DES ŒUFS DE 20 MILLIONS D’ANNÉES

 

La science pourra-t-elle un jour

ressusciter les monstres disparus ?

 

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Notre planète n’a-t-elle plus pour nous de secrets ? et quelque explorateur heureux et hardi ne découvrira-t-il pas un jour, dans quelque coin ignoré des déserts asiatiques, du centre africain ou de l’Arnazonie, ce monde perdu, peuplé d’étranges créatures, qu’ont évoqué Conan Doyle et l’auteur des Dieux Rouges ? Peut-être M. Andrews, nouvel as de la paléontologie, est-il marqué pour cette heureuse chance ; vaguant en plein désert de Gobi, – région dont ni le sol, océan de sables agité de constantes tempêtes, ni le climat, torride ou glacial, ne font un agréable lieu de villégiature, et, en dehors de quelques itinéraires, assez mal connue, – le savant professeur du Muséum new-yorkais a fait une découverte sensationnelle : deux douzaines d’œufs de dinosauriens, et, près de la couvée, sous la forme de douze squelettes complets et de soixante-dix crânes, les restes plus ou moins bien conservés des parents et de leurs amis… À aucun naturaliste n’échut pareille aubaine. Et sans doute, rival heureux de notre Muséum, qui n’a qu’un diplodocus, l’Institut américain pourra-t-il exhiber tout un troupeau de prodigieux sauriens.

La vision sera faite pour reporter les visiteurs aux premiers âges de notre planète ! À son aurore ? Point tout à fait, mais du moins à l’aurore de la vie animale… Dans les tristes forêts (de prêles, de fougères, de rhododendrons gigantesques) que n’égayait nul babil d’oiseau, mais où passaient, silencieux, des insectes d’un mètre et plus d’envergure, se mouvait une étrange faune que, hasard ou souvenir obscur hérité d’ancêtres qui en avaient vu les derniers représentants, ont retrouvée dans leurs visions les évocateurs d’apocalypses.

Point d’homme alors, et nulle bête à poil ou à plume ; le monde est le royaume des sauriens… Aujourd’hui, nous ne connaissons guère que deux espèces de cette classe de reptiles : l’inoffensif lézard et le féroce crocodile. Voici une vingtaine de millions d’années, ces gracieuses bêtes foisonnaient ; leurs espèces étaient innombrables.

Dans les mers, alors bien plus vastes qu’aujourd’hui, s’ébattaient le plésiosaure au cou immense, à la petite tête serpentine, et le monstrueux ichtyosaure, à la tête énorme, à la nageoire dorsale hérissée comme la crête d’un dragon chinois.

Sur le continent, les iguanodons, petites bêtes de cinq à dix mètres, au bec corné ; les dinosauriens (tel le diplodocus et l’atlantosaure) dont la dimension pouvait atteindre trente mètres à soixante mètres et dont la tête de cheval était munie d’une double rangée de dents ; enfin, matérialisation, semble-t-il, du rêve d’un magicien fou, le fantastique cératopsidé. Celui-ci, sorte de rhinocéros long de six mètres, projetait, au bout d’une tête garnie de trois cornes, couverte d’un casque s’évasant sur le cou comme celui d’un guerrier mongol, un formidable bec courbe garni de dents.

Peu agréable rencontre à faire au coin d’un bouquet de fougères !

Les hôtes de l’air, même, n’étaient pas plus gracieux… Ni le ptérodactyle, grand comme un moineau, ni le ptéranodon, auprès duquel le condor qui
 

Dort dans l’air glacé les ailes toutes grandes,

 

n’est qu’un pygmée, n’eussent inspiré aux poètes, s’il en eût été, d’idylliques pensées. Décharnés, sinistres, ils étaient tout ailes, griffes, becs et dents.

Si l’on pouvait faire éclore les œufs trouvés par M. Andrews, peut-être d’ailleurs nouveau-nés vingt mille fois centenaires ne ressembleraient-ils nullement aux êtres décrits ainsi par nos savants. Ce serait un miracle, et la science officielle n’a pas à redouter pareille disgrâce.
 
 

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(Léon Abensour, « De Tout un peu, » in La Dépêche, journal de la démocratie, cinquante-quatrième année, n° 20111, samedi 17 novembre 1923 ; l’illustration est extraite de l’article)

 
 

 

ISIDORE BOULNOIS : LES ŒUFS DES GRANDS SAURIENS

 

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Personne n’ignore que, jadis, à l’époque tertiaire, – ceci nous reporte bien loin, – la terre fut peuplée de grands sauriens, tels que plésiosaures, ptérodactyles, etc., dont la race a complètement disparu aujourd’hui. C’est à peine si, de temps en temps, les géologues retrouvent de vagues os ou autres vertèbres ayant appartenu à ces intéressants volatiles. Or, dans ces temps lointains, les basses-cours n’existaient pas et les sauriens, qui vivaient en liberté à la surface du globe, déposaient de-ci de-là leurs œufs, au gré de leurs pérégrinations. Ces œufs ressemblaient, en tous points, à ceux que pondent nos animaux actuels ; j’entends, bien entendu, les ovipares.

Ces œufs, on en ignora l’existence jusqu’à ces jours-ci, ce qui n’a rien d’étonnant, étant donné qu’il s’est passé tant de choses depuis lors. Tant de cataclysmes ont bouleversé le monde ! Il a dû y avoir de la casse, puisque les sauriens ignoraient l’usage de la paille.

Mais on vient de trouver dans un pays lointain, je ne sais pas où exactement, des pierres rondes ressemblant à des cailloux roulés, mais qui présentaient ceci de particulier que, pareils aux calculs, ils étaient formés de couches concentriques, résultant de dépôts successifs.

Le savant qui, par hasard, avait découvert ces pierre, eut l’idée de les couper et, à sa grande surprise, il s’aperçut que c’étaient des œufs, sur lesquels s’étaient formés des dépôts calcaires.

Les uns, probablement, ayant été si réchauffés au moment d’une éruption quelconque, avaient durci et s’étaient conservés tels. Il en a goûté ; ils sont encore exquis.

D’autres, ayant été soumis à une température plus douce, sans doute, avaient été couvés par la nature, comme par une mère ; mais les petits, n’ayant pu rompre l’enveloppe trop épaisse, sont morts étouffés avant d’avoir vu le jour…

Et voici comment disparut de notre planète la race des grands sauriens du Tertiaire.

La science fait tous les jours de nouveaux progrès.
 
 

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(Gobélius [Isidore Boulnois], « Fantaisie, » in L’Observateur français, dixième année, n° 3, dimanche 19 janvier 1896 ; Dorothy Gulliver, photographie publicitaire pour la série The Collegians de Wesley Ruggles, 1926)