Personne de vous, messieurs, n’ignore sans doute qu’avant la dernière inondation qui engloutit, il y a 1800 ans environ, la superbe ville de Paris, cette cité florissante était assise, comme on peut le voir dans les almanachs de l’époque, aux pieds mêmes de nos savants remparts. Paris, dans ce temps-là, au dire des historiens, était beaucoup plus grand et plus brillant que Montmartre ; il paraît pourtant certain, à la gloire de notre patrie, que ce fut presque toujours Montmartre qui fournit à la métropole ses financiers, ses hommes d’état, voire même ses Académiciens.
Les Académiciens me serviront tout naturellement de transition pour vous annoncer et pour vous soumettre mon beau travail sur les animaux et les curiosités de l’ancienne monarchie. Je vais avoir l’honneur de vous détailler ici les raretés sans nombre que j’ai recueillies tout récemment sur l’emplacement de l’ancienne capitale du royaume français. Si vous me promettez de m’écouter patiemment jusqu’au bout, surtout de ne pas ronfler pendant que je parle, je promets à chacun de vous une côte de ce petit cachalot, que j’ai déterré ces jours passés dans les bancs de sable de l’ancien lac Vivienne. Ne craignez rien, messieurs, je ne vous parlerai cette fois ni des insectes, ni des baleines, ni des monstres, ni des reptiles ; j’ai assez de pièces curieuses devant les yeux pour ne vous entretenir aujourd’hui ni de vous, ni de moi.
Et d’abord, n° Ier. Voici un petit crustacé, dont la race est maintenant éteinte, mais qui n’en a pas moins joué un très grand rôle dans son temps, et qui semble avoir pullulé principalement dans l’antique ville de Paris. Les anciens Parisiens nommaient ces crustacés écrevisses. Si nous voulions en croire les naturalistes contemporains, ces animaux marchaient à reculons. Ils étaient d’une extrême voracité et sacrifiaient tout à leur ventre. Willis assure, dans son Traité des brutes, chap. VIII, que les écrevisses avaient l’estomac entre le cœur et le cerveau ; il ne paraîtra donc pas étonnant que toutes leurs idées se soient rapportées à ce centre commun de toutes leurs sensations. Les savants modernes ont écrit de nombreux volumes sur cette grande et intéressante famille ; malheureusement, nous n’en sommes pas plus avancés pour cela.
N° 2. Ceci, messieurs, est un petit animal que je rangerai dans la famille des rongeurs. Il a le poil noir, le regard louche, marche à reculons comme l’écrevisse, avec laquelle il avait sans doute beaucoup d’analogie. Je pense que c’est ce vertébré, que les anciens Parisiens connaissaient sous le nom de Jésuite.
N° 3. Morceau de poésie conservé dans la glace avec un louis neuf qui est aussi dans ce lot. Ces deux objets de luxe ont traversé les siècles comme le mammouth natif des mers polaires, qu’un savant baron a retrouvé en Sibérie, entre deux belles couches de cristallisation, et qui attendait vraisemblablement la débâcle.
N° 4. Un os fossile trouvé dans la fange. On voit de suite que c’est un péroné, car il est à plusieurs faces ; l’une extérieure, blanche et polie ; l’autre intérieure, tant soit peu gangrénée. Il est encore attaché aux débris ossifiés des muscles péroniers, extenseurs et fléchisseurs. Son extrémité supérieure (la tête du péroné) est totalement vide, et semblerait avoir été rompue par violence. Cet os appartenait peut-être à un malfaiteur : qui sait ?…
N° 5. Non loin de là, nous avons encore ramassé une petite boîte contenant : un timbre sec ; un bonnet rouge (qui n’est pas le béret des Hellènes) ; plus un brevet d’affiliation à une société secrète, et une jurisprudence à l’usage de l’Inquisition, imprimée à Bordeaux, avec les commentaires d’un grenadier.
N° 6. Une collection de mâchoires rencontrées de l’autre côté de la rivière.
N° 7. Un assortiment d’antiquailles trouvées dans le bateau des bains Vigier : 1° le sabre d’un successeur de Jean Bart ; 2° un canon d’église, appartenant à un ex-brave, ex-maréchal de France.
N° 8 et dernier. Dans les ruines d’une espèce d’écurie, à deux pas de l’ancien pont des Arts, nous avons en outre déterré une certaine quantité de têtes d’ânes, animal très répandu chez nos bons ancêtres à ce qu’il paraît ; au milieu d’elles, nous avons défalqué ce crâne fossile que j’ai l’honneur de vous présenter comme la pièce la plus curieuse de mon répertoire, et qui, je crois, pourrait bien avoir appartenu aux épaules de quelque illustre Académicien. Cette tête est très curieuse ; un de mes confrères m’a pourtant soutenu que c’était une tête comme les autres. Dans tous les cas, je ne démordrai pas de mon opinion ; car, moi aussi je suis Académicien.
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(Anonyme, in Le Figaro, journal non politique, deuxième année, n° 12, vendredi 26 janvier 1827 ; Domenico Remps, « Scarabattolo, » huile sur toile, 1675)