I

 
 

Le soir tombait lorsque l’explorateur Piédechèvre arriva au pied de la vieille tour féodale qui, fièrement campée sur un monticule, semblait surveiller de haut la vallée verdoyante où la rivière serpentait en jetant des reflets d’acier. Piédechèvre s’arrêta un instant au pied de la tour. Brusquement, au-dessus de lui, on éternua. Il y eut alors un grand coup de vent ; des pierres s’écroulèrent, et le sol se mit à trembler.

« Qui est là-haut ? » demanda-t-il.

Une voix un peu chevrotante répondit :

« C’est moi. Je suis la fée Carabosse. »

Piédechèvre recula de quelques pas, regarda le faîte de la tour, et ne vit rien. La voix reprit :

« Je suis la fée Carabosse ; vous ne me verrez qu’à la clarté de la lune. »

Piédechèvre, intrigué, s’assit sur l’herbe, et attendit que la lune se levât. Bientôt l’astre apparut, et, à sa pâle clarté, l’explorateur put apercevoir une petite vieille décrépite, un peu bossue, vêtue de noir, qui, assise sur le mur, les jambes pendantes, le regardait avec des yeux brillant d’une lueur étrange. Un peu interloqué, Piédechèvre se leva. Il vit la vieille dame tirer de sa poche une petite boîte et y plonger deux doigts qu’elle se fourra ensuite sous le nez. Presque aussitôt, elle éternua pour la seconde fois ; et, pour la seconde fois, il y eut un grand coup de vent, des pierres s’écroulèrent, et le sol se mit à trembler.

« Vous allez vous enrhumer, » dit enfin Piédechèvre.

La fée Carabosse (car c’était elle) se mit à rire ; ce rire était aigu, prolongé, et des bêtes nocturnes lui répondirent dans la brousse.

« M’enrhumer ? » fit-elle.

Elle inclina sa baguette du côté de son interlocuteur, qui reçut aussitôt dans une main une superbe tabatière en argent ornée de pierreries. L’ayant ouverte, il put y prendre une bonne prise d’excellent tabac d’Espagne ; à son tour, il se mit à éternuer.

« Je vois bien, dit-il, que ce n’est point le rhume qui a causé votre éternuement. Mais, tout en vous remerciant de votre cadeau, je me fais un devoir de vous prévenir que les nuits sont fraîches, et qu’on court le risque de s’enrhumer en les passant à la belle étoile. Pour moi, je juge bon de rentrer…

– Asseyez-vous au contraire, dit la fée, et causons un peu. »

Elle inclina une seconde fois sa baguette, et Piédechèvre se trouva assis comme par enchantement sur un mœlleux et confortable fauteuil de mousse, les jambes sous une couverture de voyage, les pieds posés sur une invisible bouche de chaleur.

« Maintenant, dit la fée, vous ne vous enrhumerez pas. Quant à moi, je n’ai pas besoin de prendre tant de précautions ; sachez que les fées ne s’enrhument pas, et que je ne me suis jamais enrhumé depuis 190 millions d’années que je suis au monde.

– C’est incroyable ! s’exclama Piédechèvre ; quoi ? vous vivez depuis 190 millions d’années ?

– Oui, répondit la fée, et il y a un mystère plus troublant encore : c’est que je suis plus vieille que la Terre où j’habite.

– Puisque vous habitez sur la Terre, répliqua l’autre, comment seriez-vous plus vieille que la Terre elle-même ? Voilà qui me surprend étrangement.

– C’est, dit la fée, que vous n’avez pas l’habitude des mystères ; et, si je vous ai fait asseoir, c’est pour vous en expliquer quelques-uns. Avant tout, laissez moi prendre encore une prise… »

Elle prisa ; puis elle éternua. Et, pour la troisième fois, il y eut un grand coup de vent, des pierres s’écroulèrent, et le sol se mit à trembler.

« Je vous sais gré de m’instruire, dit Piédechèvre. Et, d’abord, je remarque que des tremblements sismiques ont lieu chaque fois que vous éternuez ; il se produit aussi un grand coup de vent. Sans doute, c’est la preuve que vous commandez aux éléments.

– Erreur ! répondit la fée ; et c’est là un mystère qui vous paraîtra plus troublant encore que les deux premiers ; sachez que fées et éléments vivent comme chiens et chats. »

Elle sembla se recueillir un instant, puis continua en ces termes :

« Pour que vous compreniez tout, il faut que je remonte à l’origine. Apprenez donc que, tout d’abord, – mais ceci se perd dans la nuit des
 temps, – la matière qui a formé l’astre
 où vous vivez faisait partie du Soleil ;
 un jour, par suite de causes que j’ignore
 moi-même, elle se détacha de l’énorme
 masse incandescente, comme s’en étaient
 déjà détachés la Lune, que vous voyez,
 ainsi qu’un autre astre, que nous ne 
voyons plus, et que nous appelions « Magique. » À cette époque, la Lune n’était pas
 encore un astre mort, mais elle était
 déjà presque refroidie, et les habitants y
 devenaient bien rares. Au contraire,
 notre astre « Magique » était dans toute
 sa splendeur ; sa croûte, solidifiée, avait 
déjà plus de vingt kilomètres d’épaisseur ;
 sur cette terre des fées (car c’était la
 nôtre), tout l’élément liquide avait été
 canalisé et également réparti. Il y avait trois catégories d’habitants : ceux qui
 vivaient sur le sol et qui marchaient ;
 ceux qui nageaient dans l’élément liquide ; et ceux qui volaient dans l’atmosphère.

