L’ART PORTÉ PAR LES ONDES

 

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Les infinies possibilités

de la radio de demain

 

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« Le son devra se nourrir d’œuvres faites spécialement pour lui… »

nous dit M. Maurice Renard

 
 

Une jeune actrice, devant chanter devant un poste d’émission, s’assit devant
 le microphone et, machinalement, se
 maquilla avant de s’adresser au silencieux appareil.

Ce geste n’est-il pas symptomatique ?

Un romancier, sollicité d’écrire une œuvre radiographique, refusa en disant : « Je n’aurais pas seulement à tuer une certaine orientation de la sensibilité, j’aurais à chasser trop de morts. »

Tout en sentant confusément la puissance de la T. S. F., nous n’avons pas encore compris les directives artistiques à dégager en vue des œuvres radiophoniques ou radiographiques, comme l’on voudra.

Qu’on se rappelle qu’un directeur intelligent n’a pu, malgré ses recherches, trouver une seule production qui lui semblât vraiment conçue pour la radio.

Et cependant, si l’on voulait… Il n’y a pas longtemps que les sansfilistes surpris se sentirent entraînés dans les remous d’une assemblée populaire. Toute la tragique grandeur de notre orageuse Révolution revivait dans un haut-parleur impassible. Et les cris de « À bas le Tyran…, président d’assassins, etc., » emplissaient les pièces familiales.

Cette intéressante reconstitution du 9 Thermidor, par le son, possédait une chaleur et un éclat qui parlaient plus à l’imagination que n’eût fait une œuvre imprimée.

La voilà peut-être, la voie à suivre.

Qu’en pensent nos romanciers les plus modernes, les plus « directs, » ceux dont la sensibilité nourrit l’imagination jusqu’à une sorte d’anticipation, ceux dont l’esprit accueille avec sympathie toute nouveauté ? Quelles peuvent-être, d’après eux, les infinies possibilités de la radio de demain ?
 

Maurice Renard

 

On pourrait s’attendre, chez le vice-président de la Société des Gens de Lettres, l’auteur de ces romans visionnaires : L’Homme truqué, le Voyage immobile, le Péril Bleu, familier aux lecteurs de l’Intransigeant, de nouvelles étonnantes où l’avenir de la T. S. F. est évoqué, toutes œuvres où l’imagination s’allie à de profondes données scientifiques, on pourrait s’attendre, dis-je, à la rencontre d’appareils mystérieux, de fils électriques inconnus, d’un laboratoire profond, d’arcanes d’un sorcier moderne. Non, nous sommes chez un bourgeois de France, dont le goût se manifeste par les meubles anciens et les fines estampes qui nous entourent.

Seul le regard aigu, corrigé, par le charme du sourire, révèle le romancier.

« Il faut distinguer, dit-il, deux utilisations fort différentes de la T. S. F. : d’abord, le côté « information » (nouvelles, comptes rendus, etc.). Celui-là, nous l’avons compris tout de suite.

Mais il y a ensuite la sensation artistique.

Le terme est neuf et vierge. Et cependant, des auditions semblables à la reconstitution du 9 Thermidor, dont vous parlez, semblent indiquer la voie.

De quoi sera fait cet art ? Je l’ignore, car, ici, c’est l’organe qui créera la fonction : un organe a surgi et on ignore encore sa fonction exacte.

Aujourd’hui, la poésie et la musique fournissent seules de vives impressions radiophoniques. Mais parce que l’art approprié n’est pas créé. Nous en sommes à l’époque héroïque et barbare. »

À travers les paroles de M. Maurice Renard, sa foi dans l’avenir de la radio apparaît enthousiaste.

L’œil rêveur, il s’approche du feu de bois ; je ne vois plus qu’ombres rouges sur ses traits ; les bûches croulent, mais j’entends une voix chaude qui poursuit dans une fantasmagorie d’anticipations, aux lueurs étranges du feu :

« Je pense, voyez-vous, que le sens auditif se développera ; que l’oreille s’habituera à des sons nouveaux. Car, après tout, nous croyons au pouvoir artistique de l’image parce que, depuis deux mille ans, nous vivons sur elle.

