Le 21 mars 1987, l’hémisphère qui se trouvait encore dans l’ombre, s’éveilla à mesure que tournait le matin, tandis que la partie opposée du globe, retardatairement, dormait encore dans la nuit du 20 mars. Cette différence légère n’eût eu aucune importance et n’eût pas été mentionnée, si ce n’était précisément dans la partie de notre planète encore plongée dans la nuit que se produisirent certains phénomènes électromagnétiques dont les observateurs devaient s’émerveiller.
Depuis longtemps, en effet, les savants avaient remarqué l’insistance avec laquelle un appel nous était adressé d’un point de l’univers qu’ils avaient été obligés de situer, hypothétiquement mais plausiblement, hors de notre planète. Les ondes hertziennes, durant longtemps, avaient été contrariées par un signal incompréhensible, que les appareils de la Terre enregistraient à heure fixe ; nul ne pouvait dire avec certitude d’où il provenait. Les suppositions les plus sages avaient été faites ; les plus téméraires aussi. Avec une intensité égale, le phénomène était enregistré simultanément, par des récepteurs séparés par des milliers de kilomètres, ce qui pour plusieurs prouvait, de manière indubitable, que sa cause se situait hors de notre globe terraqué.
Dramatique hypothèse et qui allait révolutionner les données de la science et les habitudes des hommes.
Car donc, dans cette nuit du 20/21 mars, ce ne furent plus seulement les trois points successifs du signe S qu’enregistrèrent les écouteurs magnétiques récemment découverts par Zalobib Kodar, – mais une succession de signaux différents, qui paraissaient se répéter indéfiniment à intervalles à peu près égaux.
Sirmon Lovdak, – le disciple préféré de Zalobib Kodar, – tout de suite, avait eu l’idée de chronométrer le temps qui enfermait une transmission complète. Puis, celui qui la séparait de la transmission suivante. Enfin, de faire enregistrer, par un électrophone, leur succession régulière sur un disque spécial.
En attendant son Maître, Sirmon Lovdak eut l’idée de compter le nombre des signaux qui se répétaient comme automatiquement. Il en compta soixante-dix-sept, tous différents, et, l’électrochronomètre consulté, il s’aperçut avec un étonnement singulier que chacun de ces signes, quelle qu’en fût la complexité, avait une durée égale au plus simple d’entre eux. Mais il ne pouvait pas s’arrêter à un examen prolongé, dont les hypothèses eussent pu nuire à la sûreté de son observation. Tous ses sens aux aguets, il se résigna provisoirement à son rôle secondaire. – Mais il songea, avec une satisfaction humaine, que cette fois, il tenait la petite main d’Élita : n’avait-elle pas subordonné au don d’elle-même, si longtemps différé, qu’il eût accompli quelque chose de grand, ou eût été mêlé activement à quelque spacieuse découverte ?
La tour Eiffel étant tombée en ruines depuis plusieurs lustres, le poste rudimentaire de télégraphie sans fil dont elle était pourvue fut rétabli, muni des derniers perfectionnements, dans la plaine de la Beauce, tarie désormais et abandonnée par la culture. Une ville de fer venait d’être édifiée là, et, dominant la cité moderne, un édifice vertigineux avait été bâti. Mais ses sept cents mètres de hauteur n’étaient rien par eux-mêmes : un réseau d’antennes le reliait aux cimes proches des Alpes, des Pyrénées, ainsi qu’aux postes secondaires créés par Zalobib Kodar en Hollande et en Angleterre ; – et d’autres réseaux encore tissaient leur toile métallique et étoilaient le globe, jusqu’aux sierras espagnoles, aux pics sardes, aux montagnes des fjords Scandinaves.
C’était dans ce laborieux travail d’araignée monstrueuse que venaient se prendre cette nuit les signaux vrombissants, voletant jusque à nous, d’un autre astre.
*
… Une fois de plus Sirmon Lovdak se sentit devant son Maître ainsi qu’un enfantelet devant son père. Il rendit compte de ses observations, des mesures prises pour enregistrer le phénomène et pouvoir à loisir l’examiner plus tard, et, un peu inquiet, craignant de n’avoir pas prévu quelque chose, attendit.
Les soixante-dix-sept signaux se succédaient aux écouteurs magnétiques.
Zalobib Kodar conservait un silence passionné ; tout son être tendu vers cet Incompréhensible, dont tout à l’heure la découverte peut-être allait illuminer son visage.
Un long moment passa dans un silence opaque.
Enfin, Zalobib Kodar murmura désespérément : « Il est clair qu’ils nous transmettent un code et qu’ils veulent entrer en conversation. Nous essaierons de déchiffrer leur alphabet tout à l’heure. Mais comment leur répondre, si nous avons compris ?… »
Les prodigieux progrès accomplis par la science dans ce dernier demi-siècle, n’avaient pourtant pas permis aux savants de concevoir un appareil assez puissant pour envoyer ses ondes au plus rapproché des satellites. Or, d’après les calculs de Zalobib Kodar, l’appel adressé à la Terre depuis tant d’années provenait probablement de Jupiter ou de Mars. Et, d’autre part, l’énergie électrique entière de notre infime planète n’aurait su, d’après lui, y suffire.
Il fallait donc se résigner à déchiffrer le code interplanétaire d’abord, pour peut-être « recevoir » ensuite des messages.
« Probablement, confia encore l’Homme-Cerveau, vont-ils répéter longuement leur code pour nous donner l’idée d’essayer de le deviner ; puis, lorsqu’ils espéreront que nos faibles moyens humains nous ont sans doute permis de les comprendre, essaieront-ils autre chose ?… »
Lorsque l’Homme-Cerveau avait parlé, Sirmon Lovdak approuvait d’un regard. Jamais il ne s’était permis d’avoir un avis contraire à celui du Maître. Pour la première fois, il émit une hypothèse qui ne se superposait pas au raisonnement de Zalobib.
« Oui, si leurs soixante-dix-sept signes représentent un alphabet comparable au nôtre. Non, si c’est leur message même qu’ils nous répètent comme on ânonne une leçon à un enfant. Et non encore, si leur soi-disant alphabet, au lieu de correspondre à nos lettres, correspond à leurs idéographies ou… que sais-je ? »
Le vieux savant gratta sa calvitie ; puis, d’un regard sévère, foudroya son disciple qui déjà souhaitait n’en avoir pas tant dit.
« Mon brave ami, dit-il enfin, vous venez de tout foutre par terre… »
Et, – avec la même colère qu’il aurait eu si les paroles de l’autre avaient réellement changé quoi que ce soit à ce qui devait être, – il quitta le laboratoire en claquant la porte de mica.
Très calme, Sirmon Lovdak demeuré seul songeait à Élita…
(À suivre)
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(Marcello-Fabri, in La Renaissance d’Occident, troisième année, tome V, n° 1, janvier 1922 ; illustrations de Jean-Paul Quint, extraite du numéro de La Baïonnette consacré à « la Guerre vue des autres Planètes, » quatrième année, n° 175, 7 novembre 1918, et de Roland Topor)