– C’est justement, dit Piédechèvre, ce qui se passe chez nous : il 
y a les Terriens, les oiseaux et les poissons.

– Je ne parle, répliqua-t-elle,
 que des trois classes d’êtres privilégiés
 appelés « fées, » doués d’une intelligence 
supérieure ; mais la vie était si intense,
 le progrès était tel à la surface de « Magique, » que les animaux eux-mêmes
 commençaient à parler, à écrire, et à
 compter. N’étant pas carnivores, nous occupions tous nos loisirs à les civiliser,
 non à les engraisser ; ils faisaient nos
commissions ; ils nous tenaient aussi 
compagnie, et ils eussent volontiers joué
 avec nous aux dominos ou au loto, si 
notre haute intelligence avait admis des 
passe-temps aussi frivoles. Comme il
existait, entre les trois classes d’êtres 
supérieurs, ce que vous appelez « une 
entente cordiale, » nous étions devenus 
réellement maîtres des éléments en nous 
prêtant une aide mutuelle. C’est ainsi que 
moi, fée de la surface, je partageais avec 
des fées de l’onde et des fées de l’air 
mon aliment quotidien (qui n’était autre 
qu’une tablette de matière azotée) ; de
 leur côté, les autres fées se chargeaient
 de me faire voyager dans l’espace ou sur 
les eaux, sans qu’il m’en coûtât le moindre effort. Le rapprochement sexuel existait seulement pour les animaux, et
 les fées n’avaient pas de sexe. Nous étant assuré, grâce aux progrès de la science,
 une existence qui nous paraissait devoir
 être éternelle, nous nous étions donné,
 une fois pour toutes, le genre neutre qui
 nous dispensait de nous reproduire. Ce
 fut, hélas, cette témérité qui devait causer plus tard notre malheur et le
 vôtre… »

Ici, la fée sanglota, et Piédechèvre remarqua que la Lune se brouillait, tandis qu’un grondement souterrain
 se faisait entendre.
 

II

 

La fée Carabosse reprit :

« Je n’avais que soixante-cinq millions d’années lorsque la catastrophe se produisit : c’est dire que j’étais encore jeune fée. Mais je m’en souviendrai toute ma vie…

– Un malheur est si vite arrivé ! repartit Piédechèvre. De grâce, remettez-vous. »

Carabosse sécha ses larmes de fée et continua de la sorte :

« Je vous ai dit qu’à une époque reculée, la matière qui a formé la Terre s’était détachée du Soleil. Nos aïeux et aïeules de l’astre « Magique » (qui vivaient seulement quelques vingtaines d’années et avaient coutume de se reproduire) avaient pu étudier votre Terre dès son apparition, et s’étaient transmis, d’une génération à l’autre, les résultats de leurs observations. La Terre était d’abord restée, pendant plus de cinquante millions d’années, une masse incandescente dont la densité, comme celle du Soleil, était à peine supérieure à celle de l’eau. Bien qu’elle occupât dans l’espace un volume de vingt mille milliards de kilomètres cubes, et qu’elle eût entraîné la Lune dans son orbite, elle tournait autour du Soleil, comme faisait « Magique, » et n’avait rien changé à la gravitation de l’astre que nous habitions. On avait d’ailleurs calculé qu’en se refroidissant comme notre astre, elle se trouverait réduite à un volume de mille milliards de kilomètres cubes.

– Je crois, dit Piédechèvre, que vos ancêtres se trompaient : nos astronomes sont tombés d’accord sur le chiffre de mille quatre-vingt-trois milliards de kilomètres cubes pour le volume de la Terre.

– Notre chiffre de mille milliards, répliqua la fée, eût été exact sans la catastrophe qui se produisit. Quant à notre astre « Magique, » il avait seulement quatre-vingt-trois milliards de kilomètres cubes.

– Ces quatre-vingt-trois milliards, fit remarquer Piédechèvre, représentent la différence dont je parlais.

– Justement, répondit la fée, et vous allez voir pourquoi. J’entrais dans ma soixante-cinq millionième année, et je pouvais constater, comme tous les habitants de « Magique, » les progrès sensibles du refroidissement de la Terre ; sa croûte commençait à s’épaissir, et nous nous intéressions à la formation de la nouvelle planète. Nous savions qu’elle était douze fois plus grande que « Magique, » qu’elle était à une distance moyenne de cent quarante-huit millions de kilomètres du Soleil, tandis que nous en étions à cent quatre-vingt-cinq millions, ce qui faisait une différence de trente-sept millions de kilomètres ; nous avions constaté aussi que sa révolution était de 365 jours, alors qu’il nous en fallait 455 pour faire notre tour complet autour du Soleil.

