CHAPITRE VI
L’AVION DES SANSARS EN ROUTE VERS LA COMÈTE SANGLANTE
À cette époque, les comètes étaient très peu connues des Sansars.
La comète est le plus mystérieux et le plus beau des habitants des cieux. Elle traverse l’espace solaire sans obéir à ses lois planétaires ; elle passe, étincelante, longue de millions de kilomètres, puis disparaît, peut-être pour un temps, peut-être pour toujours.
Nul être humain n’a jamais pu percer son secret. Nos rares connaissances sur elle se résumeraient succinctement ainsi : sa lumière est intrinsèque, elle émane d’elle-même, non du Soleil ; elle se compose de trois parties : la tête, le noyau et la queue. La tête, ou coma, est la plus importante de sa partie visible ; c’est une boule de lumière transparente. À sa suite se trouve une tache brillante : le noyau. La superbe écharpe de brume étincelante qui émane de la tête et balaie le firmament, constitue la queue. Nous savions tout cela, mais nous ignorions la nature de la comète, son but et la raison de son passage à travers le ciel au cours de sa visite au système solaire.
Le pays des Sansars tout entier attendait la Comète Sanglante.
Lorsque les observatoires lunaires annoncèrent son approche, nous nous préparâmes. L’avion fut inspecté une dernière fois, révisé jusque dans ses moindres détails. Les Sages et les astronomes ne quittaient plus les observatoires et nous attendions le terrible visiteur.
Possédant une civilisation plus avancée et des télescopes plus puissants, la Lune l’avait aperçue la première et nous avait prévenus que c’était la plus effrayante comète qui ait jamais fréquenté les cieux.
Elle entra enfin dans notre champ visuel. D’abord à peine perceptible, tête d’épingle rougeoyante, semblable à une étoile de la dernière grandeur, sa visibilité croissait rapidement jusqu’à ce qu’elle devienne aussi lumineuse qu’une planète. Après quelques nuit d’approche, elle apparaissait semblable à une goutte de sang prête à tomber du ciel. Le mystère et la puissance des comètes s’augmentaient de son aspect lugubre et angoissant. Les observatoires de la Lune nous firent connaître la durée de sa révolution sur son orbite : un million d’années. Nous calculâmes les profondeurs de l’espace traversées par elle et il nous sembla qu’elle venait des confins mêmes de l’univers. Elle nous impressionnait, non seulement par sa taille, mais par son aspect malfaisant, sa lumière rougeâtre, sanglante, sinistre. Pour le peuple des Sansars, elle représentait un messager fatal et terrifiant.
Pour moi, c’était le destin qui approchait. Je passais mes nuits à surveiller sa progression vers la Terre. Lorsque j’aperçus la splendeur de sa queue, je m’extasiai comme tous les Sansars. Cette comète donnait à la fois le spectacle le plus merveilleux, le plus affreux et le plus terrible que j’aie jamais contemplé. La nuit, elle paraissait aussi grande que la Lune elle-même, rouge sang, telle une plaie au flanc du ciel, laissant échapper derrière elle, en une large bande lumineuse, une giclée de sang. Le noyau étincelait, projetant ses dards de flammes et ses rais concentriques de lumière vers le coma ; celui-ci les renvoyait sur la longue traîne pourpre qui, effrayante, se drapait sur l’ombre.
Le spectacle suffisait à terroriser même un astronome ; il était pour un ignorant le présage de la mort elle-même. Je puis dire sans exagérer que le monde polaire tout entier fut pris de panique.
Je m’étais toujours intéressé aux comètes, mais celle-ci m’hypnotisait, me fascinait. Je la voyais émerger de l’infini comme si elle avait pour mission de fournir une preuve éclatante de mes théories. Si je pouvais seulement l’atteindre, j’établirais, j’en étais sûr, une des grandes lois de l’Univers.
Les astronomes travaillaient avec moi ; chaque nuit, nous procédions aux analyses spectrales, nous prenions des photographies et accumulions les éléments d’information. Nous fouillions chaque détail avec une rigueur mathématique. D’après ma théorie, cette supra-comète n’était qu’un ion de la matière cohérente. Nous nous préparâmes en vue du moment où elle traverserait l’orbite de la Terre. Je devais prendre mon envol dans l’avion interstellaire quarante-huit heures avant son passage au point de sa trajectoire le plus rapproché de la Terre. Grâce au moteur atomique et aux hélices électriques, ces quelques heures suffisaient pour parcourir cet espace. Je devais approcher de la comète autant qu’il me serait possible et emporter des instruments pour relever toutes les données scientifiques.
