I

 

Paris, 15 mai 1852.

 

Cher et honorable ami,
 

Vous devez avoir reçu, ou plutôt vous recevrez une lettre de moi datée de Marseille. Je vous l’ai expédiée par la malle de l’Inde, car l’Angleterre continue à diriger ses malles à travers le territoire français en évitant Paris.

Paris est vraiment aujourd’hui l’île-de-France, c’est-à-dire une île au milieu de la France. Gouvernement à part, civilisation à part, cette grande et belle cité s’est mise à part sur la carte générale. Comment s’est opérée cette révolution, ou plutôt cette transformation inouïe ? c’est ce que vous diront tous les journaux de l’Europe que vous recevez à Pondichéry, à Calcutta et à Bombay.

J’ai hâte de vous parler de Paris, tombé au pouvoir du socialisme. Le tableau vaut la peine d’être contemplé. Écoutez-moi.

À mon arrivée dans cette ville, où m’appelaient de graves affaires d’intérêt, mon premier soin fut de chercher à me loger commodément et selon mes goûts. Je passe sur les difficultés que j’éprouvai aux barrières pour obtenir que ma chaise de poste pût m’amener jusqu’à la ci-devant rue de Rivoli. Je tenais par souvenir et par sympathie à prendre terre à l’hôtel Meurice. L’hôtel existe encore, mais dans des conditions nouvelles. Ce fut avant-hier soir que je m’y logeai.

Dès mon arrivée, on me demanda mes papiers avec un empressement si vif, que j’en fus presque effrayé. On m’annonça, une heure après, la visite d’un délégué de la police de sûreté. La république sociale a donc une police à ses gages ? me direz-vous. Non, cher ami, elle en a trois ! Fort curieux de voir le magistrat de nouvelle espèce que l’on m’annonçait, je l’attendis de pied ferme dans un petit salon dont les fenêtres donnent sur le jardin des ci-devant Tuileries, respirant à longs traits à mon balcon cet air natal si longtemps désiré. Il était huit heures du soir ; un magnifique soleil couchant empourprait les feuillages des marronniers ci-devant royaux, et la brise m’apportait des arômes parfumés comme ci-devant. Le socialisme n’a pas encore pu transformer la nature ; cela pourra venir.

Un employé de la maison (il n’y a plus de domestique ni d’hôtel) ouvrit tout à coup la porte du salon et je vis entrer le délégué de la police de sûreté. C’était un homme de quarante ans environ ; barbe rousse et fourchue, taille ronde et courte, teint fleuri, large habit noir, gilet blanc et écharpe rouge, je vis cela du premier coup d’œil. Le magistrat tenait à la main une sorte de tricorne qui représentait un chapeau. Du reste, en entrant, il affecta une grande politesse dont il ne se départit pas un seul instant. Je demandai de la lumière. Le délégué et moi prîmes chacun un fauteuil et, assis l’un vis-à-vis de l’autre, près d’une table, nous engageâmes la conversation.

« Citoyen, me dit-il, vous arrivez des Indes-Orientales, de Pondichéry, où vous avez fondé un établissement depuis quatre ans ; vous avez traversé le golfe Mozambique, doublé le cap de Bonne-Espérance, relâché au Sénégal, touché à Madère, passé à Gibraltar, et vous êtes enfin entré en rade de Marseille. Vous n’êtes à Paris que depuis deux heures environ ; vos papiers sont parfaitement, en règle ; on vous les rendra à votre départ. Pendant votre séjour dans la république sociale, vous n’avez absolument besoin que de la carte que voici ; c’est une carte de première classe. Vous succédez au numéro trois mille huit cent, qui est parti ce matin même pour Londres. »

En effet, le délégué me remit une carte bleu-de-ciel sur laquelle était imprimé le numéro en question au centre d’un triangle ; elle avait en outre une signature indéchiffrable à son revers.

« Citoyen, répondis-je, au moyen de cette carte…

– Vous pouvez résider à Paris en toute sûreté en vous conformant aux lois sociales et au règlement égalitaire. Voici les dix-huit codes et un volume du règlement. Je vous engage à lire cela avant de mettre le pied dans la rue.