– À ce compte-là, dit Piédechèvre, que valaient donc les soixante-cinq millions d’années dont vous me parliez ? Car je suppose que vous évaluez votre âge en années terriennes.

– Elles valaient seulement, dit la fée, 
cinquante-deux millions cent quarante-
deux mille années magiques. Mais je 
continue… La composition chimique de
 votre globe était sensiblement la même
que celle de notre planète ; son atmosphère était de même nature que la nôtre ;
 les eaux commençaient à se séparer des
 continents, comme cela avait dû se passer à l’origine sur « Magique. » Cependant, nos puissants télescopes nous permettaient de constater que des bouleversements énormes se produisaient encore 
à la surtace de la Terre : çà et là, la
 croûte se soulevait, formant des chaînes
 de montagnes ; ou bien, elle s’entrouvrait brusquement, laissant échapper le
 feu central. Quant à la température de la
 surface, nous avions acquis la certitude
 qu’elle devait dépasser dix mille degrés 
sur les parties incomplètement solidifiées ; pour les autres parties, les plus 
savantes d’entre nous n’étaient point tombées d’accord : les unes annonçaient
 une température uniforme ; d’autres
 émettaient l’hypothèse d’une température 
variable, allant de quarante à deux cents degrés. La discussion tournait à l’aigre,
et allait dégénérer en une ardente polémique, lorsqu’une grande comète fit son apparition dans l’espace, et détourna
 sur elle toute notre attention. C’était une
 magnifique nébuleuse, qui embrassait
 toute une partie du ciel, et qui, la queue 
dirigée à l’opposé du Soleil, s’avançait
 vers cet astre à la vitesse extraordinaire 
de 550 kilomètres par seconde. Elle ne
 pouvait continuer à suivre cette direction sans passer d’abord tout près de
« Magique, » puis tout près encore de 
la Terre. Elle se rapprochait de jour en 
jour, d’heure en heure, et notre inquiétude était grande.

Nous avions constaté, en effet, que le diamètre de son noyau était d’environ quatre-vingt-cinq mille kilomètres ; or, si sa masse était trop faible, malgré l’énorme volume qu’elle présentait, pour exercer une influence sur la Terre, il était certain, d’autre part, que sa force d’attraction était trois ou quatre fois supérieure à celle de « Magique. »

Un soir, les fées volantes qui s’occupaient d’astronomie passèrent au-dessus de nous à tire-d’ailes en nous adressant ce message ornithophonique : « Sommes perdues. Comète arrive sur nous. »

Tandis qu’elles allaient porter la sinistre nouvelle à l’autre hémisphère, nous fûmes environnées soudain d’une immense lueur, dont l’éclat augmentait à tout instant ; tout sembla s’embraser autour de nous ; bientôt, le ciel ne fut plus qu’un infernal et gigantesque brasier, une insondable mer de feu d’où jaillissaient des milliers d’étincelles ; il y eut des secousses sismiques ; puis nous reçûmes une véritable pluie d’aérolithes, et la chaleur devint étouffante. Ce phénomène dura environ trois minutes, pendant lesquelles le noyau de la comète dut passer à moins de cent mille kilomètres de notre astre ; puis la chaleur diminua, la lumière devint moins intense, et nous comprîmes que, le noyau ayant filé, nous n’avions plus qu’à laisser passer la queue de la nébuleuse. Selon nos prévisions, son passage ne pouvait durer plus d’une cinquantaine de minutes (car elle mesurait un million et demi de kilomètres) ; cependant, des heures s’écoulèrent, et, au-dessus de nous, autour de nous, l’immense lueur persistait. Effrayante et tout illuminée, la nuit entière passa. Elle passa, mais elle n’avait point cessé ; et nous apprîmes le matin que le jour continuait sur l’autre hémisphère, où l’on n’avait rien vu de ce qui s’était passé sur le nôtre. Ce ne fut qu’au bout de vingt heures que la comète commença à s’éloigner de nous. Un instant, on se crut sauvé. Mais il se produisit alors sur toutes les parties du monde « Magique, » qui semblait être comme désorienté, de brusques alternatives de jour et de nuit. De tous côtés, nos télescopes se braquèrent, et l’épouvantable réalité nous apparut : notre astre, entraîné par la nébuleuse, s’était rapproché de la terre à moins de cent cinquante mille kilomètres, et avait été attiré par cette planète, douze fois plus grande que la nôtre. Quant à la comète, qui opposait à l’attraction terrestre une résistance quatre fois supérieure à celle de « Magique, » elle avait pu, grâce à son extraordinaire rapidité, dépasser la Terre et continuer sa course vers le Soleil. Ainsi, notre astre, arraché d’abord de son orbite, puis détaché de la comète qui l’entraînait, n’était plus qu’un énorme bolide qui, tombant dans l’espace, tournant à chaque instant sens dessus-dessous, se rapprochait de la Terre à une vitesse toujours croissante. C’est à peine si nous eûmes le temps de nous rendre compte de notre chute : en quelques minutes, la sphère terrestre grandit démesurément à nos yeux ; sa croûte aride et plissée nous apparut de plus en plus nettement ; puis nous pûmes distinguer des montagnes, des vallées, des mers, et aussi de grands abîmes d’où le feu central s’échappait encore. Et le choc effroyable se produisit… »
 

