Un astronome suisse, M. Le Coultre, a cru discerner des lueurs intermittentes sur la planète Mars. Il se demande si ce ne sont pas des signaux à l’adresse de la Terre.

Les Martiens existeraient donc. Comment sont-ils faits ?

Beaucoup de savants ont émis, à ce sujet, des hypothèses, à commencer par notre ami Camille Flammarion.
 

« On peut imaginer, dit aussi le président de l’Académie Royale de Londres, que les hommes de Mars sont grands parce que la pesanteur y est faible, blonds parce que la lumière y est atténuée, ont quelque chose, avec plus de gracilité, des membres de nos Scandinaves, et ont aussi probablement le crâne plus élargi.

Leurs yeux bleus sont plus grands et doués d’une faculté d’accommodation plus étendue : leur nez est également plus fort, leurs pavillons auditifs plus grands. Leur tête volumineuse, leur vaste poitrine, leurs membres longs et grêles, l’absence de taille séparant le thorax de l’abdomen, leur donnent un aspect général assez différent de celui que nous présentons ; leurs grands yeux, leur nez puissant, à narines mobiles, leurs larges pavillons auditifs constituent un type de beauté que nous n’apprécierions sans doute pas beaucoup. »
 
 

 

M. H.-G. Wells, auteur d’une Guerre des Mondes, a une autre idée des Martiens.

« Les habitants de la planète Mars, écrit-il, ont d’énormes corps ronds, ou plutôt ils ont pour corps d’énormes têtes rondes d’environ quatre pieds de diamètre avec un visage au milieu. Ce visage n’a pas de nez, mais une paire de gros yeux de couleur sombre et, immédiatement sous les yeux, une sorte de protubérance charnue. À l’arrière du corps se trouve l’oreille. La bouche est entourée de seize tentacules effilés semblables à des fouets. »
 
 

 

M. Flammarion n’est pas de cet avis. Il dit :

« Les habitants de Mars ne peuvent qu’être pareils à notre espèce humaine. Ils doivent être plus grands, plus légers, d’une forme différente. Ils doivent être aussi plus beaux que nous et meilleurs. »
 

Le professeur Hyslop, dans Les Annales des Sciences Psychiques, a tracé le portrait d’un Martien d’après un médium, Mme Smead. Elle s’est bornée à dire :

« Les habitants de Mars, en chair et en sang, ressemblent à des Indiens de l’Amérique du Nord. »
 

La Presse, de Montréal, a publié, en 1900, deux images de Martiens.

L’une d’après l’astronome Nicolas Climius [sic], dont le nom ne nous est pas très familier. Pour Nicolas Climius, le Martien – il l’a dessiné – est un homme-arbre. Son tronc est un vrai tronc ligneux et ses bras sont des branches. Quand les Martiens sont en mouvement, on croirait voir marcher la forêt dans Macbeth.
 
 

 

Tout autre est le Martien pour sir Humpfry Davy’s. [sic]

« Le Martien, d’après ses études, est de taille immense ; il ressemble à un humain. Mais ses membres sont d’un développement extraordinaire. »

En un mot, et c’est pour lui assurer le respect de certaines gens, le Martien a le bras long.
 
 

 

La science – et non sans témérité – en est là. Nous nous garderons bien de conclure et de choisir. D’autant plus que la galerie des types de Mars par les types de la Terre n’est pas près d’être close.

Et qui sait si les personnages singuliers des toiles futuristes ou cubiques [sic] ne sont pas tout simplement des Martiens qui se sont imposés à l’esprit d’artistes en communication avec Mars sans le savoir !
 