– Mais, citoyen commissaire… ce sont deux volumes in-octavo, de huit cents pages chacun.

– Raison de plus, citoyen, pour ne pas perdre un instant ; passons. Combien de temps comptez-vous séjourner sur le territoire de la république sociale ? Vous connaissez sans doute les limites de la république ?

– Mais je pense, répondis-je, que ces limites s’arrêtent encore aux barrières de la ville ?

– Oui, citoyen, en attendant qu’elles soient reculées jusqu’aux extrémités de l’Europe. Combien de temps comptez-vous séjourner ?

– Quatre mois, citoyen commissaire.

– Seconde question. Vous avez de l’argent ?… Quelle somme apportez-vous ?

– Citoyen, je n’ai point d’argent. J’apporte pour mon séjour ici quarante mille francs en or. »

Le délégué se leva magistralement et se dirigea vers la porte du salon. Là, il dit à haute voix à un employé de la maison :

« Invitez le citoyen délégué du trésor à entrer. »

Trois minutes après, un citoyen de haute stature, portant barbe noire, tricorne, habit noir et ceinture de soie rouge lamée d’argent, parut devant moi et déposa sur la table un portefeuille et un sac de cuir… vide.

« Citoyen, reprit le commissaire, mon confrère est muet, mais fort intelligent. Conformément aux lois, vous êtes invité à lui remettre vos quarante mille francs en or (l’argent et l’or étant proscrits de la république comme infâmes) ; et vous recevrez en échange, pour une somme égale, des bons de caisse, ou bons de circulation. Voyez le règlement, article 4845… »

J’hésitais, furieusement étonné et assez peu rassuré, lorsque le délégué du trésor, le grand confrère muet, vida son portefeuille sur la table, choisit quarante billets de banque très peu semblables aux ci-devant que je connaissais, les réunit dans sa main comme un jeu de cartes, et se mit à me saluer trois ou quatre fois de l’air le plus engageant.

« Citoyen, reprit le commissaire, c’est une condition absolue. Quiconque possède un écu ne peut séjourner douze heures au milieu de nous, à moins de se résigner à mourir de faim. Vous ne trouveriez pas un pain à acheter avec tout le métal odieux et corrupteur que vous possédez… Avec les bons de caisse, vous vous procurerez toutes le jouissances légales. D’ailleurs, mon mandat est formel… je dois vous offrir une carte de séjour ou un exeat. J’ajouterai, pour vous rassurer, que dans le cas où vous voudriez avancer le jour de votre départ, s’il vous restait encore du papier-monnaie en portefeuille, vous n’auriez qu’à présenter vos bons de caisse au trésor, on vous rendrait en échange, et en vous plaignant beaucoup, du numéraire.

– Citoyen, lui dis-je, je compte sur votre parole et je crois en votre honneur. Forcé de passer quelque temps à Paris, il faut que je me loge et que je mange ; je vais vous livrer ce que je possède en numéraire, en échange de papiers de la république sociale. »

Le grand confrère muet se mit à me saluer de nouveau, en me montrant toujours son superbe jeu de cartes. Il n’y avait plus moyen d’hésiter : une carte de séjour ou un passeport… c’était formel, à moins de coucher à la belle étoile et de se nourrir de l’air du temps. Je crus donc qu’il était dans mes intérêts de céder de bonne grâce, et j’allai chercher dans un secrétaire quarante rouleaux d’or, que je plaçai sur le tapis de la table. En moins d’un quart d’heure, ces bienheureux rouleaux furent tous brisés, comptés et engainés dans la longue bourse de cuir du cher confrère muet, qui, par égard pour moi, contint son indignation et son dégoût à la vue de l’infâme métal. Souriant au contraire, et de l’air le plus paterne, il me mit entre les mains un cahier d’images, valant chacune mille francs, en m’engageant du regard et du geste à bien ménager cette richesse. Puis il plaça prudemment le sac de cuir dans une de ses vastes poches, reprit son portefeuille et son pittoresque chapeau symbolique en forme de tricorne. Il nous quitta, après m’avoir encore salué avec une rare politesse.