III

 

Devant l’horrible vision, la fée Carabosse ferma un instant les yeux, puis elle reprit :

« Je me trouvais sur l’hémisphère boréal de « Magique » quand cet astre vint frapper la Terre par son hémisphère australe et s’y enfonça comme un boulet. Le choc ne dura pas plus de quatre secondes. Je fus violemment projetée sur le sol ; les fées volantes, qui s’étaient élevées aussi haut que possible dans l’atmosphère, furent alors précipitées, et leurs corps pantelants, obéissant à la vitesse acquise, vinrent trouer le sol comme des projectiles. En même temps, j’entendis un craquement monstrueux, un grondement énorme et prolongé, semblable à celui que feraient des millions de coups de tonnerre. Des vapeurs épaisses obscurcirent le ciel ; l’air devint brûlant, irrespirable. Tout à coup, le sol, qui tremblait de plus en plus, se souleva sous moi, puis se souleva encore ; brusquement, il s’entrouvrit, et je fus précipitée dans une crevasse, où je m’évanouis… Quand je revins à moi, il me sembla qu’il faisait un peu moins chaud ; mais j’avais les épaules démises, et me trouvais dans l’impossibilité de me guérir moi-même, car j’avais perdu ma baguette de fée. Je souffrais, et me livrais à de tristes réflexions, quand je vis venir à moi un animal comme vous.

– Hum !… fit Pièdechèvre, que voulez-vous dire ?

– Je veux dire, répartit la fée, que c’était un homme. Mais cet homme était loin d’être raisonnable, bien qu’il nous ressemblât un peu (comme le singe), et qu’il appartînt à l’une de ces espèces d’animaux que les fées avaient un peu civilisés sur la planète « Magique. » Il était nu, et combien velu ! Et il tenait dans la main un de ces silex tranchants dont ses semblables se servaient alors comme d’une hache. M’ayant aperçu, il s’approcha de moi, et se mit à exécuter une sorte de danse sauvage. Je prononçai alors le mot « ma » qui voulait dire « fée » en notre langue aryenne (la plus ancienne qu’on ait parlée sur votre globe). L’homme ne tarda pas à répéter « ma, ma, » comme eût fait un perroquet, et il s’éloigna en criant ce mot à tous les échos. De mon côté, j’appelais de temps à autre, et je criais mon nom : « Kara. » L’effet de nos appels ne se fit pas longtemps attendre. Dès le lendemain, l’homme revint, toujours criant : « Ma, ma » ; mais il n’était plus seul, et une fée comme moi l’accompagnait. Elle me toucha les épaules du bout de sa baguette, ce qui suffit à me guérir. Je pus aussitôt me lever et marcher ; mais ma syncope avait duré plus de huit jours, sans que je m’en fusse doutée, et mes épaules avaient été si gravement atteintes que, malgré le contact tardif de la baguette magique, je devais rester un peu bossue. C’est depuis cette époque que mon nom de « Kara » devint celui de « Karadjah, » qui signifiait en aryen « Kara la bossue, » dont vous avez fait plus tard « Carabosse. »

La fée interrompit un instant son récit pour prendre encore une prise ; elle éternua ; comme d’habitude, le vent lui répondit, et il y eut une légère oscillation du sol. Puis elle continua :

