Le 18 août 19.., alors que le ciel, d’une limpidité extraordinaire, se voilait à l’orient de cendre nocturne, une étoile d’un vert éclatant parut au zénith. Jamais pareille émeraude n’avait scintillé parmi la poussière d’astres du firmament européen. Les gens, qu’une journée d’accablante chaleur retenaient en plein air, aperçurent la lueur insolite. Dans chaque ville, ce furent des exclamations, des cris, des appels. De groupe en groupe, on s’interrogea. La foule s’aggloméra sur les places publiques et bientôt, silencieuses, angoissées, stupéfaites, les populations de tout un continent regardèrent l’étoile qui, d’heure en heure, grossissait en se rapprochant de la Terre.

Beaucoup d’hommes songèrent d’abord à un avion, un ballon, une fusée. Plusieurs s’affolèrent à l’idée d’un engin de destruction inconnu. Mais, sans arrêt, sans un à-coup, lancé à travers l’éther le long d’une immuable trajectoire, la « chose » venait avec une vitesse formidable à la rencontre du globe où des milliers d’êtres, à présent, haletaient.

Toute la nuit, le phénomène dura. La presse, dans des éditions spéciales, les haut-parleurs lancèrent les hypothèses les plus invraisemblables émises par les observatoires et les astronomes de vingt nations.

Au matin, le projectile stellaire était devenu énorme. Et, tout à coup, sous l’embrasement du premier rayon de soleil, il perdit sa coloration verte et étincela de mille feux, ainsi qu’un diamant gigantesque. Son insoutenable éclat trouait le jour, irradiant un flamboiement où parfois éclatait tout le spectre du prisme.

Alors, la panique secoua deux cents millions d’humains. Ils comprirent que la masse incandescente qui incendiait l’azur allait en peu de temps s’abattre sur le sol. Dans quelle région ? On ne pouvait encore le prévoir. Mais la catastrophe était aussi certaine qu’imminente.

Les villes tremblèrent, les campagnes se vidèrent. Et les gens, terrés dans tous les coins possibles, attendirent l’écroulement vertigineux qui devait marquer, par une monstrueuse hécatombe, la chute de l’astre au sillage de lumière.

C’est alors que se répandit une nouvelle inouïe, colportée de bouche en bouche avec la rapidité de l’éclair. Le météore n’était autre qu’une machine, colossale, lancée à travers l’espace, et venant d’un monde ignoré, ayant résolu le problème des relations interplanétaires.

L’hypothèse, hardie, s’affirmait seule plausible. Aussitôt admise, elle balaya toute crainte. La curiosité l’emporta. Nul ne songea plus au choc et à l’écrasement, qui s’ensuivrait. On voulait voir, voir… voir démesurément ! Et le monde attendit l’incroyable arrivée !

Ce fut un moment prodigieux où l’on eût pu entendre battre le cœur de l’humanité. D’instant en instant, l’engin se précisait, dévorant tout un pan de ciel. Il apparut comme une sphère parfaite, transparente, avec un noyau plus sombre. Sa vitesse ne diminuait pas. Seule, peut-être, l’attraction terrestre l’attirait-elle irrésistiblement. Peu à peu, le champ de contact possible se restreignit. Des provinces entières respirèrent. D’autres frémirent à la fois de terreur et d’espoir. Au fond, dût-il en mourir, chaque homme voulait être le témoin de l’inconcevable aventure.

Mais la boule avançait toujours. Le point opaque du centre parut mouvant. Sans doute contenait-il des habitants de la Lune, de Mars, de Vénus, de Saturne ou de Jupiter ? Alors, une frénésie s’empara des foules. Des hurlements éclatèrent ; une indescriptible agitation jeta des remous d’êtres les uns contre les autres. Ce fut du délire, de la démence, la possession de tout un monde par la folie du mystère tangible, hallucinant, révélé.