« Voilà donc une opération terminée, et à l’amiable ! reprit le délégué de l’air le plus jovial. Vous devez vous trouver bien plus à l’aise, citoyen ?

– Eh mais ! lui dis-je, beaucoup plus léger surtout. Du reste, je n’ai aucune inquiétude, et je vous répète que je compte entièrement sur la loyauté du gouvernement. Maintenant, citoyen commissaire, ai-je d’autres formalités à remplir ? Je vous demanderais la permission de me mettre à table.

– Comment donc, citoyen ? reprit-il ; à votre aise. J’ai eu soin de prévenir votre socius de se tenir toujours à votre disposition.

– Que dites-vous là ? demandai-je, assez intrigué.

– Sans doute, répliqua l’honnête commissaire. Aux termes du règlement, tout individu étranger ou citoyen à Paris, jouissant d’une certaine aisance et n’ayant aucun numéro à sa charge, doit avoir un socius, c’est-à-dire un sociétaire qui partage son existence ; sans cela, où serait la fraternité sociale ?

– Écoutez-moi, repris-je avec un commencement d’impatience, ne pourrait-on racheter cette corvée par un don patriotique ? J’offre dix mille francs en papier-monnaie ; mon intention, d’ailleurs, en arrivant à Paris, était de porter ma souscription pour les pauvres.

– Les pauvres ! s’exclama le commissaire, mais il n’y en a plus, citoyen ; tout le monde l’est. Quant au rachat du socius, c’est de toute impossibilité. La loi est précise ; le règlement est formel.

– Bon ! Et la liberté ? répliquai-je. Diable, j’ai de la peine à comprendre comment un individu attaché à ma personne n’est pas un surveillant ou tout au moins un grand embarras.

– Que vous êtes simple et que vous avez peu étudié la science du socialisme ! me dit le délégué. Du reste, je ne veux pas empiéter sur les attributions d’un confrère, et, si vous le désirez, citoyen, demain on vous enverra un légiste qui vous démontrera et expliquera les questions les plus ardues d’une science qui est encore à l’état de mystère pour le reste du monde.

– Merci, lui dis-je. Mais ce socius enfin, que voulez-vous que je fasse de lui ?

– Mon dieu ! citoyen, il vous sera fort utile. D’abord, comme renseignement, vous pouvez toujours vous adresser à lui. Ce sera un excellent cicerone dans cette ville transformée, et que vous ne reconnaîtrez plus. Ensuite, je dois vous déclarer qu’il est de bonne compagnie et d’humeur facile et agréable. Il prendra vos habitudes et vos goûts. À la promenade, à table, aux spectacles, dans vos courses pour affaires, il sera toujours à vos ordres. Le soir, en vous quittant, il prendra votre heure pour le lendemain matin, et vous pourrez juger de son exactitude.

– Oh ! pardieu ! je n’en doute pas, m’écriai-je. Un drôle qui vient partager mon existence ! Et de quel droit, s’il vous plaît, citoyen commissaire ? Je vous ai donné de l’or pour du papier, et vous me rendrez de l’or ou de l’argent pour du papier : c’est fort bien ! Je me conformerai en tout et pour tout aux lois et aux règlements ; c’est à merveille ! J’aurai pour vos institutions et pour votre gouvernement tout le respect possible ; d’accord. Je le dois. Mais je ne vous cache point que je trouve dans l’institution du socius un abus révoltant. Le socius me paraît compromettre terriblement la liberté individuelle, je le répète.

– Là ! là ! ne nous fâchons pas, dit le doux commissaire ; soyons bon compagnon, aimons nos frères, et acceptons de bonne grâce la compagnie que nous donne la loi socialiste, admirable dans son principe et dans ses conséquences. »

Là-dessus le délégué reprit son chapeau et m’annonça qu’il était obligé de me quitter, devant écrire son rapport à qui de droit sur ce qui venait de se passer, ajoutant, toutefois, qu’il n’avait qu’un éloge mérité à faire du citoyen nouveau dont la république venait de s’enrichir.