« La fée qui m’avait retrouvée me donna la moitié de sa baguette, et nous sortîmes de la crevasse où nous étions, emmenant avec nous l’homme qui avait contribué à me sauver. Nous nous trouvions sur les flancs d’une très haute montagne ; cependant, la chaleur était torride, et nous montâmes jusqu’au sommet afin de respirer plus librement. Nous pûmes nous rendre compte que le sol, qui avait été brusquement soulevé par une force colossale, était complètement bouleversé et offrait un aspect chaotique : partout, des arbres enfouis ou déracinés, d’énormes rochers à demi suspendus dans le vide, des précipices affreux s’ouvrant sous nos pas, tandis qu’autour de nous on voyait se dresser d’autres montagnes, plus hautes encore que celle où nous étions, et séparées l’une de l’autre par des gorges immenses où notre œil se perdait. Nous descendîmes du côté opposé, et nous trouvâmes, sur un contrefort où se montrait encore un peu de verdure, quelques hommes, mâles et femelles, ainsi que plusieurs animaux plus ou moins domestiqués : une chèvre, trois chiens, deux chats et un éléphant. À cet endroit, nous frappâmes plusieurs fois le sol avec nos baguettes, et nous réussîmes à faire jaillir un mince filet d’eau où les bêtes allèrent boire avidement Le lendemain, nous résolûmes de nous séparer, afin d’aller à la recherche des autres fées, et il fut convenu que nous nous retrouverions au sommet de la montagne la plus élevée de la chaîne où nous nous étions rencontrées. Trois mois après, les fées qui avaient survécu à la catastrophe se trouvaient réunies à l’endroit indiqué. On se compta : nous n’étions plus que six, et il n’y avait parmi nous aucune fée de l’air, aucune fée de l’onde. Cependant, notre exploration avait été poussée aussi loin que possible : nous ne pouvions aller, en effet, jusqu’aux extrêmes contours de la vaste chaîne, car celle-ci se trouvait entourée de tous côtés d’un véritable océan de lave en fusion, dont on ne pouvait approcher à plus de deux lieues de distance. Nous tînmes, sur notre sommet, une réunion solennelle dont la présidence fut confiée à la fée « Astra. » C’était une fée de la surface qui, comme certaines fées de l’air, s’était toujours occupée d’astronomie. Elle ouvrit la séance en déplorant l’irréparable malheur qui venait de nous atteindre, et ne manqua pas d’adresser un suprême hommage à nos chères disparues. Puis elle parla de la catastrophe et envisagea ses conséquences :

« Au moment du choc, dit-elle, la croûte terrestre, relativement peu épaisse, fut défoncée par « Magique, » qui y fit une brèche circulaire d’environ onze cents kilomètres de diamètre, et pénétra presque entièrement dans la matière en fusion que recouvrait l’écorce solide. Cette première phase du cataclysme ne dura pas plus de trois à quatre secondes. Mais, en raison de la vitesse acquise, il se produisit alors en sens inverse une énorme poussée de la matière fluide de la Terre, de sorte que l’astre « Magique » dut revenir à la surface, et émergea de nouveau presque aux trois quarts. Puis il sombra pour la seconde fois, mais ce ne fut pas entièrement ; car, tandis que, de ses parois disloquées, il laissait à son tour échapper le feu central, les eaux qui arrosaient sa surface et s’étaient écoulées au sein de la matière en fusion produisaient, sous la calotte sphérique émergeant encore, une énorme accumulation de vapeur. Cette partie de la « croûte magique » (où nous sommes précisément) continua donc à flotter, et même elle fut brusquement soulevée par la force d’expansion des gaz. Au-dessous des montagnes ainsi formées, ces gaz sont restés comme emprisonnés sous une sorte de gigantesque cloche. Leur température a dû s’abaisser ensuite, puisque la substance de « Magique, » en se mêlant à celle de la Terre, n’a pu que contribuer au refroidissement de cette dernière. Il en résulte que de nouveaux soulèvements ne seront guère à craindre dans la partie où nous nous trouvons ; quant aux affaissements, la force d’expansion des gaz souterrains suffira sans doute à nous en préserver. Ainsi, cette épave de notre astre (dernière planche de salut) est destinée à flotter ; de plus, elle restera immobile, car les courants aériens venant des parties éloignées du globe ne pourraient se diriger de notre côté sans passer au-dessus d’une immense nappe de feu, par laquelle ils se trouveraient surchauffés et seraient chassés de bas en haut jusqu’aux plus hautes régions atmosphériques. Notre sort, ô fées, est donc de rester sur ces montagnes, jusqu’au moment où, l’océan de lave qui nous entoure venant à se solidifier, nous pourrons descendre dans les plaines, et partir à la conquête de notre nouveau monde… »

– Cette dernière prédiction de la fée Astra, ajouta Carabosse, ne devait pas se réaliser avant quatre-vingt-dix millions d’années. En attendant, nous donnâmes au sommet sur lequel nous étions réunies le nom de « Gaurisankar » qui signifiait « nid de la cime, » et la chaîne dont il faisait partie s’appela « Himalaya » ou « grand berceau » : elle devait être, en effet, comme vous savez, le berceau de votre civilisation. »
 

IV

 

Assis sur un fauteuil de mousse, au bas de la tour que baignait la clarté de la lune, l’explorateur Piédechèvre avait écouté avec attention le récit de la fée Carabosse. Envahi peu à peu par une douce chaleur, il ferma les yeux et s’endormit. Mais bientôt, dans la nuit, le hululement tout proche d’un chat-huant le réveilla soudain ; la fée, toujours à la même place, eut un petit rire aigu ; puis elle continua de la sorte :