Non que la T. S. F. puisse remplacer une autre forme d’art : elle sera pour les sons ce qu’est une cassolette pour les parfums. Je n’ai pas actuellement d’autre comparaison.

– Ne pourra-t-elle remplacer l’œuvre imprimée ? Ceci tuera-t-il cela ?

– Impossible. Toutes nos fonctions agissent de concert à la lecture d’un livre. Le champ de la T. S. F. est plus réduit. Le son, inférieur à l’image devant la sensibilité, devra se nourrir d’œuvres faites spécialement pour lui. Ou il ne serait qu’un auxiliaire. Et il vaut mieux que cela. Et vous le verrez. Car la T. S. F. est un organe populaire… »

Tout à son sujet, M. Maurice Renard s’anime en parlant, me jetant, par paquets, de petites phrases brèves, pleines d’aperçus originaux.

« Vous parlez d’influence sur le livre ; elle surviendra, mais neuve, féconde et non desséchante. Elle sera analogue à l’influence du cinéma sur le théâtre, je veux dire le rendant plus naturel, plus dépouillé, plus sobre.

On reproche aux jeunes romanciers
 d’être influencés par l’écran. Dans vingt
 ans, ils le seront par la T. S. F. Mais 
encore une fois, il nous faut une esthétique de la radio, esthétique basée sur
 le son.

À moins que la télévision vienne bouleverser tout cela…. À moins encore que 
toute civilisation trop avancée ne disparaisse… »

Alors, j’ai quitté ce diable d’homme, terrible et fin, ne sachant trop s’il plaisantait ou s’il rêvait à son œuvre prochaine.
 
 

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(Y. D., in L’Intransigeant, quarante-neuvième année, n° 17682, dimanche 18 mars 1928)

 
 
 

 

AVENIR

 

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L’ingénieur Francel occupait un splendide appartement au quinzième étage d’une assez vieille maison située en plein centre de Paris, quartier grandiose où, jadis, s’était étendue la commune de Boulogne.

À huit heures, comme tous les matins, l’ascenseur projeta Francel au vingt-troisième étage, sur la terrasse spacieuse. Sa femme l’accompagnait. Chaque jour, avec tendresse, elle le suivait jusque-là et assistait à son départ. Les laboratoires du savant étaient installés dans la banlieue : à Reims. Il s’y rendait quotidiennement en hélicoptère. Trente minutes suffisaient à ce petit voyage de cent cinquante kilomètres, juste le temps d’écouter les nouvelles du jour contées par la T. S. F. de la cabine.

L’appareil aérien était prêt, ainsi que plusieurs autres disséminés devant les garages de la terrasse. On voyait voler dans le ciel bleu – qui, de cette hauteur, paraissait immense – des quantités d’avions, planeurs
 ou hélicoptères. Un vaste bourdonnement faisait chanter l’espace.

Francel et sa femme s’embrassèrent, gentiment, mais vite.

« Je rentrerai de bonne heure, dit-il avec un sourire expressif.

– Ah ! Tu n’as pas oublié ! Je suis contente !

– Oublier ! Oublier le cinq juillet ! Notre anniversaire ! Oh ! Gloria !… »

Nous avouons ne pas savoir de quel anniversaire il s’agissait. Pourquoi l’ingénieur ne laissait-il jamais passer un cinq juillet sans offrir une rose à Mme Francel ? Ceci est confié à l’imagination du lecteur. Pour nous, nous pensons qu’il y avait là-dessous quelque chose comme un premier baiser ; mais cela n’a vraiment rien à faire avec l’histoire.

Mme Francel, si opportunément prénommée Gloria, regarda l’hélicoptère filer au-dessus de Paris, à l’altitude exigée par les règlements de police pour les véhicules se dirigeant vers l’Est (autant de directions, autant d’altitudes, pour éviter les collisions). Quand il eut disparu, elle resta un instant à contempler le formidable panorama de la capitale et à sentir le vent des cimes soulever sa courte chevelure.

Un haut-parleur de la Radio Gazette Illustrée gronda comme un tonnerre vocal :

« Attention !… Voici le grand meeting de Prague ! »

Et aussitôt, apparut à même le vide, au-dessus de la cité, l’image gigantesque d’une foule humaine acclamant un orateur entouré de porte-voix radiophoniques.