Mon départ marquait une date importante à Sansar. Toute la population polaire rassemblée dans la capitale attendait le départ de l’avion. La proclamation annonçait que je partirais une certaine nuit, accompagné d’un aide. Pendant une semaine, les gens dormirent dans les rues encombrées par les foules effrayées et tremblantes de Sansar.
Je désirais partir le soir, au moment où l’astre donnant le plus d’éclat, je pourrais me diriger à sa clarté. Il était devenu tellement énorme et rougeoyait si fort que sa lueur sinistre empourprait la nuit.
Je n’oublierai jamais cette nuit-là : l’air immobile et pesant, le ciel rouge, les foules massées à perte de vue sur le terrain de départ, la musique des orchestres, la sollicitude de mes amis, des Sages. C’était un jour historique pour les Sansars, une date dans la lignée des Alvas. En cas de succès, je dépasserais de loin toutes les réussites scientifiques de mes ancêtres. Je ne craignais rien. J’avais la belle confiance d’un jeune homme enfin au seuil de l’aventure. Mon éducation de courage et d’audace portait ses fruits. S’il était possible de traverser l’éther, sans aucun doute j’approcherais de la comète. L’éther ne m’effrayait pas.
Pour accomplir mon voyage, je disposais de quarante-huit heures. Je savais que la fantastique vitesse de l’avion à propulsion atomique me permettrait de réussir.
Je projetai d’approcher de la comète, de suivre parallèlement sa course et d’observer alors la tête ou coma, et si possible le noyau.
Je voulais également me poser sur la comète si je pouvais le faire sans risquer l’anéantissement, et si elle offrait un terrain suffisamment solide pour me supporter. En effet, il se pouvait fort bien qu’elle soit composée uniquement de rayons lumineux et de courants électriques.
Si je ne pouvais pas atterrir, je reviendrais directement vers la Terre. Cela me prendrait peut-être cinq jours en tout. Qu’allais-je rencontrer ? Les dangers me guettaient par milliers. Entre autres, les terribles tempêtes de météorites ; je pouvais me trouver écrasé dans leurs tourbillons. Je pouvais aussi me faire prendre dans des courante inconnus, des orages magnétiques, des forces cosmiques ignorées, que sais-je encore ! Tout pouvait arriver. Par exemple, ma destruction ne faisait pas de doute si la tête de la comète était constituée par un bombardement de particules atomiques. Je devais conserver un contrôle absolu des commandes de l’avion ; car, en dépit de sa solidité, il ne pourrait supporter le choc des aérolithes projetés à la vitesse de boulets de canon.
Je tenterais la chance. D’ailleurs, j’avais confiance dans mes calculs. Je ne craignais pas la tête de la comète ; quoique terrible, elle ne pouvait pas me blesser. Le danger résidait dans le noyau. La tête n’était, je pense, que l’effet de la radiation de la lumière – un immense coma projeté par le noyau. Ce dernier représente le cœur de la comète ; il a toujours défié tous nos calculs. J’appréhendais son mystère, mais j’attendais ses révélations pour me faire une opinion. Je verrais peut-être de la matière en fusion ou un nœud de forces électriques, ou bien j’assisterais à une explosion atomique. Y trouverais-je le secret de la cohésion ?
Au dernier moment, juste avant de partir, j’éprouvai une première déception.
L’avion pouvait contenir deux personnes et je comptais emmener un compagnon pour m’assister et partager les fatigues du voyage. J’avais choisi un astronome réputé à peu près de mon âge, enthousiasmé de partager mon aventure. Au dernier moment, je dus renoncer à lui.
Une fois les appareils scientifiques et autres embarqués, on découvrit qu’il restait à peine assez de place pour une personne. Que faire ? Renoncer au voyage ou l’entreprendre seul ? Problème affolant. Terrifié par ce que serait ma solitude, j’optai quand même pour le départ.
Avant de m’embarquer, je jetai un dernier regard sur la Terre et sur Sansar : les reverrais-je ? Puis je pénétrai dans l’avion, fermai la porte et donnai le signal. Un instant après, je fendais l’espace comme un bolide.
Au début, je fis grande attention aux commandes, car la partie la plus délicate du voyage est la traversée de l’atmosphère. Une fois sorti de là, je n’aurais plus à craindre les dangers du frottement contre l’air. Je fus donc tout d’abord très absorbé.