« Après soixante-quinze millions d’années, la Terre s’était sensiblement refroidie ; et, bien que la température de la surface nous semblât devoir être à peine supportable, il nous fut impossible d’empêcher les hommes, qui jusque-là étaient restés bien sages avec nous sur les hauts plateaux de l’Himalaya, de sortir de notre refuge pour aller voir les régions voisines. Or, la plupart des hommes s’échappèrent et ne revinrent plus. Qu’allaient-ils devenir ! Pendant le grand nombre de siècles que nous avions veillé sur leurs générations successives, leur intelligence ne s’était pas encore fort développée ; s’ils avaient des haches, des massues, des flèches, ces armes étaient en silex ; ils restaient nus, n’éprouvant pas le besoin de se couvrir ; leurs idées étaient encore les plus simples du monde, et, s’ils parvenaient à les exprimer, c’était en un langage monosyllabique. Quand nous voulûmes aller à la recherche des hommes, il se trouva que les éléments s’opposèrent à la réalisation de notre entreprise. (Je vous ai d’ailleurs appris que « fées et éléments vivaient comme chiens et chats »). Il ne suffisait pas à nos éternels ennemis d’avoir détruit notre astre « Magique » et sa population ; il ne leur suffisait pas d’assiéger depuis soixante-quinze millions d’années les hommes et les animaux sur le massif de l’Himalaya ; ils devaient encore empêcher les fées de sauver une foule d’hommes téméraires qui, franchissant des frontières trop étroites, avaient tenté de rayonner sur notre nouveau monde.

Hors des régions montagneuses que nous occupions, – derniers vestiges d’un monde disparu, – la terrible puissance du feu central se révélait encore à tout moment ; et si la chaleur torride qui régnait à la base de notre chaîne n’eût pas suffi à nous en convaincre, les grandes colonnes blanches qui s’élevaient au loin dans les plaines venaient constamment nous rappeler cette sage maxime : « Il n’y a pas de fumée sans feu. » Or, la catastrophe de « Magique » nous avait prouvé, une fois pour toutes, que nous n’étions pas éternelles ; six d’entre nous seulement avaient survécu, et, par le genre neutre que nous avions eu l’imprudence d’adopter, nous nous étions mises, comme je vous l’ai dit, dans l’impossibilité de nous reproduire ; aussi n’allions-nous pas nous exposer inutilement à être anéanties par le feu central qui sévissait encore avec rage sur votre globe insuffisamment solidifié.

D’ailleurs, la fée Astra, ayant retrouvé par hasard les restes de son télescope, et s’étant construit un nouvel et puissant instrument d’optique, se tenait continuellement en observation au sommet du Gaurisankar. Elle avait tout d’abord signalé les éruptions, les soulèvements, les bouleversements incessants qui se produisaient sur la croûte terrestre. Puis elle fit une autre découverte qui nous remplit de terreur. Les éléments, qui jusque-là ne nous avaient opposé qu’une fureur aveugle, avaient fini par se liguer réellement contre nous. Et, par l’union de leurs deux principes essentiels, – la Force et la Matière, – ils avaient créé cette puissance redoutable : la Vie.

Elle se développait avec une rapidité et une intensité extraordinaires. Sous une atmosphère humide et encore brûlante, en des plaines marécageuses, s’étendaient, encadrant de grands lacs, bordant des bras de mer ou de vastes cours d’eau, des forêts d’arbres immenses, qui étaient des sigillaires, des calamites, et des lépidodendrons ; il y avait aussi des fougères arborescentes et des champignons géants, aussi hauts que les sapins ou les chênes que nous avions vus à la surface de « Magique. » Au milieu de cette végétation luxuriante, vivaient des animaux gigantesques, et nous ne pûmes écouter sans frémir la description que nous en fit la fée Astra. Parmi ces monstres, fils des éléments, il y avait surtout d’énormes reptiles : le diplodocus, qui mesurait plus de vingt mètres de long de la tête à la queue ; l’iguanodon, mi-lézard, mi-kangourou, qui avait des griffes grandes comme des cornes, et se tenait debout sur la queue et les pattes postérieures ; et les terribles plésiosaures, ichtyosaures, mégalosaures. Chose effrayante, quelques-uns de ces sauriens, comme les ptérodactyles, avaient des ailes et étaient aptes au vol, tandis que de gigantesques oiseaux, appelés archéoptéryx, étaient, à leur tour, pourvus d’une queue aussi longue que celle des reptiles. De grands batraciens, – archégosaures, télerpétons, labyrinthodontes, – sortant des eaux profondes, venaient encore, au bord des lacs et des fleuves, renforcer l’horrible légion des bêtes formidables.

Cependant, la mer, qui, à l’instar du feu central, était aussi un élément déchaîné, avait successivement recouvert ou abandonné de vastes continents, et s’était avancée du côté de notre région, engloutissant tout sur son passage. Nous comprîmes bien alors que, si les hommes, qui s’étaient jadis échappés de notre massif central avaient laissé des descendants à la surface du globe, ceux-ci avaient dû être exterminés par ce nouveau cataclysme. Mais, lorsque la mer se fut retirée, la chaleur devint moins accablante autour de nous, les soulèvements se firent moins fréquents, et nous pûmes explorer les régions voisines de la nôtre. Les hommes voulurent nous accompagner dans nos explorations ; et, pour la seconde fois, la plupart nous faussèrent compagnie et s’échappèrent. Cette fois, nous allions partir à leur recherche, lorsque la fée Astra signala de nouveaux bouleversements du côté de l’Ouest.

