UN DES SONGES DE L’AUTEUR

ÉCRIT PAR LUI-MÊME

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Je vis dans le ciel, un peu avancé du côté du midi et la face tournée vers l’occident, un homme d’une beauté surnaturelle ; son costume, son maintien et ses traits avaient quelque chose de sublime.

Il me semblait représenter les trois âges de la vie. Il était d’une petite taille et tous ses traits portaient l’empreinte d’une majesté que je ne pourrais décrire ; son visage était pâle et maigre, mais sur ses joues et ses lèvres était répandue une légère teinte de rose ; ses yeux, animés d’un feu céleste, respiraient le calme et la mélancolie ; son cou était nu et d’une blancheur extrême, sa peau aussi fine et aussi délicate que celle d’une jeune femme ; de longs cheveux blonds tombaient négligemment en boucles ondoyantes jusqu’à moitié de ses épaules, et représentaient la jeunesse de l’adolescence. Sa physionomie grave et sévère était celle d’un homme qui a vécu longtemps dans la méditation. Son costume simple et d’un genre antique lui donnait une grâce inexprimable, et, dans son attitude, il était courbé comme un vieillard qui commence à fléchir sous le poids des années. Tout son corps était resplendissant et brillait comme s’il eût reçu le reflet d’un astre ou d’une lumière qui était invisible pour moi. Cette douce réverbération avait je ne sais quoi de divin qui faisait ressortir tout l’éclat de sa beauté.

Il tenait à la main droite une grande plume dont le haut était blanc comme de la neige et le bas clair et transparent comme une eau limpide versée dans un vase de cristal. Je pus l’observer à loisir, car il resta longtemps immobile, tel qu’un homme absorbé par de grandes pensées.

Tout à coup, il se fit un profond silence et toute la nature fut plongée dans le recueillement ; les vents retinrent leurs haleines et les nuages qui traversaient l’espace s’arrêtèrent en même temps.

Alors, il se mit à écrire sur l’azur du ciel : sa main allait très lentement, et les lettres qu’il formait étaient très grandes et blanches comme le haut de sa plume ; mais avait-il achevé une lettre, elle disparaissait à mesure qu’il traçait la suivante, en sorte que je n’en pus jamais voir en entier qu’une seule à la fois. Il me fut donc impossible de rien épeler ni de rien comprendre.

Dans l’étonnement et l’admiration, je cherchai des yeux autour de moi quelqu’un pour m’expliquer le sens de ces lettres mystérieuses ; mais je ne vis que ma mère qui, tremblante auprès de moi, contemplait ce prodige. Elle m’adressa des paroles de joie mêlées de crainte. L’homme alors cessa d’écrire et disparut lentement, comme les lettres qu’il avait tracées ; mais sa plume resta encore un instant à la même place, s’agita soudain en sens divers et décrivit un grand cercle autour de l’espace qu’avaient occupé les lettres ; puis, prenant un mouvement plus rapide, elle développa ce cercle en spirale et, tout à coup, se divisa en des milliers de petites plumes qui, gardant la même forme, se dispersèrent dans le ciel et tombèrent vers la terre.

Il me sembla que l’une d’elles descendait vers moi.

Je tressaillis de joie, je tendais les mains pour la saisir ; mais, quand je crus la posséder, je ne tenais que le bout de l’aile d’un oiseau qui m’était inconnu !

J. P.

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(Jules Prior, tonnelier à Beaumont-le-Roger, membre de l’Union des Poètes, Les Veilles d’un artisan, Paris : E. Dentu, 1865)