Pour ceux qui demeuraient derrière moi, le départ de l’avion dut ressembler à la lancée d’un projectile géant si rapide qu’il était impossible de le suivre des yeux. L’avion s’éloignait suivant une tangente à la Terre ; bien que le fond de la cabine fût devenu un des côtés, je ne ressentis pas le moindre inconfort grâce au courant antigravitationnel qui circulait sous le plancher. Au moyen d’un simple bouton, j’avais libéré la force qui commandait ma propre gravitation. Si je l’avais voulu, j’aurais pu voler la tête en bas. C’était là un des grands avantages de l’énergie atomique. Une fois lancé dans l’éther, l’avion restait absolument indépendant de la gravitation.
Il me fallut deux minutes pour traverser la zone de frottements atmosphériques. Ensuite, je pénétrai dans l’éther. J’entendais le bourdonnement caractéristique des moteurs atomiques générateurs de notre mouvement. Dans cette région relativement sûre, je ne courais plus que le risque d’être frappé par un météore. Je me permis un coup d’œil sur la Terre.
J’aperçus un océan rougeâtre : la Terre baignait dans cette luminescence funèbre. Au-dessus de moi, la comète répandait la même lueur lugubre. L’atmosphère entière se teintait de rouge. Étrange et sinistre spectacle !
Enfin, ma montre indiqua le matin. Je baissai les veux et fus étonné de l’intense rayonnement projeté par la comète. Jamais je ne m’étais élevé assez haut pour avoir une vue d’ensemble du globe terrestre. Je le voyais maintenant tel une boule rouge, baignée par les rayons de l’astre chevelu. Environné de nuages et strié d’ombre à l’emplacement des régions torrides, il montrait des contours précis dans une atmosphère claire aux pôles. Je situai le continent de Sansar et même, de façon très précise, la capitale de mon pays.
Jusqu’à trois heures, rien à signaler. L’indicateur de vitesse cliquetait régulièrement ; le tableau sur lequel s’inscrivait la position de l’avion révélait la vitesse effarante de ma course. Bien que la température extérieure fût de 500 degrés au-dessous de zéro, je me trouvais parfaitement à l’aise. Autour de moi, le silence. Pas une vibration. Je devais être dans un demi-sommeil lorsque la chose arriva, et j’ignore encore comment elle se produisit.
Le silence fut déchiré par un sourd grondement, semblable à un coup de canon lointain. Le bruit se reproduisit, suivi de grincements, de crissements. Puis, de nouveau, le silence. Réveillé en sursaut, je regardai autour de moi. Rien. Avais-je traversé un banc de petits météorites ou un faisceau d’une énergie inconnue traversant l’éther ? Je ne sais. Toujours est-il que je tâchai alors de rester éveillé.
Cela n’était guère facile. Malgré la nouveauté du voyage, le premier jamais entrepris par un homme, je trouvais difficile de résister au bourdonnement monotone des machines atomiques. Toutefois, je m’ingéniai à maintenir ma pensée en activité et à laisser vagabonder mon imagination.
L’approche de la comète me fournissait assez de sujets de réflexions. Qu’y découvrirais-je ? Quel serait mon sort ? Je pensai que mon expérience défiait tout calcul raisonné. Si les moteurs atomiques tombaient en panne, ferais-je une chute sans fin dans l’espace ? Que deviendrais-je ?
À la trentième heure, la Terre prit à mes yeux la proportion d’une grande étoile avec la Lune pour sœur jumelle. Par ailleurs, l’Univers semblait entièrement occupé par la comète. Le coma atteignait la taille d’une roue de charrette, prenait la forme d’une grande balle tournoyante, cramoisie. Il me semblait que je la sentais bouger ; même à cette distance, elle me terrorisait. Ses rayons rouges s’infiltraient dans l’espace et le couvraient de leur tyrannique beauté. Leur lumière envoyait des vibrations, des pulsations. Je croyais voir un monstre rouge, énorme, vivant, tout-puissant, inconcevable pour l’homme. Jamais une telle débauche de somptueuse lumière n’avait étalé ses fastes aux yeux d’un humain !
J’attendais toujours. Les heures passèrent. Je montais la garde. Quel rêve de folie, quelle destinée extraordinaire m’avaient amené à cette apogée ? Tout se confondait dans un océan de pourpre ; partout la lueur rouge, la splendeur rouge, au centre de laquelle se dessinait l’incandescence de la comète toujours plus proche. Quel mystère que l’Univers ! Ce phénomène incroyable progressait depuis des millions d’années sans jamais en toucher les bornes ! D’où venait-il ? Où allait-il ?
Les dernières heures furent terribles. La lumière devenait si intense que je croyais regarder le soleil en face. Le coma remplissait maintenant la moitié du ciel ; rouge, tournoyant, palpitant, ce tourbillon de flammes ardentes paraissait un immense océan embrasé de feu. À l’intérieur de l’avion, je n’entendais rien ; mais je sentais comme un courant continu de terribles explosions. Pure imagination ou réalité ? Il était presque impossible à un pareil moment de conserver des pensées claires.