D’ailleurs, la végétation, qui avait été submergée et détruite par la mer, devait renaître bientôt ; et, avec elle, les monstres ne tardèrent pas à reparaître. À côté des grands reptiles surgirent de puissants mammifères, tels que le paléothérium, sorte de grand rhinocéros, l’anoplothérium et le xiphodon, qui tenaient le milieu entre les ruminants et les porcs. De grands carnassiers vivaient avec ces pachydermes et leur donnaient la chasse. Puis vinrent d’énormes proboscidiens, (mastodontes ou dinothériums), des hipparions ou chevaux tridaclyles, ainsi que diverses espèces de grands singes ; plus tard naquirent les mammouths, éléphants énormes aux longues défenses recourbées, les hippopotames, les lions, les hyènes, les panthères.

Cependant, la température s’abaissant graduellement, les reptiles gigantesques disparurent peu à peu ; aux mammifères géants succédèrent des animaux de taille raisonnable. Moins grands, moins forts, moins vigoureux, les monstres créés par les éléments ne furent plus aussi redoutables. À une flore plus ordinaire correspondit une faune moins fantastique. Quand nous vîmes apparaître ces espèces d’animaux appelés ours, blaireaux, loups, renards, qui semblaient être de chétives créatures à côté des formidables carnassiers des époques antérieures, nous comprîmes que la force d’action de nos terribles adversaires avait singulièrement diminué. À notre tour, nous lançâmes à la conquête du globe les espèces qui avaient survécu à la catastrophe de l’astre « Magique, » ne gardant autour de nous que le noyau indispensable à notre œuvre civilisatrice. Les hommes partirent les premiers, suivis de quelques chiens, et emportant leurs armes en silex, ainsi que des peaux de bêtes ; puis nous lâchâmes les bœufs, les chevaux sauvages, les rennes, les moutons, les chèvres, les porcs, sans oublier des espèces d’oiseaux nombreuses et variées, parmi lesquelles il faut citer les pies et les perroquets, qui avaient déjà quelque peu l’usage de la parole. »
 

V

 

Carabosse interrompit quelques instants son récit, afin de reprendre haleine. Et elle poursuivit :

« Avec les hommes et les animaux qu’elles avaient conservés autour d’elles, les fées – à l’exception d’Astra – rayonnèrent directement dans la région de l’Inde, dont l’Himalaya constituait le massif central. Elles résolurent de donner aux hommes, qui étaient déjà capables d’associer des idées simples et de les exprimer grossièrement, la définitive supériorité sur leurs frères inférieurs. Peu à peu, les habitants de l’Inde arrivèrent à parler la langue des fées, qui était l’aryen. Longtemps encore, ils restèrent fermés à toute culture scientifique, et l’âge de la pierre continua pour eux. Mais leur intelligence se développant de génération en génération, ils devinrent plus habiles, plus pratiques, plus industrieux. Quand ils nous parurent suffisamment raisonnables, il nous suffit de leur faire connaître les avantages qu’ils pouvaient retirer de l’exploitation de certains minerais, pour qu’ils songeassent à utiliser les métaux ; ils traversèrent alors l’âge de bronze, avant d’arriver à celui du fer. Mieux armés, mieux outillés, ils ne vécurent plus exclusivement de chasse et de pêche ; descendant des grottes, creusées au flanc des monts, où les avait retenus trop souvent la peur des bêtes féroces, ils purent camper dans les plaines et y régner en maîtres ; ils commencèrent à cultiver le sol, en employant les chevaux et les bœufs comme animaux domestiques, et on les vit conduire partout de vastes troupeaux qui leur fournissaient chair et laine. Mais, toujours nomades, vivant en plein air et couchant sous des tentes qu’ils pouvaient facilement emporter, ils parcouraient d’immenses régions, émigrant surtout du côté de l’Ouest ou du côté du Sud. C’est ainsi qu’ils rencontrèrent les descendants des hommes qui s’étaient échappés lors de nos premières explorations hors du plateau central ; ils les soumirent et commencèrent à les civiliser. Cependant, un grand nombre de ceux-ci se trouvèrent, pendant des milliers de siècles, isolés du reste du monde ; car, d’une part, l’océan avait recouvert l’espace existant entre l’Europe et l’Amérique ; d’autre part, si la Méditerranée n’existait pas encore, le continent qui s’appela l’Afrique se trouvait divisé en deux par un large bras de mer qui, en se retirant plus tard, ne laissa à sa place qu’un désert brûlant et infranchissable.

