L’Antéchrist et une troupe de Farfadets m’ont écrit.
Ils ont cru m’intimider ; mais je les ai bien lardés de poinçons
et d’épingles.
_____
Le 7 du même mois de février au soir, le facteur de la poste me remit une lettre signée l’Antéchrist.
Ce cruel démon se plaignait de la démarche que j’avais faite la veille auprès de M. le curé de Saint-Roch, pour dénoncer l’engeance abominable des farfadets. Cette lettre sera connue du public, ainsi que le fac-similé de la signature de celui qui me l’a écrite et adressée.
Je ne m’en occupai pas moins pendant huit jours à saisir mes farfadets avec des épingles, toutes les fois qu’une audace impudente les faisait venir chez moi pour se glisser entre le drap et la couverture de mon lit. Ma haine et mon aversion pour eux sont invétérées.
Quelques jours après, je reçus une seconde lettre de la part d’un chef de légion du farfadérisme, qui me prévenait que ce jour même il enverrait le soir une députation de trente farfadets, pour connaître ma résolution et avoir ma réponse. Cette lettre émanait de l’autorité royale des farfadets, car elle en avait le sceau.
Ma seule réponse à cette proposition fut de me mettre en garde, en m’armant de deux cents épingles noires, les plus longues qu’il me fut possible de trouver. Je me munis aussi d’un petit instrument bien pointu, très aigu, de la forme d’un poinçon. Je les attendis ainsi jusqu’à minuit, et je me mis au lit, sans avoir l’intention de dormir ; j’étais trop occupé de mon projet. Je plaçai mes mains entre le drap et la couverture. Un quart d’heure après, j’entendis le jargon de leur commandant ; et, sur le signal convenu par cette clique infernale, je me vis assailli de toutes parts. Aussitôt que je sentis leurs mouvements, je piquai de mon poinçon tous ceux qui s’étaient approchés.
Quand ils furent pris, ils voulaient remuer : je m’assurai alors de leur captivité par des épingles noires, dont je les lardai bien vivement ; ce qui me divertit beaucoup. Pour augmenter ma jouissance, j’imaginai de piquer avec des épingles le dessous de mes couvertures, afin qu’ils fussent pris dessus et dessous. Le nombre de mes ennemis vaincus était de vingt-cinq ; ma couverture en était chargée, et tellement pesante, que, le matin, avant de me lever, je me sentis accablé sous le poids de ces misérables qui, tout piqués de diverses manières, faisaient des grimaces effrayantes.
En me levant, je leur souhaitai le bonjour à coups de poinçon.
Quand mon perruquier arriva, il me demanda ce que c’était que cette quantité innombrable d’épingles qui traversaient ma couverture. Je lui dis que c’étaient les armes dont je m’étais servi pour arrêter les coureurs de nuit dans leur course vagabonde et perturbatrice du repos des honnêtes gens.
La fille de l’hôtel vint aussi pour faire ma chambre, elle fut étonnée de la quantité d’épingles qui joignaient le drap de lit et la couverture. Elle ne pouvait pas voir et sentir comme moi ces infâmes et cruels farfadets qui me poursuivaient, et dont mon corps était accablé. Elle riait lorsque je lui faisais le détail de toutes mes souffrances.
Cette bonne fille étonnée se trouvait fort embarrassée pour faire mon lit. Pour lui éviter de se piquer les doigts trop souvent, je l’aidai à ôter les épingles qui joignaient mon drap de lit à ma couverture.
Les coups de poinçon étaient presque invisibles, parce que mon poinçon était aussi pointu que les épingles.
J’avais oublié de dire qu’en me levant le matin, j’entendis dans ma chambre un traîneur, du nombre de ceux qui m’avaient poursuivi et accablé pendant la nuit. Ce coquin se plaça sur mon dos afin de m’importuner et de venger la mort de ses camarades expirés sous mes coups. Je le saisis d’abord avec une épingle, et j’en employai jusqu’à trente pour l’obliger à demeurer ainsi retenu pendant trois ou quatre heures.
Bientôt après je fus forcé de me dessaisir de lui. C’était avec beaucoup de regret. Il n’en reçut pas moins une grande quantité de coups d’épingles, que je lui administrai à son départ.
« Va, coquin, lui dis-je, va te faire pendre ailleurs. » Il profita du moment où les épingles me manquèrent, pour s’éloigner de mon appartement.
Un farfadet riait beaucoup lorsque je lui racontais ce que je viens de consigner dans ce chapitre. Je suis sûr qu’il était du nombre de mes persécuteurs, et sa joie apparente n’avait peut-être pour but que de détourner mes regards du côté où je devais alors les porter.
Je pourrais bien joindre son nom à ceux que j’ai déjà cités dans mon ouvrage ; mais pourquoi irais-je ajouter un nom de plus à ceux que j’ai cru devoir signaler d’une manière spéciale ? On sait que la terre est remplie de farfadets : s’il fallait en donner la nomenclature générale, toutes les presses de Paris ne suffiraient pas pour y parvenir.
_____
(Alexis-Vincent-Charles Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, Les Farfadets, ou tous les démons ne sont pas de l’autre monde, Chez l’auteur, P. Gueffier Imprimeur, 1821)