 

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(in Les Annales politiques et littéraires, trente-et-unième année, n° 1583, dimanche 26 octobre 1913. Cet article a été repris, dans une version écourtée et avec deux illustrations seulement, sous le titre : « Comment sont les Martiens ? » dans L’Humanité, journal socialiste, dixième année, n° 3495, mardi 11 novembre 1913. Il était précédemment paru sans illustrations, sous le titre : « Il y a, paraît-il, dans la planète Mars des types étranges, » dans le supplément hebdomadaire du Messin, journal politique quotidien, vingt-neuvième année, n° 50, jeudi 29 février 1912)

 
 

 

Gravure de Johann Benjamin Brühl, représentant, non un Martien, mais la figure d’un Potuan pour le Voyage de Nicolas Klimius dans le monde souterrain, de Ludvig Holberg, 1741

 
 

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– Voulez-vous savoir comment on vit dans la planète Mars ?

 

– Rien de plus simple, et M. Edmond Perrier, directeur du Muséum, va vous le dire.

 

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Nous savions déjà qu’il y avait des canaux dans la planète Mars. M. Edmond Perrier nous assure, aujourd’hui, qu’il y a là-haut toute une civilisation qui, si nous la connaissions, ferait honte à la nôtre. Le savant directeur du Muséum n’a pas vu cela dans les astres, comme vous le pourriez croire, mais tout simplement dans son cerveau de penseur. Il a imaginé, rêvé, vérifié… Et le résultat de ses trouvailles fut exposé par lui dans un opuscule récent, La vie dans les planètes. Était-il sérieux ? Avait-il voulu rire de nous, et de lui ? Nous allâmes le lui demander, dans le pavillon qu’il habite au centre du Jardin des Plantes, comme un dompteur jardinier qui gouvernerait, en l’observant, un peuple d’animaux et une forêt d’arbustes.

M. Edmond Perrier est gai. C’est un savant qui fait et qui dit, en s’amusant, des choses très sérieuses. Il parle avec rapidité, précision, élégance, et conte, avec un petit air dégagé, très impressionnant, un tas de choses précises et légères, documentées et paradoxales, qui vous ravissent et vous déconcertent. C’est un savant, puisqu’il est membre de l’Institut, mais c’est aussi un humoriste. Il est délicieux.

« Un de mes amis, nous dit-il, me posa un jour, à brûle-pourpoint, cette question : « Avez-vous jamais songé à la forme qu’ont les animaux, dans Jupiter ? » Et voilà pourquoi, remontant aux origines de la vie, j’ai tenté de savoir.

La vie qui anime la Terre anime pareillement les autres planètes. Par ce qui se passe chez nous, nous pourrons deviner ce qui se passe ailleurs, en examinant les conditions précises où se trouve chaque planète par rapport à la nôtre ; ayant précisé – et rien n’est plus facile – leur position dans l’espace, leur situation d’atmosphère, de densité, leur état général, nous pourrons arriver à de sérieuses probabilités. Et ces études achevées, voici ce que j’ai conclu en pure logique :

Sur les planètes les plus éloignées, il est impossible qu’il existe des êtres vivants, car aucun organisme n’a pu, par exemple, se former dans les mers alcalines de Jupiter, tandis que Mercure, trop près du Soleil, ne saurait engendrer la vie. Seuls Vénus, la Terre et Mars sont habitables ; ils sont ou seront habités. Je m’explique.

Il y a une cause, l’existence de l’Univers, une cause qu’on ne peut nier et à laquelle il y aurait puérilité à refuser un nom tout simple : Dieu… Dieu n’est pas un être de caprice ; il a des lois de création définitives, éternelles. En nous éclairant à la lumière de ces lois, nous remarquerons que, chez Vénus, la température, les dimensions, la densité se rapprochent de la Terre ; les saisons y sont peu accusées ; cette planète est, aujourd’hui, dans les conditions de notre propre planète à l’époque primaire, parce que Vénus est plus jeune que la Terre ; il n’y a point encore d’êtres humains, mais des reptiles et des insectes énormes, pareils à ceux de notre période carbonifère ; période d’attente, avec des plantes à fleurs ébauchées et qui, lentement, se développera. Vénus demeurera toujours plus chaude que la Terre et traversera plus tard les mêmes phases ; mais tout autre est Mars !

