J’APPRENDS à l’instant la mort d’André Breton. Les hommes de cette sorte ont toujours été rares ; dans les années à venir on s’apercevra qu’ils se feront plus rares encore, et nous aurons bonne mine devant nos machines électroniques où manquera toujours un brin de violette.
Lui n’avait cessé d’être à la pointe de l’éclair.
Ses dernières années furent un peu amères, j’imagine. Ce curieux amalgame que l’on nomme le public s’était détourné de lui, sans deviner à quel point il demeurait présent ; et puis il souffrait de voir piétinées la plupart des valeurs qui avaient constitué ses raisons de vivre, mais il ne se plaignait pas.
La dernière fois que je l’ai vu, rue Fontaine, nous avons parlé des voyages sur la lune et il m’a dit : « Ils vont la souiller. » La souiller, sans plus. Moi, bien sûr, j’aurais employé un terme beaucoup plus grossier, mais il conservait sa politesse même dans l’extrême dédain.
Nul n’ignore que les proses les plus somptueuses de la langue française c’est dans son œuvre qu’il faut les chercher, mais André Breton n’était pas là seulement : si quelqu’un vous a jamais fait signe, par-dessus le mur et la porte basse, par-delà le petit pont mystérieux, c’est bien lui. Ce signe, toutefois, il ne l’adressait qu’à ceux qui se souvenaient encore des trésors de l’école buissonnière, qui croyaient en la nécessité d’aller voir de l’autre côté.
Nous sommes quelques-uns qui penserons à lui, par les nuits claires, entre la tour Saint-Jacques et la rue Nicolas Flamel.
Dessinée en 1937, cette œuvre d’André Breton est un hommage à une belle inconnue.
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(André Hardellet, « André Breton, » in Le Collectionneur français, deuxième année, n° 18, octobre 1966. L’objet-poème illustre l’article ; la photographie d’André Breton fait partie d’une série de photomatons pris vers 1929, et destinés à encadrer le tableau de René Magritte, « Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt »)