : l’amour par la lumière rose, la passion par la lumière rouge, le gendarme par…

– Le gendarme… c’est une passion ?

– Tais-toi !… Par la lumière verte, l’homme pervers par toutes sortes de couleurs… puis définitivement mauve… comme un cadavre… Seulement, je ne fis pas fortune… On me copia… On me vola mon nom, ma manière, tout… tout, quoi !… Je finis par construire des poupées qui avaient l’air de statuettes établies dans le bronze, l’écaille, l’or, les matériaux les plus précieux… C’était incassable et léger… Une fois, au Salon d’Automne, je m’amusai à laisser tomber à terre une poupée d’or… On se précipita… La petite n’avait aucun mal, tu comprends.

– Parce qu’elle n’était pas vivante.

– Pas vivante !… pas vivante !… Ma chère, mes poupées sont vivantes, animées, spirituelles, tendres, mais les mauvais destins ne les atteignent pas.

– Ce sont des poupées pour grandes personnes ?

– Elles conviennent aux grandes personnes comme aux enfants.

– Maintenant, vous faites encore des poupées ?

– Oui, oui, mais je suis si pauvre que je n’ai plus d’argent pour acheter les matériaux qui les composaient naguère. Alors, j’en invente que je fabrique avec des légumes.

Oui, mon petit : choux, carottes, navets et poireaux… J’en donnai une à la jolie jeune femme de Guy Fontenailles, l’écrivain, tu sais, la petite Madeleine Mangin, la fille du général…

– Des poupées végétales ?

– Quand je te dis qu’on peut créer de la beauté avec tout… Et là, c’est doublement une bonne affaire. Quand on a fini de contempler son œuvre, on peut se jeter dessus et la manger. »

Marie, comme une petite fille, secoua sa tête blonde en arrière et se mit à rire de toutes ses dents.
 
 
MARIE2
 

_____

 
 

(Michelle Déroyer, in La Semaine à Paris, journal illustré paraissant le vendredi, n° 553, du 30 décembre 1932 au 6 janvier 1933)

 
 
 
VAS1
 
 

Masques de Marie Vassilieff

 

_____

 
 

Elle est montée sur les barricades du Tout-Paris, elle descend ses bonshommes avec, au ventre, une grande joie d’assassinat comme s’il s’agissait d’une révolution. Elle est plus forte que le type d’en face. Elle est énorme.

C’est une sorte de Cocteau de théâtre en muscles et avec un masque qui amplifie la voix. Elle est sensuelle depuis le coup de poing jusqu’à l’épingle. Elle a le goût de la torture et elle s’y livre sur ses masques. Elle vous fait partager ses goûts. Elle possède en elle la danse, la musique, les relents littéraires de l’alcool russe, c’est une femme-orchestre à l’envers, c’est-à-dire qu’au lieu d’être de ceux qui, seuls, jouent de tout à la fois, elle est l’aboutissement de tout en donnant une seule chose : ses masques.

Chaque masque est un drame, l’acteur qui joue le drame, le théâtre où se passe la pièce. Marie Vassilieff a été du boulevard, elle est passée nègre, elle devient grecque. Tout cela d’ailleurs se comprend par l’estomac parce que les yeux ne voient que des masques aux proportions divines et à mettre au fronton d’un temple. – (À Fermé la nuit.)
 
 

_____

 
 

(« L’Art, commentaires, » in La Semaine à Paris, journal illustré hebdomadaire paraissant le jeudi, n° 343, 21 décembre 1928)

 
 
 
MAT
 
VAS7
 
VAS9