La montagne et la mer : deux rêves d’été !

Rêves réalisables pour beaucoup, car on dirait que les fortunes croissent avec l’extension des goûts modernes… Jadis, peu de privilégiés voyageaient ; aujourd’hui, c’est le gros de la flotte citadine qui s’en va… le commerce même ferme boutique, écrit nettement sur ses volets clos : « Fermé pour cause de villégiature jusqu’en septembre. » C’est l’art de prendre la vie par son meilleur côté, d’en chasser le plus d’ombre possible et, – ose-t-on dire sans paradoxe, – c’est aussi le plus méritant, parce que c’est glorifier le Créateur que de profiter de ses dons.

La montagne bleue perdue dans les lointains du ciel, la mer immense panachée d’écume, reposent, inspirent, calment et d’autant mieux que, de plus en plus, – avec les grèves, – l’agitation s’accroît, troublante et mauvaise.

Aux Sables-d’Olonne, sur la grande plage unie où les enfants s’ébattent, pendant que les mères cousent et causent sous les tentes, on peut oublier la poussière et la politique. Mais on pense toujours et, par suite, on ignore le vrai repos, le seul qui compte : celui de l’esprit, car, pour les membres, il suffit de les changer d’attitude et ce n’est pas malaisé.

L’art de reposer sa cervelle consiste, je crois, à s’assimiler les idées des autres, à écouter leurs histoires ; c’est pourquoi, puisque l’attrait de l’Océan nous entraîne aux Sables, au lieu de creuser une philosophie, une malice, une rancune, une préoccupation venue avec soi, cherchons les vieilles légendes de la côte ; elles ont le mérite d’être peu connues ; la plupart des baigneurs regardent la haute tour d’Arundel perchée en avant de la Chaume, sans se douter que là jadis s’abrita un petit roman d’amour.

Amour ! Voilà un mot magique et doux qui ne connut jamais la grève.

Au commencement du dix-septième siècle, un jeune officier de chevau-légers du roi Louis XIII, nommé Tollet de Beauchamp, étant gouverneur de la forteresse de la Chaume, s’éprit de la fille du receveur des finances des Sables : Jane Aimée Cardin, une jolie et accorte Sablaise, et il l’enleva.

Aussitôt le rapt connu, les Sablais, furieux de l’injure faite à leur compatriote, vinrent attaquer le château.

Mais alors, le chevalier fit ouvrir aux agresseurs les portes toutes grandes et apparut à leurs regards, souriant et en tenue de fête, avec, à ses côtés, la gente Vendéenne en costume de mariée.

Les ennemis changèrent d’allures ; l’enthousiasme fit place à l’hostilité et ils accompagnèrent triomphalement le jeune couple à l’église Saint-Nicolas, où une messe de mariage fut solennellement chantée.

Hélas ! le bonheur dure peu. Un an plus tard, le carillon tintait, funèbre, et les portes de la forteresse, ouvertes de nouveau, laissaient passer le cercueil de la jeune femme ainsi que celui de son enfant… Mais l’époux se consola vite – il était homme – et convola de nouveau moins d’une année après. Aujourd’hui, la pierre tumulaire d’Aimée Cardin ferme le seuil de l’église.

Beaucoup d’autres légendes sont nées sur ces côtes ; le plus triste est qu’elles sont rarement en l’honneur des femmes.

En voici une autre que m’a contée le propriétaire du Fénestreau, M. H. Collins :

« Avec les autres chevaliers de sa province, le seigneur de la Vergne était allé guerroyer contre les infidèles. Il n’avait pas tardé à se distinguer aux rudes joutes d’armes et à conquérir le cœur d’une belle Sarrasine à laquelle il offrit l’anneau nuptial des seigneurs de la Vergne.

Noble, altière, d’une beauté éclatante, ce qui frappait le plus en elle, c’étaient des yeux d’un noir intense, profonds, lumineux, passionnés, des yeux d’enchanteresse.

Le chevalier ne vivait que pour elle ; il lui fit venir d’Arabie une haquenée superbe et lui forma une cour dont elle était la souveraine. La vie paraissait délicieuse ; seulement, la guerre vint et le tendre époux dut suivre le Roy à la guerre.

Aux premiers temps de sa solitude, la jeune châtelaine passa son temps dans la retraite, puis, comme cela se prolongeait, elle accueillit quelques distractions offertes par ses gentils pages qui se succédèrent dans son intimité, et, peu à peu, elle étendit son cercle jusqu’aux vassaux.

Prise soudain d’une passion criminelle, la belle Sarrasine rêva, après la société des hommes, de connaître celle des fauves qui vivaient dans les forêts. Elle quitta furtivement le château et s’en alla trouver une sorcière renommée. Un orage effroyable ébranlait les rochers de la côte.

À partir de ce jour, on vit une souple et fine louve blanche courir la nuit à travers les bois et les grèves, suivie d’une bande de loups. Tout le pays trembla devant la dévastation des troupeaux et des bergers étranglés. Nul n’osait sortir à la tombée de la nuit.

Ce fut à cette époque que rentra le seigneur de la Vergne.

Reçu à bras ouverts par sa charmante épouse, il recommença avec elle la vie amoureuse d’antan.

Entre les fêtes et les festins, il se remit aux grandes chasses et rencontra, lui aussi, la louve blanche. Attiré par cette bête extraordinaire, il s’acharna à la poursuivre chaque nuit, mais elle lui échappait sans trêve, et quand il rentrait fourbu, à l’aurore, c’était pour retrouver sa femme rose, fraîche, animée, les yeux étincelants, le sourire magique.

Une nuit enfin, le chevalier, que cette chasse fantastique excitait de plus en plus, serra la louve de si près qu’il parvint à lui porter un coup d’épée. Un gémissement désespéré le glaça d’effroi ; la louve avait disparu, mais sur l’herbe rougie gisait une de ses pattes blanches tranchée par le fer.

Malgré son trouble, le chevalier voulut emporter ce trophée, et il descendit de cheval pour le ramasser.

Oh ! épouvante. C’était une délicate main de femme, et à l’un de ses doigts brillait l’anneau nuptial aux armes des Vergne !

Saisi d’horreur, le chevalier courut bride abattue jusqu’au château et se précipita dans l’appartement de sa femme.

La châtelaine, évanouie, gisait sur son lit, tandis que, de son poignet sanglant, coulait un flot rouge.

L’époux saisit son épée pour frapper la coupable, mais elle ouvrit les yeux.

« Frappe, dit-elle, je succomberai moins sous le poids de ton arme que sous celui des remords. En expiation de mes forfaits, je demanderai à Dieu, que je vais voir dans un instant, de permettre à mon âme d’errer visible sur le lieu de mes crimes et de servir ainsi d’exemple terrible de la justice céleste. »

C’est depuis ce temps qu’on voit la nuit, quelquefois, dans la forêt des dunes, errer une louve blanche. »
 
 

 

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(René d’Anjou, « Variétés : Les Sables-d’Olonne, » in Le Soleil, trente-cinquième année, n° 239, mercredi 26 août 1908 ; gravure de Herbert Thomas Dicksee, « The Lone Wolf, » 1916)