Nous nous serrâmes la main et nous nous séparâmes, lui souriant, et moi assez soucieux au sujet de l’avenir de quatre mois qui m’attendait dans la ville la plus civilisée de l’univers, où, par parenthèse, je perdais mon nom, mon individualité, pour me transformer en numéro d’ordre, selon ma carte de séjour, et où je devenais forcément le compagnon d’un confrère en socialisme, que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam, et qui devait me suivre partout comme mon ombre.

J’en étais là de mes réflexions lorsque l’employé, ci-devant domestique, vint m’annoncer, non pas que mon souper était servi (encore moins que Monsieur était servi), mais que mon souper m’était offert !

« Et mon commensal, mon socius ? dis-je à l’employé.

– Le citoyen socius attend le citoyen dans la salle à manger, répondit ce garçon, en contenant un fou rire.

– Diantre! repris-je ; il sait son règlement ! C’est égal, je suis assez curieux de voir mon ombre socialiste. »

Je me dirigeai résolument vers la salle à manger. Deux couverts étaient mis à une table ronde. Un homme, d’une tenue très sévère, attendait debout et la main posée sur le dossier d’une chaise ; il pouvait avoir trente-cinq ans ; il était grand et fort maigre, barbu et coloré ; l’air digne, mais avec une teinte de modestie. Son regard expressif, sa physionomie cordiale, prévenaient en sa faveur. Je le détestais déjà franchement, mais je ne pus me défendre de répondre aux politesses qu’il me faisait, tout en éprouvant une colère concentrée de ne pouvoir me fâcher contre lui en l’abordant. Au fait, le supplice devenait plus insupportable ; avec un malotru, un grossier personnage, ma position eût été plus facile. Je l’aurais gourmé et tout eût été fini peut-être.

Nous nous saluâmes sans nous dire un mot, et nous nous assîmes en même temps en face l’un de l’autre. L’employé nous servait, ou plutôt nous offrait. Je remarquai que mon homme n’acceptait jamais que je ne fusse pourvu. Dix minutes passèrent ainsi. Jamais souper ne s’était annoncé à mes yeux d’une façon si déplorable. Enfin, voulant briser la glace par une boutade :

« Citoyen, dis-je tout à coup, me ferez-vous le plaisir de me dire pour quel délit la loi vous a condamné à devenir le compagnon forcé d’un étranger comme moi ?

– Vous vous trompez, citoyen, répondit mon homme avec un flegme incomparable ; la loi, bien loin de me punir, me récompense : elle me donne le droit de m’associer à l’existence d’un homme distingué. »

Je m’inclinai, désespéré du compliment. Le socius, sans se déferrer, mangeait et buvait noblement, comme s’il eût été l’amphitryon du souper.

« Voilà une singulière loi ! repris-je. Ce n’est pas que j’aie le moindre sujet de me plaindre de vous, citoyen. Vous me paraissez, au contraire, un assez bon compagnon ; mais convenez qu’une fraternité qui s’impose a quelque chose de tyrannique.

– Je n’ai pas fait la loi, répondit mon homme imperturbablement.

– Non, dis-je alors, mais je la subis. Or çà, dites-moi, citoyen, Paris est donc bien changé ? j’arrive des Indes-Orientales, et j’avoue que la foudre, tombant à mes pieds, ne m’aurait pas plus étonné que la nouvelle du régime socialiste triomphant à Paris.

– Cette ville intelligente est aujourd’hui magnifiquement heureuse, reprit mon gaillard, dont l’appétit se développait. Plus de pauvres, citoyen.

– Pardieu ! on a pris le bon moyen, repris-je. Et le commerce ?

– Plus de commerce, citoyen.

– Ah bah ! vraiment ?… Mais alors, en quoi consiste la source des richesses de la cité ?

– Plus de richesses, citoyen.

– Diable ! alors, tout le monde est propriétaire ou rentier ?

– Plus de rentiers ni de propriétaires, citoyen, continuait mon homme en mangeant toujours.

– C’est charmant ! m’écriai-je. La vie est commune, à ce qu’il paraît ; mais alors, les plaisirs et les travaux doivent être communs.

– Plus de travaux, plus de plaisirs, citoyen.

– Savez-vous que vous êtes une énigme à deviner, citoyen socius ?

