N’est-ce pas à la Pointe du Raz,
à l’entrée des deux baies d’Audierne et de Douarnenez,
qu’il faut situer l’emplacement de la cité mystérieuse ?
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Les raisons qui militent en faveur de la Pointe du Raz
Le point de vue de Le Carguet
« C’est entre les lignes du Cartulaire (de Landévennec), et non parmi les briques gallo-romaines, qu’on doit rencontrer les traces de la ville d’Is, » a déclaré Le Carguet, l’éminent archéologue dont nous avons pu, grâce à l’extrême amabilité de M. Le Guennec, conservateur de la bibliothèque de Quimper, consulter l’imposant ouvrage sur la ville de Gradlon.
Les chartes du Cartulaire ont été rédigées sur les indications topographiques d’Amalgod et de Nethenoc, deux des vassaux de Landévennec, restés dans le pays après la destruction du monastère en 914 et l’exode des moines à Montreuil. Tout informes et incomplètes que soient ces chartes du Xe siècle, on en peut tirer, dit toujours Le Carguet, des renseignements historiques, entre autres l’emplacement de la ville d’Is.
« Toute la politique de Gradlon se résume à attirer Saint-Guénolé en la ville d’Is. Les chartes le démontrent.
La charte IIIe exprime le désir, depuis longtemps conçu, qu’avait Gradlon de connaître Guénolé ; puis la déférence que le roi a témoignée à ce dernier en allant sa rencontre, à Poulcarvan. Toutes les circonstances devaient mettre le saint en confiance près du souverain.
Les chartes suivantes se rapportent à diverses concessions faites :
1° Aux abords de la résidence royale, pour y entretenir des relations suivies avec Saint-Guénolé ;
2° Aux environs du monastère, pour agrandir ses dépendances ;
3° De biens ruraux, pour arrenter Landévennec.
À remarquer que dans plusieurs donations figurent, à la fois, des biens dans la presqu’île de Crozon, voisine du monastère, et dans le Cap-Sizun. Que conclure de cette dernière particularité, sinon que le Cap- Sizun était attenant à la résidence de Gradlon, À LA VILLE d’IS ?
L’analyse des chartes le prouve. La charte V fait donation de l’île qui est appelée Île Seidhun, avec tout ce qui dépend d’elle. C’était un reste de la Bretagne marécageuse, qui, lui-même, a diminué peu à peu jusqu’à devenir l’île de Sein actuelle. Elle a reçu son appellation des sept courants de fond qui partaient de la côte vers le large, à l’opposé des courants de surface qui se dirigent du large vers la terre. Ces courants ont le nom de Sun. Des sept qui entouraient l’île au Xe siècle, l’île de Sein n’en subit plus que quatre.
La charte aurait pu donner les noms des dépendances de cette île : Guivian, Guiveur, Brearog, Is-audy, Douarmeurus, Guelvan, etc., qui ont aussi disparu.
La paroisse de Plogoff possède aussi, au versant sud du Vallon des Saints, un lec’h et une fontaine, près desquels la tradition place une chapelle au vocable de Saint-Guénolé et dépendant du village de Laoual.
Toutes les donations de Gradlon sont ainsi groupées à l’entrée sud de la baie de Douarnenez, à l’île de Sein et, surtout, à l’extrémité ouest de la paroisse de Cléden, sur le plateau qui borde et domine la baie des Trépassés. Au point culminant de ce plateau se trouve l’occupation gallo-romaine de Troguer. De longue date, les habitants voisins en tiraient des matériaux pour leurs constructions et en déblayaient le terrain pour leurs cultures. À la fin du XVIe siècle, ces ruines, en forme de quadrilatère, avaient encore trois toises de hauteur.
Ces ruines sont celles de la citadelle d’en haut mentionnée par Gurdestin dans le sermon de saint Guénolé au roi Gradlon. Elles dominaient la ville d’Is d’une hauteur de 80 mètres. »
La ville d’Is d’après la tradition
Écoutons encore Le Carguet, dont l’opinion – nous en avons eu la preuve – est partagée par bon nombre d’habitants de la baie d’Audierne. Voici ce que rapporte la tradition :
« La ville d’Is se trouvait à Is de Menez-Bezion, au bas de la Montagne des Tombeaux, en face de Ilis-pors-Fall (l’église du mauvais port), là où est actuellement la Basse-Jaune.
Le Raz de Sein n’existait pas, ni la baie des Trépassées. Une terre occupait l’espace compris entre la Basse-Jaune, le To-Venoc, l’île de Sein, la Pointe du Raz. Cette terre attenait à la Pointe des Van et à la côte de Cliden ; l’île de Sein est ce qui reste de cette terre.
C’est bien sur cette terre disparue qu’était Is, avec ses dix écluses, une clef d’or pour les ouvrir. »
Les écluses se trouvaient là où les roches du Gorlé prolongent la Pointe du Raz vers l’Ile de Sein.
« Soixante-sept manteaux d’écarlate, sans compter les autres, venaient de la ville d’Is, chaque dimanche, à la messe, à Laoual. Un chemin pavé, bordé d’arbres, conduisait de la ville d’Is à Laoual.
Au sud-ouest de l’île de Sein (1) était le palais de la princesse Ahès. »
Vers le Guivian (le petit bourg), à deux ou trois milles en mer, une roche porte encore ce nom.
« C’est aussi au sud-ouest de l’île de Sein que se fit la rupture du cordon littoral qui protégeait la Bretagne marécageuse. »
Bien au-dessous des fondations de la digue, à Liord-Argol et Beg-ar-c’halé, à l’île de Sein, l’on a trouvé des coffrets avec inhumations, des briques à crochets gallo-romaines, des emplacements de maisons. Preuve d’un affaissement important du littoral en cet endroit.
N’a-t-on pas trouvé, au surplus, en plein raz de Sein, une croix en pierre, déposée actuellement à Lescoff, en Plogoff ?
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Comme on voit, les arguments employés en faveur de la Pointe du Raz, pour y situer l’emplacement de la ville d’Ys, sont impressionnants. Ces donations bien groupées, ces vestiges, tout concourt à faire supposer que la cité d’Ahès dort son dernier sommeil, sous les flots parfois irrités, parfois doux et caressants, toujours perfides, qui embrassent de leur étreinte mortelle la Pointe et ses rochers sur lesquels tant de vaisseaux sont venus se briser.
Grandiose tombeau, en vérité, et bien digne de la ville orgueilleuse, de la ville maudite où, parmi les vaines magnificences, régnaient la corruption des âmes et la dissolution des mœurs.
FIN
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(1) Donc, donnant sur la baie d’Audierne !
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(Jean Corcuff, in L’Ouest-Éclair, journal républicain du matin, vingt-neuvième année, n° 9786, vendredi 10 août 1928 ; René-Yves Creston, « Gradlon, » estampe devant illustrer le Grand Légendaire Breton ; l’ouvrage n’est jamais paru, c. 1941. Source : Musée départemental breton de Quimper)