« Au secours ! À moi, madame ! Il a voulu me découper, toute vivante, en petits morceaux ! »

Cris terrifiants qui roulent des étages d’un minable petit hôtel de la rue de Flandre. Une fille horrifiée, entièrement nue, s’effondre à demi morte dans la loge.

Elle porte à la cuisse gauche une entaille béante. À cette vision, la servante de nuit se cramponne à une chaise pour ne pas défaillir.

La taulière à la tête de gorgone surgit :

« Nom de Dieu !… Ça n’arrive qu’à moi ! pesta-t-elle. Qui est cette femme ? Qui l’a mise dans cet état ?

– Je l’ai montée à la chambre 7, voici une demi-heure. Elle était accompagnée d’un homme très brun.

– Où est-il ?

– Il vient de partir. Il n’y a pas cinq minutes… »

La gorgone trépigne, arrache son chignon.

« C’est du propre ! Traîne cette paumée dans l’entrée. J’grimpe chercher ses frusques. Faut lui passer une robe avant d’appeler une ambulance. Puis essuie le sang. Elle en a foutu partout… »
 

 

À Lariboisière, où la victime est pansée, – son énigmatique compagnon lui a taillé une noix de chair en pleine cuisse, – Gisèle R., 17 ans, raconte qu’elle a été matraquée devant la porte de l’hôtel, par des sidis, et que ce qui s’est passé par la suite n’est plus pour elle qu’un vague souvenir…

Après une minute de silence, elle confie à l’infirmière :

« Je ne peux rien dire à cause de mon oncle… »

Averti cependant, l’inspecteur-chef Sabouri, du service des garnis, se lance sur les traces de l’odieux agresseur.

« C’est le même cinglé, dit-il, qui a mutilé de la même manière une tapineuse du boulevard de la Chapelle, après l’avoir à demi étranglée. »

Le policier commence par entendre la vieille domestique de l’hôtel, témoin du drame.

« Ah ! mon pauvre monsieur, j’en ai encore le sang retourné, se lamente-t-elle. La petite s’est fait « massacrer » la cuisse dans la chambre 7. En lavant le sang répandu sur le plancher, pas tant que j’aurais cru, j’ai ramassé un coupon de chemin de fer qui a dû appartenir au vampire. »

C’est un billet de retour Paris-Corbeil, daté du 11 octobre. Mais la mutilation de Gisèle s’est produite dans la nuit du 14 ou 16 octobre. L’inspecteur va le jeter quand il remarque les chiffres griffonnés au verso : « M. 80. 81. » Un numéro de téléphone, sans doute.

« Pourriez-vous reconnaître l’individu qui est monté avec la victime, à la chambre 7 ? demande-t-il à la femme de chambre.

– Oui, entre dix mille, » réplique la brave femme.

Le policier la remercie et lui dit : « À bientôt. »

Après avoir vérifié l’identité des divers abonnés M. 80. 81, l’inspecteur passe à l’action. Il invite la domestique de l’hôtel à le suivre jusqu’à la rue Marcadet. Les voici devant une épicerie.

« Entrez comme cliente, lui ordonne-t-il. Il y a ici un individu qui répond bougrement au signalement que vous m’avez donné. »

Deux minutes après, elle ressort, bouleversée.

« Je me suis trouvée nez à nez avec l’homme en question. C’est l’un des deux commis. Le plus grand, brun, avec son nez aplati. J’en ai des sueurs froides… »

Le vampire est repéré. Il ne s’agit plus qu’à voir comment il est entré en relation avec la petite Gisèle.

Celle-ci, menacée d’être enfermée, se met à table.

Le samedi 30 juillet, elle va seule au Ciné-Palace, rue de Flandre, aux places à 30 francs. Son voisin de fauteuil, grand, brun, gentil garçon, double les étapes de l’abordage. C’est l’invitation à boire une fine à la sortie, la promenade sentimentale, l’hôtel borgne.

Au point pathétique de sa confession, elle sanglote :

« Nous nous sommes couchés après avoir fermé la lumière. Nicolas m’a caressée très doucement, mais, au moment que vous devinez, j’ai senti qu’il me ficelait les poignets. Et, soudain, je sentais une vive douleur à la cuisse gauche. J’ai crié, il m’a assommée. Le reste, vous le savez… »

Étrange histoire.

L’enquête sur le vampire, appelé Nicolas, dévoile que le père est un opulent commerçant d’Essonnes, près de Corbeil. Celui-ci a trois fils. Le dernier, Nicolas, lui a déjà causé bien des tracas.

À 15 ans, Nicolas avait eu une liaison avec une veuve d’une cinquantaine d’années, insatiable dans ses désirs charnels et jamais inassouvie.

« Elle voudrait que je la croque à pleines dents, » déclarait Nicolas.

Un jour, le jeune homme fut expédié à Paris, la veuve ayant failli périr de ses monstrueux sévices. Il lui avait emporté, à coup de dents, une partie du sein droit. La plainte fut évitée à prix d’or…

On décide alors de faire interner Nicolas pour lui éviter d’accomplir d’autres forfaits.

Voici Nicolas à Sainte-Anne. Il affirme qu’il tient de sa première liaison ce vice terrifiant.

« Elle voulait être mordue jusqu’au sang. Cette passion m’enivra. Elle me donna le goût de la chair humaine. Je n’avais plus d’autre idée. »

Puis il trouva des malheureuses qui, pour quelques centaines de francs, acceptaient de se laisser taillader.

« Et que faisiez-vous de ces lambeaux de chair ?

– Je les emportais pour en sucer le sang… et les manger. »

Les psychiatres qui soignent le vampire ont été amenés jusqu’au bout de l’horreur.

« Quand ma passion me prend chez moi, à l’improviste, leur révéla Nicolas, je me ligote fortement une jambe à un pied de table, et, avec un rasoir je m’enlève un morceau de chair. 5 grammes suffisent à me satisfaire. »

Nicolas, le fou sadique, se dévorait lui-même !
 
 

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(Anonyme, in V Magazine, l’hebdomadaire du reportage, sixième année, n° 270, dimanche 4 décembre 1949)