Mais il y avait bien des années que la découverte des mirages artificiels était industrialisée. Quand Gloria avait fait son entrée dans le monde, plusieurs compagnies exploitaient déjà le brevet permettant de projeter à travers la distance la reproduction d’un spectacle, exactement comme la nature s’en acquitte au désert, pour son propre compte.

Mme Francel ne donna donc qu’un coup d’œil indifférent à la vision monstrueuse dont s’illustrait le ciel, devenu pour quelques minutes la page énorme d’un magazine. Elle regagna l’ascenseur, et tomba mœlleusement au seuil de son home.

Ce qui suivit cette rentrée n’a pas non plus d’importance pour l’histoire, et d’ailleurs, nous ne savons pas ce que fit Gloria Francel jusqu’à onze heures. Tout au plus, pouvons-nous supposer qu’elle s’occupa des enfants avec la nourrice, seule servante qu’on ne pût remplacer par des engins mécaniques. Peut-être notre jeune et charmante Gloria eût-elle le loisir de faire marcher l’orgue à parfum, ou plutôt le téléviseur (car elle aimait particulièrement à se mettre en communication optique avec les pays très lointains et ainsi se donner le plaisir d’apercevoir, au fond du tube téléviseur, la nuit en plein jour, – la nuit de l’autre côté du globe, avec ses constellations invisibles de ce côté-ci).

Le fait historique, c’est que, à onze heures précises, le haut-parleur officiel fit entendre ses trois coups de cloche d’avertissement.

La fenêtre était ouverte sur la radieuse matinée. Mme Francel écouta cette voix semblable à celle de la tempête :

« Une grande invention vient 
d’être réalisée. Nous vous en ferons
 part dans quelques instants… Attention, tous ! »

Mais Gloria, quelle que fût sa curiosité, dut alors courir au téléphone (le téléphone sans fil, naturellement) dont l’appel harmonieux retentissait.

« Allô ! Gloria !… »

Et, en même temps, au fond du tube téléviseur, sans être surprise le moins du monde par ce miracle journalier, Mme Francel distingua son mari, là-bas, à Reims… On voyait l’antique cathédrale, par le fenêtre, derrière lui. Il parlait devant son téléphone et tenait à la main une superbe rose pourpre.

Mme Francel fut frappée de son air heureux, triomphal…

« Gloria, regardez bien ! dit le téléphone, tandis que s’agitaient les 
lèvres du petit portrait vivant. Regardez cette rose…

– Je la vois, dit Mme Francel, quelque peu étonnée.

– Très bien. Et maintenant, regardez la planchette qui est cachée derrière le rideau, près de vous… Écartez le rideau, Gloria… »

Une bizarre petite tablette se trouvait là, tout à fait imprévue, reliée à des piles électriques par des conducteurs souples.

« Regardez, Gloria ! » répéta l’ingénieur.

Alors il y eut, sur la tablette, une condensation subite. Une buée se dessina, qui devint rosâtre et verdâtre, se solidifia, fut rouge et verte…

Une magnifique rose pourpre venait de surgir et, au fond du tube, Francel, rieur, ne tenait plus qu’une sorte d’appareil passablement compliqué.

Il était onze heures, quatre minutes et six secondes.

Le haut-parleur officiel tonna :

« Attention !… L’ingénieur Francel, déjà célèbre par ses études sur 
la dissociation et la recomposition
 de la matière, a trouvé le moyen de 
transmettre la substance à travers 
l’atmosphère. La radiotransmission
 est découverte. Une rose vient d’être
 expédiée de Reims à Paris, sur les 
ondes de l’air ! »

Une rumeur inimaginable monta de la ville. Mme Francel sentit battre son cœur, pâlir son visage. Elle prit timidement la voyageuse embaumée, pressa la fleur illustre sur ses lèvres frémissantes…

Et ceci se passait en des temps très futurs.
 
 

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(Maurice Renard, « Les Mille et un matins, » in Le Matin, quarante-quatrième année, n° 1582, mercredi 13 juillet 1927)