L’automobile sous-marine. – La lutte contre les monstres. – Un continent englouti.
Mon ami, le docteur Markhof, n’était peut-être pas fou à lier (et je réponds de sa sobriété) le jour où, pris d’un enthousiasme prophétique, il écrivit le récit de la future découverte de l’Atlantide, ce mystérieux continent englouti depuis des milliers d’ans, au dire des auteurs anciens et de Platon lui-même. Son récit constitue, en tout cas, un document trop original pour que j’hésite une seconde à le communiquer au lecteur. Le voici :
Au XXIe siècle – L’Atlantide
Que d’événements grandioses aura vus cette année 2004 ! La transmutation universelle de la matière, l’ébauche de communications par photogrammes avec les habitants de la planète Mars et la découverte de l’Atlantide.
La découverte de l’Atlantide ! L’exhumation de ce continent disparu, immergé en un jour et une nuit dans les profondeurs océaniques, au dire des anciens prêtres égyptiens !
Et cette découverte a été accomplie par un fils d’Athènes : Périclès Autadelphe.
Le départ d’Autadelphe
Autadelphe avait l’avantage d’être riche. Il travailla pendant trois ans à la création de son automobile sous-marine. Un matin, les matelots et promeneurs réunis sur le Pirée virent soudain s’élancer du port, plonger dans la mer et disparaître une sorte de créature fantastique, telle qu’ils n’en avaient jamais vue.
Qu’on se figure un œuf de verre long de cinq mètres sur deux et demi de large, aux extrémités terminées en pointe et revêtues d’acier, avec une sorte de crête métallique mince et tranchante.
Les gens du Pirée aperçurent, l’espace d’un éclair, Périclès Autadelphe, assis au centre de l’engin sur un siège, la main à une barre semblable à celle d’une automobile.
Propulsé par une puissante force motrice, l’appareil n’avait pas besoin de roues pour filer avec une vitesse de deux cents kilomètres à l’heure, à la surface de l’eau, par un temps calme, vitesse qui diminuait au fur et à mesure de l’immersion.
Dans les profondeurs océaniennes
En quittant le Pirée, Autadelphe avait mis le cap droit sur l’île Égine. Son auto courait sur le fond de la mer, à une profondeur moyenne de soixante-dix mètres, fendant la nappe d’azur au grand effarement des crustacés et zoophytes.
Grâce à sa boussole, Autadelphe s’orientait facilement dans ces profondeurs sous-marines.
Un quart d’heure après son départ du Pirée, le sol sur lequel glissait l’auto se relevait par une pente sensible, coupée de crevasses et semée de végétations. C’était le plateau sur lequel repose l’île Égine qui surgissait peu à peu du fond de la mer.
Alors, Autadelphe tourna la manette d’un commutateur. L’esquif, cessant de courir horizontalement sur le fond de la mer, se releva obliquement pour fendre les flots et remonter à la surface.
Comme il remontait, Autadelphe aperçut autour de lui le fond de la mer tapissé d’or. Peut-être le trésor de quelque galère vénitienne ou génoise, coulée jadis par des pirates et reposant, inutile, au fond de la mer depuis des siècles. Jadis, tout explorateur eût cherché à s’en emparer, mais en l’an 2004, l’or n’était plus nécessaire à la vie de l’humanité !
D’énormes poissons aux yeux ronds, des thons et des congres monstrueux, regardaient passer l’auto et, par moments, venaient frapper ses parois de leur queue. Mais les parois étaient épaisses et aucun choc de ce genre ne les eût brisées.
La cité engloutie – Au milieu des monstres
Le même soir, – au milieu de cet azur sombre qu’illuminait le réflecteur, – l’auto arrivait à quelques milles au sud du cap Spartivento, jetant l’effroi dans une bande de requins. Par une profondeur de cent dix mètres, il frôlait maintenant les restes d’une cité engloutie. Cité que l’histoire des hommes n’a, sans doute, jamais connue ! Des fûts de colonnes gisaient, brisés. Quelque chose comme une porte d’airain était enfoui sous ces débris de colonnade. Des animaux difformes, aux tentacules de pieuvre et au corps gélatineux, s’y cachaient de la poursuite d’autres monstres.
