À RIMBAUD
_____
Toi, du fond de mon sort calme et simple, je t’aime
Pour ta folle âme inguérissable de bohème,
Ô précoce Rimbaud, Musset des vagabonds,
Flâneur des ports, marcheur des quais, rêveur des ponts,
Pâle dormeur sur les bancs froids des tristes gares,
Hôte des cabarets aux subites bagarres,
Badaud nocturne ami du cocher maraudeur ;
Et puis soudain rouleur des océans, rôdeur
Des vastes flots dont l’âcre embrun te fit revivre,
Passager invisible à bord du Bateau Ivre,
Menant ton songe halluciné sous tous les cieux,
Si plein de voix que tu restais silencieux !
Ah ! tu l’as bien senti, nostalgique malade !
Le poète, d’instinct, est l’éternel nomade,
L’homme que sans répit tourmente le besoin
D’épuiser l’infini des frissons, d’aller loin,
Plus loin toujours, changeant d’âme comme de place,
Pour rafraîchir à l’inconnu sa fièvre lasse,
Et pour chercher ailleurs, ailleurs encor, là-bas,
Si par hasard tout le bonheur n’y serait pas !
_____
(Fernand Gregh, « Poésies, » in Revue des Deux-Mondes, quatre-vingtième année, tome 55, 15 février 1910 ; Alfred Kubin, « Hommage à Rimbaud, » estampe, 1919)
Le Bath Hommage
Ivre des mers hâlées par nos amours amères,
De ces gouffres obscurs à nos âmes égaux.
Je veux plonger en vous mes mauvaises manières.
Piquer vos fonds braiseux de mes désirs brutaux !
Louvoyer à rebours de vos modes merdeuses
Pour croiser vers des ports au charme langoureux.
Malgré les cris de mes petites amoureuses,
Je cours prendre les eaux par un vent vigoureux !
Je dois ce cœur laver moi aussi dès dimanche
Et les plastiqueries démarrées ne sauront
Retarder mon départ vers les chaudes Calanche
Ou la terre Adélie, – qu’importe le Charon !
Pour lors, j’allai, soumis à l’humeur maritime,
De passes en brisants, je bravai le bassin,
– Saluant çà et là l’impeccable victime
De l’océan goulu ou autre spadassin !
Quand sitôt j’essuyai ma première bourrasque,
– Transformé !, – j’applaudis le spectacle tant con
Que peiné de n’avoir vu tourner dans ma vasque
Les spectres indécis louchant sur leur balcon !
Transi, ragaillardi, par la céleste tasse,
Je partis sentir où le poète, jadis,
De la tempête auguste à l’aurorale grâce,
Captura la Beauté dans son filet maudit ;
Où l’eau unie à l’air élève une harmonie,
A notre âme enlevant veuvages et rendant
Au cœur un appétit, au corps une énergie,
Plus vastes et plus forts que l’or du dépendant !
Oui je sais à présent l’aube perlée pareille
Au rire étincelant la lèvre du forban !
Fils du soleil barrant ta superbe Merveille,
Les jours trempés de peur quand flotte le hauban !
J’ai vu l’enfer du soir dans sa corolle rousse
Ensanglanter l’azur rasant l’immensité,
Versant ses derniers feux comme un poison qui mousse
Sur la lame engourdie des choses de l’été…
J’ai soutenu, la nuit, l’œil sombre du cyclone,
La foudre à mon beaupré claquant ses revolvers !
Salifié cent fois par ma sale gorgone,
J’ai vomi du sang brun mais vu des rayons verts !
J’ai engueulé les dieux dans la houle en furie
Mais n’ont chu de mon Ciel qu’immaculés glaçons ;
Tandis que les marins, tablant sur l’avarie,
Auguraient nuit câline et viriles boissons…
J’ai tapé dans les bancs mouvants de fange rouge
Où des enfants mutants griffaient de leurs assauts
Mon gouvernail avec le débit d’une gouge
Quand l’orage soufreux souffla mes agasseaux !
J’ai troué la mangrove irritée de chevilles,
Fantômes des marais où reflue l’Achéron
Et où remue la lie du roman des Antilles
Sous les miasmes nouveaux fendus par l’aviron !
O flots rimbaldiens ! Que n’avez-vous de cesse
De reporter ce bain que réclame mon cœur !?
Aube australe, astres blancs, bleu azur ! Morbidesse
Tremblotante et fadasse empruntée au croqueur !
Tapis roulant, un temps, les pêches légendaires :
Je me suis essayé aux courants des anciens ;
Dans le miroitement du ballet des cténaires
J’ai vu se pâmer les hommes amphibiens !
Parfois, vaguant aux frais de la noble aventure,
La mer changée en un miroir ébouriffant
Restituait l’éclat de ma triste nature.
Et je rageais, le poing crispé comme un enfant…
Par le flot tout enflé de ma flamme imbécile,
Je parcourrai ce qu’il me restât d’horizon :
Vénus anadyomène ou sirène sessile,
De mon âme, admiraient la faible flottaison !…
Or moi, canot dormant dans le coton des havres,
Roulé par l’océan comme un vulgaire ormeau,
Moi dont les vieux dragueurs et les chiens de cadavres
N’auraient pas approché le branle-bas nouveau ;
Bouillant, intact, mêlé d’effluves remarquables,
Moi qui baisais la mer et le soleil avec,
J’ai goûté aux menstrues de vêprées formidables
Et j’ai pu traverser la plainte du varech ;
Moi qui filais, débris débordé d’ombres noires,
Porté par des rouleaux opaques d’oiseaux morts,
Quand les monceaux de mer effleuraient les hiloires
Des ferries fastueux courant les quatre ports ;
Qui sentais mon Printemps, un peu, battre de l’aile,
– Ramas de visions menties de mauvais rhum ; –
Vaisseau roi sillonnant l’onde matricielle,
Je regrette ma chambre et son froid décorum !
Puis-je entendre à nouveau sourdre ton char sublime,
Ton trident rougeoyant ébranler la cité,
Poséidon cruel qui foule notre abîme
Où peut-être se meurt quelque félicité ?
Or, las, je n’en suis plus, mes soleils sont en bernes.
L’océan me salit sous un ciel ruisselant :
Le vertige a figé le ciment de mes cernes.
Que je me saborde, vite, et par le néant !
Si je penche toujours, – ô lecteur débonnaire ! –
Pour une eau c’est la fange enflant le caniveau,
Où les nuits de tourments, sur le pavé lunaire,
Du poète verdi elle éteint le sanglot.
Je vous salue flots bleus ourlés d’extases lentes.
Je ne peux plus tanguer par le roulis fragrant
Des caboteurs d’acier aux cales opulentes.
Ni tremper jusqu’aux os dans la mare au Migrant.