– Alors, Mars, c’est la grande vie ?

– Mars, c’est la grande vie, intense, formidable ! Sa température moyenne n’est plus que de 9° au lieu de 26° sur la Terre, mais les écarts considérables de température et l’évolution des saisons y provoquent un développement énorme des êtres et des choses. L’année de Mars a une durée double de la nôtre (668 jours 1/3), et les plantes ou les insectes disposent donc d’un temps double pour leur évolution ; herbes hautes, fruits gigantesques, et instinct d’autant plus parfait que la durée d’existence développe l’intelligence. Les oiseaux ont un luxuriant plumage ; ils sont vastes, parés de couleurs abondantes, et ils ont atteint un degré de perfection inconnu pour nous ; Mars est donc le pays des plantes immenses, des fleurs somptueuses, des oiseaux à grande voix et aux magiques aspects, des mammifères à l’épaisse toison. Les animaux y sont légers, élancés, rapides, très hauts sur pattes, et les ours y ont pris l’aspect de prompts lévriers. C’est un pays d’enchantement !

– Et les hommes ? Et les femmes ? Comment les voyez-vous ?

– La faible tension atmosphérique a produit là-bas un développement considérable de l’appareil pulmonaire et l’allure générale des vertébrés martiens a été influencée par ce développement inconnu sur la Terre. Dès lors, je conclus que les hommes – il y a des hommes, puisqu’il y a des animaux, donc des singes, qui ont évolué – doivent être imaginés ainsi, conformes à la nécessité scientifique :
 
 

 

On peut imaginer que les hommes de Mars, grands parce que la pesanteur y est faible, blonds parce que la lumière y est atténuée, ont quelque chose, avec plus de gracilité des membres, de nos Scandinaves, et ont aussi probablement le crâne plus élargi….

Leurs yeux bleus sont plus grands et doués d’une faculté d’accommodation plus étendue ; leur nez est également plus fort, leurs pavillons auditifs plus grands. Leur tête volumineuse, leur vaste poitrine, leurs membres longs et grêles, l’absence de taille séparant le thorax de l’abdomen leur donnent un aspect général assez différent de celui que nous présentons ; leurs grands yeux, leur nez puissant, à narines mobiles, leurs larges pavillons auditifs constituent un type de beauté que nous n’apprécierions sans doute pas beaucoup, à moins qu’il ne nous charmât par un rayonnement d’intelligence que l’on pourrait qualifier de surhumain. Sans gorge, sans taille, pourvues de larges hanches proportionnées à la durée de la gestation, les compagnes des Martiens paraîtraient fort disgracieuses aux élégantes de nos boulevards. »

M. Edmond Perrier nous avait dit : « Mars est le pays de la beauté. » Nous lui demandâmes s’il y croyait la vie harmonieuse et douce. Et il nous répondit qu’il voyait le Martien en possession de la plus splendide civilisation ; il a laissé la Nature faire son œuvre et il a conquis de vivre en accord avec tout ce qui l’entoure ; les animaux ne le fuient plus et il n’a rien à en redouter ; les Martiens connaissent les plus nobles satisfactions intellectuelles et les plus suaves émotions.

Disant ces choses fabuleuses, M. Edmond Perrier souriait. Il ne riait pas, mais il souriait avec une gravité mystérieuse ; et il pensait, assurément, que nous devrons bien le croire, puisque nous ne pourrons aller voir.
 