J’avançais toujours, appuyant sur la gauche pour éviter de toucher le bord de la comète. Je voulais m’approcher jusqu’à un certain point, puis adopter une course parallèle à la sienne et me laisser dépasser. De cette façon, j’imiterais la manœuvre d’un piéton désireux d’attraper une voiture en marche. Je devais faire attention à ne pas m’approcher plus que nécessaire.
Je consultai la carte du voyage, un tableau électrique dont les lignes indiquaient les millions de kilomètres ; une lumière rouge précisait le trajet et la position de la comète, une verte le chemin à suivre par l’avion. Au moment où la lumière verte traverserait le dernier carré, je ferais marche arrière et j’attendrais les conséquences. Dès à présent, j’avais perdu tous moyens d’évaluation visuelle des distances. Devant moi s’étendait un vaste océan de flammes rougeoyantes.
Lorsque j’eus dépassé la ligne délimitant les derniers 1000 kilomètres, j’abaissai la manette et libérai le courant.
Mon geste provoqua un chaos de tourbillons aveuglants et d’incroyables secousses. Comme frappé par la foudre, l’avion roulait sur lui-même, affolé, privé de direction, et il était attiré juste sur la tête de la comète. En l’éclair d’une seconde, je ressentis des impressions confuses, effrayantes, indescriptibles, dont il ne me reste plus qu’une vision d’horrible éblouissement, de terreur sans bornes et de totale impuissance. Un grondement pire que le tonnerre m’assourdissait, à croire que l’Univers éclatait en morceaux… Je m’étais trompé de courant et la comète m’aspirait à une vitesse inimaginable.
En cette unique seconde, je compris dans mon corps et dans mon esprit la raison de ce phénomène. Bien que je fusse frappé d’impuissance, ma main experte fit le geste sauveur. Je pressai l’autre bouton. Aussitôt, je fus repoussé par la comète. Quelle folie ! Dépendre du hasard et de la manœuvre d’un bouton ! Si je n’avais pas inversé la manœuvre à temps, j’aurais été anéanti. Les parois de l’avion étaient de mauvais conducteurs calorifiques et, pour ainsi dire, impénétrables à tous les extrêmes de froid et de chaleur ; néanmoins, je n’aurais pas existé un centième de seconde de plus dans le terrible coma. Heureusement, j’en fus rejeté très loin, à des milliers de kilomètres. Lorsque je retrouvai mon équilibre, l’avion volait parallèlement à la comète.
J’avais fait une importante découverte ; le coma d’une comète est de nature électrique ; sa lumière est produite par la décharge visible d’électricité, émise sans aucun doute par le noyau.
Pendant quelque temps, je naviguai de concert avec la comète. Les moteurs atomiques fonctionnaient parfaitement, ainsi que le courant antigravitationnel. J’étais à l’aplomb de la comète et aussi à l’abri de son influence que si j’étais éloigné de millions de kilomètres. Les commandes obéissaient parfaitement.
D’après la carte, ma trajectoire était parallèle à celle du gigantesque coma. Une rouge luminescence teignait l’Univers tout entier. Spectacle infernal, mais fascinant ! Des tourbillons de flammes vibraient et palpitaient. Le coma semblait vivant, alimenté par un feu intérieur ; sa surface se transformait constamment en énormes fulgurances, d’où surgissaient de pourpres incandescences.
Pendant une heure, je poursuivis mon vol, notant les observations que je devais analyser à mon retour sur Terre.
J’avais prouvé ma théorie concernant la tête de la comète : une boule transparente à distance et d’un éclat insoutenable à proximité, une agglomération de forces divergentes dont la lumière, de nature électrique, était formée d’ions actifs projetés à une vitesse effarante – non par la simple vitesse du courant électrique, mais par celle d’un vaste corps matériel.
Mes théories n’étaient inexactes qu’en un point : le coma n’était pas inoffensif. Je suis en mesure d’affirmer que si la tête d’une comète heurtait la Terre, c’en était fini de cette dernière. Depuis les débuts de la science, nos astronomes faisaient des hypothèses sur les conséquences éventuelles d’une pareille collision ; leurs avis étaient partagés.
La Terre avait traversé à plusieurs reprises, et sans dommages, la queue d’une comète. D’aucuns prétendaient que le risque n’était pas plus grand en cas de rencontre avec la tête ou coma ; seul le noyau était à craindre.
