Dans l’atelier d’un tailleur

 

Le tailleur gourmande ses apprentis. Il a relevé ses lunettes sur son front. La pièce est pleine de coupons empilés et de brochettes d’habits où court encore le faufil. Le tailleur pose ses lourds ciseaux, et, dans un flot de soleil en fusion, éponge sa face paterne. C’est au premier étage d’une maison de Douarnenez. « Il fait si chaud ! dit-il en nous tendant la main, mais les jeunes n’ont plus l’amour du travail. »

Dans la vieille Bretagne, le « quemener » – le tailleur – était personnage d’importance. Accroupi à la turque sur la table de toutes les fermes, il épiait, en passant l’aiguille, tous les menus faits susceptibles d’alimenter la chronique. Rentre-tard, il surprenait avant quiconque les idylles des hameaux. La causticité de sa faconde était légendaire : une langue aussi piquante et coupante que ses outils. Il mettait ses commérages en chansons. C’était l’Aristophane de la poésie populaire bretonne. Aussi n’était-ce point d’autres que les gas allaient chercher pour leur servir de « bazvalan, » de « messager d’amour » près des parents de la jeune fille dont ils voulaient faire leur épouse.

M. Gourrot, tailleur à Douarnenez, est, nous avait-on dit, de cette lignée. Il sait tous les « gwerziou » et tous les « sôniou, » tout ce qu’on a chanté en Bretagne. Un jeune cordonnier, qui tapait à tour de bras sur une semelle, nous avait évoqué les bons soirs où M. Gourrot entonnait l’une après l’autre les strophes qui voletaient jadis de bourg en bourg.

Malheureusement, et le brave commerçant est navré, ce sont là récréations d’hiver. L’été, il doit habiller la population balnéaire. Malgré le changement de clientèle, l’extension des affaires, l’activité économique d’aujourd’hui, M. Gourrot regrette le temps où il faisait des « chupens » qu’on payait souvent en nature : « une andouille, un morceau de lard, et un litre de lait « par sa crème. »

Nous ne voulons pas abuser de ses instants. Il nous a confirmé qu’à Trezmalaouen, par les grandes marées, l’on voyait s’enfoncer dans les eaux des troncs d’arbres régulièrement plantés comme dans une avenue. Il y a aussi dans la falaise une grotte large comme la plus spacieuse de nos grand-routes, qui menait, d’après la tradition, d’Ys à Locronan, le bourg dont les 6.000 tisserands avaient l’exclusivité de la fabrication des voiles pour la flibuste.

Des présomptions à relier au faisceau de celles qui nous ont fait situer la station gallo-romaine, choisie par la fille de Gradlon comme lieu de plaisance, au fond de la baie de Douarnenez.
 

Dans un presbytère

 

Le clergé compte beaucoup d’archéologues éminents. Leur science, leur connaissance approfondie du pays qu’ils habitent, leur permettent d’étudier le passé de leur petite patrie et de faire la lumière sur les points les plus obscurs.

On nous avait dit : « Un des archéologues finistériens que l’existence d’Ys a le plus préoccupé est M. l’abbé Plougoulm, recteur de Tréboul. » Nous sommes allé le voir dans son presbytère, aux fraîcheurs de tonnelle, après la fournaise des routes où, dans l’ombre étroite d’un arbre, brodaient quatre, cinq jeunes filles en coiffe.

M. l’abbé Plougoulm était pressé. Il devait aller avec un patronage de vacances. Très rapidement, nous avons résumé nos convictions et les données dont nous les étayions.
 

Les présomptions

 

1° Ys, point défensif de l’occupation latine. C’est certain. M. Plougoulm nous donne alors la carte des voies romaines qui a été reproduite en tête de notre premier article. Nous l’avions déjà consultée chez un autre abbé qui, longuement, nous avait décrit ce système routier des Romains, dans la région, et ce camp de Castellien qu’une voie reliait à Ker-Ys et qu’on est en train de démolir, sans que les savants puissent s’y opposer, leurs ressources étant insuffisantes.

2° Ys était dans la baie de Douarnenez ; voie romaine d’Ys vers Landevennec, dans une partie submergée.

3° La forêt de Nevet, où les textes nous montrent si souvent Gradlon chassant et entretenant un commerce d’amitié avec les ermites Ronan et Corentin, s’étendait alors jusqu’à mer, entre les bourgs de Plonéver-Porsay et de Locronan. Il est à supposer que Gradlon, ayant une prédilection pour cette forêt, avait choisi, pour y transporter sa capitale, le centre qui en était le plus voisin. Tous ces troncs d’arbres qui affleurent encore aux jours de marées exceptionnelles représentent les vestiges de la silve.

4° Ayant donné le monastère de Landévennec à Gwénolé, Gradlon ne s’en était pas éloigné. Or, nous avons cette voie romaine d’Ys vers Landévennec.

5° La voie qu’avait à utiliser Gradlon était plus directe entre Quimper et Ys, qu’entre Quimper et Audierne, par exemple, où l’on a voulu situer la ville engloutie.

6° En dehors de ces cuves à salaisons découvertes sous les eaux, les enfants d’une colonie de vacances parisiennes mirent au jour, paraît-il, en creusant la falaise de Trezmalaouen, il y a 3 ou 4 ans, des substructions gallo-romaines.

Nous choisissons nos arguments au hasard. M. l’abbé Plougoulm nous répondit simplement : « Je ne vous apprendrai rien de plus. »
 
 

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(Florian Le Roy, in L’Ouest-Éclair, journal républicain du matin, vingt-neuvième année, n° 9783, mardi 7 août 1928)