– Veuillez m’appeler par le numéro que l’on m’a donné, me répondit-il. Je suis le numéro cinq cent quatorze, comme vous êtes le numéro trois mille huit cent. Aujourd’hui, Paris est peuplé de numéros. C’est de l’ordre.

– C’est joli ! m’écriai-je, et fort amusant ! L’homme moral et physique s’efface pour faire place au numéro ! Diable ! c’est neuf. Platon n’eût jamais inventé cela.

– Qu’est-ce que Platon et que signifie sa république ? reprit le socius. Vous verrez Paris demain.

– Je suis désolé de ne pouvoir le voir dès aujourd’hui, répondis-je ; il doit être amusant.

– S’amuser est puéril, dit mon homme qui buvait et mangeait très sérieusement ; on s’amusait sous les régimes du bon plaisir et des constitutions ; aujourd’hui, on fait mieux.

– Voyons, citoyen, je suis curieux ; j’arrive de Pondichéry, de Chandernagor, de Bombay, de Calcutta…

– Pays stupides, dit le socius, où l’or n’est pas encore une chimère, où le sensualisme est encore la divinité dominante et abrutissante. »

Je regardai mon homme ; il buvait sec et mangeait consciencieusement.

« Or çà, lui dis-je, pour briser la conversation, puisque vous devez me suivre comme mon ombre, je compte sur vous pour m’expliquer, après me l’avoir montrée, cette grande féerie socialiste appelée Paris. Nous aurons une voiture à nos ordres.

– Il n’y a plus de voitures, et on ne se met aux ordres de personne, ajouta l’intrépide socius.

– Pas possible ! m’écriai-je ; tout le monde va à pied ou à cheval ?…

– On marche, ou bien on monte dans l’omnifère de la république si nos forces trahissent notre énergie.

– Je vois que Paris est en progrès, lui dis-je. Quant aux arts, aux sciences, aux lettres… je pense que tout cela est florissant ?

– Vous en jugerez, citoyen. Les arts et les lettres ayant corrompu les générations, nos devancières, les sciences les ayant égarées beaucoup plus qu’éclairées, il fallait régénérer les sciences, les lettres et les arts.

– Et c’est ce qu’on a fait probablement avec succès ? lui dis-je. Quant aux institutions fondamentales de l’ordre social…

– Elles reposent sur le triangle : production, amour, harmonie.

– Et la religion dominante est sans doute…

– Harmonie, amour et production, répéta le socius qui, bien restauré, se leva de table quand je me levai.

– Adieu, citoyen, lui dis-je ; l’heure avance ; je vous rends votre liberté. Si demain vous revenez, vous serez le bien reçu, conformément à la loi. Je vous préviens que mon intention est de voir l’ensemble de Paris d’abord, ce qui exigera bien des courses. À dix heures du matin, si vous voulez, et bonne nuit. »

Le socius me quitta, en ne me promettant que trop d’être exact. Je regagnai mon appartement, fort étourdi de tout ce que j’apprenais et fort inquiet de ce que je pressentais. Je remets donc à un autre jour la suite de cette lettre ou de ce récit qui vous arrivera comme une nouvelle de l’autre monde, et dont vous douterez beaucoup, par conséquent.
 

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Nous imiterons l’habitant de Pondichéry, transporté au milieu de Paris socialiste par une malice du sort qu’il déplorait déjà peut-être, lui, Français de naissance, et surtout Français de cœur, d’esprit et de caractère. Nous remettrons à un autre jour le bonheur de contempler la ville la plus spirituelle de l’univers, gouvernée, moralisée et embellie par les dieux, demi-dieux et aspirants dieux que l’époque actuelle méconnaît encore, mais que l’avenir attend, comme disent les habiles de l’école avec cette modestie qui les distingue de leurs orgueilleux adversaires anti-socialistes.
 

(À suivre)

 
 

 

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(Jules de Saint-Félix, in Le Constitutionnel, journal politique, littéraire, universel, n° 110, vendredi 20 avril 1849 ; Alfred Kubin, « Back to the Womb » [Retour à l’utérus], c. 1904, et « Unser aller Lutter Erde » [Notre Mère à tous, la Terre], encres lithographiques et lavis sur papier cadastre, 1901)