Le noyau recelait donc le secret. J’avais étudié au télescope les protubérances et les grands cercles concentriques de lumière projetés dans le coma. Les décharges l’électrisaient. Mais le noyau d’où provenait le phénomène, qu’était-il ? Il n’existait encore aucune théorie cohérente sur la substance de la comète. Le noyau en était le cœur ; j’en découvrirais la nature secrète.
Je résolus de me laisser dépasser par la tête et d’arriver à la hauteur de la queue. Cette simple traînée lumineuse, je le savais, ne présentait aucun danger. Je la suivrais et pénétrerais dans le noyau. Ensuite ? Les circonstances me dicteraient ma conduite.
Je réduisis la vitesse, tins les commandes et attendis, pendant qu’à mes côtés déferlaient les torrents rougeâtres. Sur la carte, la lumière verte, indiquant ma position, s’éloignait de la comète. Moment d’attente…
La comète me paraissait proche de quelques mètres, et cependant je savais que des milliers de kilomètres m’en séparaient. La tempête rougeoyante, bouillonnante, me dépassait. Il n’y eut jamais rien d’aussi terrible ni d’homme aussi fasciné. J’attendais le moment de plonger dans le cœur de la comète.
Enfin, le coma me dépassa et je vis sur la carte que j’atteignais la queue. La lumière perdait de son intensité et, quoique toujours aussi vivement colorée, devenait moins opaque. Tout à coup, juste derrière le coma, j’aperçus le noyau éclatant comme un rubis ou un charbon ardent. D’un rouge sanglant, il brûlait tel un volcan en éruption. Comparé aux autres parties de la comète, il paraissait petit, mais d’une incandescence telle que le reste tombait dans l’ombre.
Parvenu tout près, j’accélérai et me jetai à l’intérieur. La queue ne m’effrayait guère, mais le noyau… voilà l’inconnu terrorisant et super dynamique ! J’essaierais simplement de m’en approcher assez pour en examiner la matière et me tiendrais alors pour satisfait.
La queue était ce que j’avais deviné : une traînée inoffensive dans laquelle l’avion pénétra sans dommage. La densité d’une queue de comète, si elle est matérielle, est si faible qu’on pourrait en condenser un million de kilomètres dans le creux de la main. Quelques minutes plus tard, j’approchais du cœur de la comète.
Je fis preuve de prudence. Au lieu de me diriger en ligne droite, j’approchai de l’arrière par de sages détours en décrivant des cercles de plus en plus petits. J’aperçus le noyau : rond, entouré d’un anneau de couleur encore plus intense, il paraissait très petit, un point en comparaison du reste de la comète ; il ne devait guère dépasser un diamètre de cent kilomètres. Vu par l’arrière, il paraissait sans danger.
J’approchai. Rassemblant mon courage, j’atteignis un point d’où j’espérais voir nettement les décharges émises par le noyau.
Je me trouvai alors exactement sous le gigantesque coma, regardant vers le cœur de la comète situé sous moi.
Pour user de métaphores, je dirais que je voyais une masse de feu solidifié. Les éclairs, ou halos, qui montaient vers le coma se détachaient du noyau en ronds concentriques dont l’intensité pourrait se comparer à de l’électricité liquide en ébullition. Ils étaient éblouissants, vertigineux, incomparables : une puissance génératrice de vie dépassant l’imagination, une roue tournoyante, des profondeurs de laquelle jaillissaient les spirales giratoires de gloire fulgurante enveloppant le coma.
Je constatai que les éclairs restaient inoffensifs tant qu’on se maintenait hors de leur contact ; peu après, je m’aperçus que les spirales de courant comportaient une brèche comme l’anneau. En manœuvrant, j’amenai l’avion face à la brèche de l’anneau extérieur, pour me permettre d’en voir l’intérieur. Si l’occasion se présentait, je volerais droit au cœur de la comète !
Je suivais la rotation de la brèche, large d’une trentaine de kilomètres ; je m’accoutumais peu à peu à la lumière intense et, enfin, je pus observer avec netteté. Cette vision surprenante me donna des raisons de croire que la merveilleuse comète pourrait bien n’être en substance qu’un météore gigantesque. Je mis l’avion en position et le lançai à travers la brèche.
Un éclair aveuglant d’une seconde au moment de mon passage, puis un temps mort, et enfin une sensation de lourdeur. Les moteurs atomiques émirent le bourdonnement caractéristique dû à leur lutte contre le frottement atmosphérique. De l’air ? Était-ce possible ?
(À suivre)
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(Austin Hall, traduit de l’américain par Lola Tranec, in Carrefour, sixième année, n° 253 et 254, mercredis 20 et 27 juillet 1949)