Multipliés et partout dispersés, les hommes, suivant la loi de l’adaptation au climat et au milieu ambiant, formèrent lentement des races de couleur différente : blanche, jaune, rouge et noire. Une conséquence de la multiplication des hommes et de leur dispersion fut la diffusion des langues ; malgré nos sages conseils, il nous fut impossible de l’empêcher ; même autour de nous, notre langue mère s’altéra profondément, faisant place au sanscrit et au zend, si bien que l’aryen finit par nous rester pour compte. En outre, les hommes se groupèrent partout en petites tribus qui ne connaissaient pas de frontières ; comme elles se rencontraient au hasard d’une existence nomade, l’instinct du pillage les poussait à se livrer des combats acharnés. Ne suffisant plus à leur tâche, et voulant à tout prix assurer à l’humanité une paix relative, les fées décidèrent de former de vastes groupements de tribus, unies entre elles par une communauté de langue, de croyances et de coutumes. Pour arriver à ce résultat, elles eurent recours à l’intermédiaire de certains hommes prédestinés, dont elles firent des « pasteurs de peuples. » Les uns furent des sages, comme Çâkya-Mouni, Confucius, Moïse ; d’autres furent plutôt de grands conquérants ou d’habiles chefs d’états, tels qu’Alexandre, César, Auguste, Charlemagne ; certains d’entre eux abusèrent cependant de leur pouvoir et devinrent de véritables fléaux, comme Xerxès, Néron, Attila.

Quand les hommes eurent atteint un certain degré de civilisation, la fée Astra descendit du Gaurisankar, où elle était restée en observation depuis tant de milliers d’années, et se mit à parcourir les divers pays, en commençant par ceux de l’Occident. Grâce à des transformations multiples, elle apparut aux peuples sous les aspects les plus variés, et répandit autour d’elle la science et le progrès ; non contente d’exercer sur l’humanité une influence directe, elle suggéra à des savants, à des ingénieurs, à des ouvriers, les plus étonnantes découvertes comme les inventions les plus utiles. Les hommes – auxquels nous avions donné déjà de suffisantes notions de mathématiques – apprirent les lois de la gravitation universelle, celles de la physique et de la chimie, celles de l’évolution des espèces ; ils découvrirent l’imprimerie, la poudre, perfectionnèrent la métallurgie, inventèrent successivement la locomotive, l’éclairage par le gaz et l’électricité, le télégraphe, le téléphone, l’automobile, la télégraphie sans fil, les ballons dirigeables et les aéroplanes. Vainqueurs des ténèbres et de l’espace, ils luttèrent aussi avec succès contre les maladies et les épidémies, firent des progrès extraordinaires en chirurgie, et trouvèrent des sérums qui eurent raison de fléaux redoutables tels que la rage, la peste et le choléra.

– Grande fée, dit Piédechèvre, je comprends maintenant ce que vous doit l’humanité. Vous l’avez élevée ; vous lui avez donné le moyen de lutter contre les éléments, qui étaient ses ennemis et les vôtres ; grâce à votre sollicitude infatigable, grâce à votre pouvoir supérieur, qui est l’omniscience, vous nous avez permis de les vaincre, de les soumettre, de les utiliser. Ainsi le Mal est-il devenu le Bien. Mais d’où vient, s’il vous plaît, que trop souvent le Bien soit devenu le Mal ? Parmi les inventions dont nous sommes redevables à votre ingéniosité, vous avez cité la poudre, et je crois bien qu’il s’agit de la poudre à canon. Ne pensiez-vous pas que les hommes s’égorgeaient suffisamment avant de la connaître ?

– Il est certain, répondit la fée, que l’emploi de la poudre a rendu la guerre plus meurtrière ; des explosifs puissants, des armes à tir rapide, des cuirassés formidables l’ont rendue, de nos jours, plus meurtrière encore. Ce n’est pas tout : grâce aux aéroplanes, ces merveilleux oiseaux destinés à vous rendre maîtres de l’espace, il ne tiendra qu’à vous d’avoir des batailles célestes, comme vous avez eu si fréquemment des combats navals. Mais sachez que c’est là un effet de notre sage prévoyance ; ne parvenant pas à faire régner la concorde entre les nations, nous avons résolu de leur imposer la paix en leur donnant de tels moyens de destruction que, dans un avenir très rapproché, la guerre sera devenue impossible. Ainsi le Bien restera le Bien, et le Mal sera guéri par le Mal. »

Piédechèvre remercia Carabosse, qui lui avait expliqué tant de mystères. Mais elle n’ajouta rien ; le silence se fit. Or, à ce moment, l’aube commençait à poindre, et, comme il levait la tête, l’explorateur s’aperçut que la fée avait disparu. Il se souvint alors des premières paroles qu’elle lui avait adressées : « Vous ne me verrez qu’à la clarté de la lune. » C’est pourquoi il se leva et s’en alla, tandis que les premiers chants des oiseaux annonçaient le lever du soleil.
 
 

 

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(Emmanuel Foury, in Le Moniteur d’Issoire, journal d’informations générales, trente-neuvième année, n° 3 et 5, mercredis 17 et 31 janvier 1912, n° 9, 12 et 13, mercredis 6, 20 et 27 mars 1912 ; Paula Rego, « Carmen et l’oiseau, » sérigraphie, 1997 ; gravure de John Dickson Batten pour More English Fairy Tales, 1894)