L’un de ces derniers apparaissait comme un serpent long de quinze mètres, à la tête ronde surmontée de six yeux brillants comme des pointes de feu, et son corps était si gélatineux qu’il semblait transparent. Évidemment, de pareilles créatures pouvaient seules vivre à ces profondeurs, en supportant des pressions qui eussent broyé d’autres êtres : l’eau de la mer devait en quelque sorte filtrer à travers leurs corps.
Le duel du serpent de mer et de l’auto
Ce monstre s’élança soudain contre l’auto.
L’intrépide explorateur put voir s’ouvrir une gueule béante, hérissée de multiples rangées de dents courtes et pointues. Déjà, de son repli le serpent enveloppait l’appareil, mais celui-ci était construit de façon à défier semblable attaque. Autadelphe tourna simplement une manette de commutateur et l’automobile, propulsé à une vitesse vertigineuse, traversa de sa pointe d’acier le monstre qui se débattit désespérément, séparé en deux tronçons. Le voyageur put entrevoir derrière lui, pendant un quart de seconde, l’eau se couvrir non de sang, mais d’une vague teinte laiteuse. Cette vision fut, du reste, si rapide qu’Autadelphe put se demander s’il avait rêvé.
Terres et humanités disparues
En s’éloignant, il ne pouvait s’empêcher de songer à l’ironie de la destinée qui cachait dans ces abîmes l’histoire d’une humanité disparue, inconnue des autres générations, humanité qui avait, semblait-il, par ces vestiges, été civilisée, florissante, et maintenant – depuis combien de siècles ! – c’étaient des crustacés, des zoophytes, qui gîtaient dans ses débris !
Dès la fin du XXIe siècle, non seulement l’ancienne existence de l’Atlantide, mais encore son emplacement ne faisait de doute pour personne. C’était entre l’Afrique septentrionale et l’Amérique orientale que s’étendait autrefois le continent disparu : les Canaries d’un côté, les Antilles de l’autre marquaient ses limites.
L’épouvantable catastrophe de la Martinique, en 1902, était venue montrer aux plus incrédules par quelle série de secousses sismiques, d’éruptions et d’effondrements l’Atlantide avait pu disparaître, par une immersion continue de plusieurs siècles, coupée de cataclysmes soudains.
Dans le détroit de Gibraltar – Le scaphandre au XXIe siècle
Tantôt glissant sur le fond de la mer, tantôt évoluant entre deux eaux, Autadelphe et son auto arrivèrent dans le détroit de Gibraltar deux jours après le départ d’Athènes.
Le véhicule courait maintenant à une allure de trente kilomètres à l’heure sur un fond uni de calcaire, par une profondeur moyenne de cent mètres.
Quelque chose attira l’attention de l’explorateur. C’était un double sillon tracé au fond de la mer et se continuant indéfiniment dans la direction du sud-ouest-sud.
Autadelphe possédait un costume de scaphandrier, mais un costume perfectionné et non de ces appareils grotesques et hideux tels qu’en portaient encore les plongeurs au début du XXI siècle.
Le costume du XXIe siècle était fait d’un imperméable caoutchouc recouvert d’une toile aluminiumisée. La tête s’enfermait encore dans une cloche assez volumineuse, non plus de verre mais de diamant artificiel, à l’intérieur de laquelle se trouvait l’appareil Genox qui, décomposant immédiatement l’acide carbonique exhalé par la respiration, fixait le carbone et mettait en liberté l’oxygène nécessaire aux poumons. Grâce à cet appareil, le plongeur pouvait circuler dans les profondeurs sous-marines et y séjourner indéfiniment.