Cependant, l’instant où la boule se précipiterait sur le sol arrivait. Déjà le quart de l’immensité céleste était caché. Et soudain, une sorte de vibration grave surgit de l’atmosphère et s’enfla de minute en minute. Le ton montra, l’intensité s’accrut. On eût dit qu’une sirène d’Apocalypse emplissait les profondeurs sidérales. Le bruit devint si puissant, si total, qu’il occupa les oreilles, vrilla les cerveaux, et s’implanta avec une telle acuité dans la chair des auditeurs qu’ils en furent comme hébétés. Aucun autre son n’était plus discernable. Et les hommes n’eurent que cela, devant eux et en eux : l’éblouissement d’un globe éclatant et la stridence illimitée d’un sifflement insoutenable. On ne pouvait à la fois, ni s’arracher au phénomène, ni le percevoir sans une souffrance aiguë. Des femmes se tordirent, les nerfs révoltés. Des enfants hurlèrent d’épouvante. Des vieillards coururent en tous sens. Et tous, raison chavirée et sensibilité au supplice, sentirent que la seconde fatale arrivée.

Et le bruit effrayant cessa brusquement. Ce fut dans les crânes un vide tel que les humaines chancelèrent. La sphère s’abattit dans un éclaboussement de clarté. Sous le choc, elle devint ovale, puis reprit sa forme. Nul n’entendit le moindre fracas.

À présent, la machine adhérait au sol. Les plus audacieux des spectateurs se ruèrent. À leur toucher, la masse transparente parut résistante et molle. Faite d’une matière inconnue, on eût dit une masse de cristal élastique. Ce fut de la stupeur. Puis une acclamation gigantesque jaillit de milliers de poitrines, manifestant le rêve immémorial enfin réalisé.

Des êtres apparaissaient au centre de l’engin. Mais quels êtres ! De longs corps rugueux qui s’enroulaient ou se déroulaient en spirales : des pattes nombreuses garnies ou de ventouses ou de doigts articulés, des têtes lisses et sans organes lançant des phosphorescences correspondant de toute évidence à des pensées et à un langage ; enfin, une sorte d’éperon irradiant permettant à chaque individu de traverser sans laisser de trace la matière molle et transparente où il se mouvait.

Un certain temps passa dans une galopade effrénée de tous ceux qui accouraient pour voir. Mais, lorsqu’une masse énorme d’humains entoura la sphère sidérale, les êtres spiriformes lancèrent des éclairs rapides, issus de leur propre substance, et les hommes, par rangs entiers, tombèrent foudroyés.

Ce fut un carnage infernal. Bientôt la plaine fut couverte de cadavres. Les plus éloignés s’enfuirent éperdument. Mais les rayons les rattrapaient, fauchant, anéantissant, détruisant tout sous leur pouvoir diabolique.

Et quand l’étendue fut silencieuse, la cohorte astrale arrêta son œuvre de mort. Venue du fond de l’infini, d’une planète surpeuplée où la vie s’abolissait, faute de matières premières, mais où la science avait reculé les bornes du possible, les envahisseurs venaient s’emparer de la Terre, avant de coloniser tout le ciel.

Sûrs de vaincre, ils déroulèrent leurs anneaux lumineux. Un continent, déjà, leur appartenait. Aussitôt, ils voulurent prendre contact avec leur nouvelle possession. D’un seul élan, ils trouèrent la sphère imperméable qui les avait amenés et jaillirent à l’air libre.

Alors, ce fut bref et terrible. Leurs organismes phosphorescents, au contact de l’oxygène, qu’ils ignoraient dans leur planète dépourvue d’atmosphère, s’embrasèrent d’un seul coup. Il y eut quelques grésillements, de petites flammes livides, puis plus rien que des cendres minérales où s’irradient encore des parcelles métalliques.

La sphère seule demeurait, miroitante, inutile et vide. L’invasion avait échoué. La Terre était sauvée !… Mais pour combien de temps ?…
 
 

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(Albert de Teneuille, « Les mille et un matins, » in Le Matin, quarante-sixième année, n° 16597, mercredi 28 août 1929 ; illustration d’Ed Valigursky pour Eye in the Sky de Philipp K. Dick, huile sur carton, 1957)