Le scaphandrier à l’œuvre
Autadelphe, s’étant revêtu de ce costume complété par des semelles de plomb, appuya le doigt sur un bouton, et le véhicule sous-marin stoppa. Alors, un panneau de l’avant s’ouvrit et, par le hublot soudain élargi, l’explorateur sortit de son auto et mit le pied sur le lit sous-marin.
Il fallait ou une complète inconscience ou une admirable intrépidité pour se risquer ainsi sous une pression qui semblait devoir aplatir un homme comme une limande.
Cette promenade pédestre s’effectuait, qu’on ne l’oublie pas, à plus de cent mètres au-dessous du niveau de l’Océan, c’est-à-dire à une profondeur où les poissons eux-mêmes ne se promènent pas volontiers. Jusqu’alors, les plus hardis plongeurs n’étaient descendus qu’à des cinquante ou soixante mètres.
Pendant deux minutes, Autadelphe, bien qu’il se fût entraîné depuis trois ans par des expériences secrètes, se sentit étourdi et même défaillant. Il lui semblait qu’il portait un monde sur sa tête. Pourtant, il se remit et, grâce à sa vigoureuse souplesse, commença à évoluer avec plus de facilité sur le fond sous-marin. Il se baissa vers le double sillon. Ses mains, à travers l’enveloppe qui les recouvrait, sentirent un corps dur et rigide, quelque chose d’analogue à deux barres solides.
« Des rails ! » murmura Autadelphe, stupéfait.
Oui, c’étaient bien des rails ! Corrodés, rongés par le chlorure marin, ils n’en apparaissaient pas moins une œuvre de l’industrie humaine.
Deux fragments en restèrent dans la main d’Autadelphe qui les emporta dans son esquif, se dépouilla de son costume et les examina.
Sous les superfétations de la mer et des débris organiques qu’Autadelphe fit disparaître par un long grattage et l’application de réactifs chimiques, un reste de métal apparut. La preuve était faite !
Ainsi, ces profondeurs sous-marines avaient été autrefois non seulement habitées, mais encore habitées par des peuples civilisés possédant, comme ceux de notre époque, chemins de fer et tramways ! Qu’y a-t-il donc de nouveau sous le soleil ?
Une autre ville morte
Autadelphe reprit son voyage. Il n’avait plus qu’à suivre les rails pour arriver à l’emplacement de quelque cité disparue d’où partait la ligne.
Et, en effet, le double sillon, s’infléchissant au sud-ouest, le conduisit à trente-cinq lieues au nord-ouest de l’île Ténériffe, vers l’emplacement d’une seconde ville morte et ensevelie sous les eaux.
Celle-ci avait dû être dix fois plus vaste et plus riche que celle découverte près du cap Spartivento, à en juger par l’énorme quantité de débris qui s’étendaient sur une périphérie de quarante kilomètres.
C’est ainsi qu’Autadelphe aperçut, recouvert d’incrustations marines, le tronc presque entier d’une gigantesque statue humaine, taillée en plein basalte.
Quant aux rails, ils s’interrompaient devant un entassement de pierres mêlées à des débris de métal. Sans doute était-ce la station d’où, des milliers d’années auparavant, partait la ligne ensevelie !
Au-delà, c’était l’abîme.
Qu’est-ce que l’humanité ?
Autadelphe avait retrouvé l’ancien emplacement de la capitale des Atlantes. La joie et l’orgueil de cette découverte étaient cependant atténués par une pensée mélancolique. Sur cette terre disparue s’étaient épanouis autrefois une civilisation, une science, des arts, semblables, peut-être supérieurs aux nôtres, et rien n’en était resté, pas même le souvenir ! Qu’était-ce donc que notre éphémère humanité ?
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(Charles Malato, in Mon Dimanche, revue populaire illustrée, quatrième année, n° 129, 21 mai 1905)