 

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(Jean d’Orsay, in Le Matin, vingt-neuvième année, n° 10221, mercredi 21 février 1912)

 
 
 

 
 

Les études littéraires sont encore précieuses pour les savants à un autre point de vue : elles leur permettent d’intéresser le grand public aux recherches austères et aussi de conter les rêves qu’ils font quelquefois pour se délasser. Sans elles, sans doute, jamais M. Edmond Perrier, l’éminent directeur du Muséum, n’aurait écrit ce charmant petit ouvrage, la Vie dans les Planètes. Après avoir discuté la possibilité de l’ensemencement de la Terre par des germes venus des étoiles, et conclu par la négative, l’auteur nous parle de la naissance de la vie et des conditions d’habitabilité des planètes. Sur les planètes les plus éloignées, il est impossible qu’il y ait des êtres vivants ; il est fort probable qu’aucun organisme n’a pu se former dans les mers très alcalines de Jupiter. Mercure est, lui, trop près du soleil. Seuls Vénus, la Terre, et Mars peuvent être habités, et M. Perrier, qui admet, en lamarckien, que les êtres vivants sont façonnés par les forces du milieu extérieur, nous trace un parallèle fort intéressant entre les formes vivantes des trois planètes.

Sur Vénus, les effets de la pesanteur doivent se faire sentir à peu près comme chez nous ; la température moyenne est plus élevée, environ 66° ; la vapeur d’eau est plus abondante dans l’atmosphère toujours embrumée ; les saisons sont peu accusées. La vie, confinée dans les régions polaires, doit être à peu près dans les mêmes conditions qu’elle était sur la Terre pendant la période secondaire ou même la période primaire. En l’absence de saisons bien marquées, les insectes doivent vivre longtemps, évoluer lentement, sans métamorphoses, atteindre une taille considérable. Comme il n’y a pas de fleurs, il n’y a pas parmi eux de papillons, d’abeilles, de fourmis. On peut imaginer d’immenses libellules, des phasmes plus grands encore, des blattes ou cancrelats, et peut-être d’énormes coléoptères. Les générations d’insectes se mêlent, se connaissent, comme chez nos termites, nos abeilles et nos fourmis, et par suite les jeunes peuvent profiter de l’expérience des parents, et l’intelligence se développer. Pour M. Perrier, l’instinct, qui n’est qu’une forme régressive de l’intelligence, – apparue sous l’influence meurtrière des saisons, alors que les jeunes cessent de vivre avec leurs parents, – n’existerait pas sur Vénus. Les mammifères doivent être très humbles sur Vénus, et l’homme et la femme absents.

Sur Mars, les conditions de vie sont bien différentes ; l’intensité de la pesanteur est faible ; la température moyenne n’est plus que de 9°, au lieu de 26° sur la Terre, mais les contrastes des saisons sont très prononcés. Les êtres terrestres, soumis à des écarts considérables de température, doivent évoluer vite ; il y a certainement sur Mars des plantes à fleurs et des insectes à métamorphoses, qui pullulent pendant la belle saison ; celle-ci est plus longue d’ailleurs que chez nous, puisque l’année est de 668 jours. Les herbes sont plus hautes et les fruits plus volumineux ; les insectes plus grands. « La rigueur et la longueur des hivers ont déterminé une séparation plus complète encore que sur la Terre des générations successives de ces animaux. Les mères ne connaissent pas plus que chez nous leur progéniture, tuées chaque année par le froid. » Pour M. Perrier, Mars a dû traverser un état analogue à celui où se trouve actuellement Vénus et avoir eu des insectes intelligents ; mais cette intelligence serait passée maintenant à l’état inconscient et héréditaire, serait devenue instinct. L’intensité de la pesanteur étant faible, les reptiles ont eu moins d’efforts musculaires à faire pour dresser leurs pattes, et devenir des mammifères et des oiseaux. Ceux-ci ont atteint, à l’heure actuelle, un haut degré de perfection. Les mammifères doivent avoir une épaisse toison et les oiseaux un luxuriant plumage. Parmi les pâturages, il y a beaucoup d’alertes gazelles ; les ours ont pris l’aspect de rapides lévriers. « Il serait bien fâcheux qu’aucune intelligence ne pût jouir des féeries dont la planète Mars est le théâtre. » Pour Wells, les Martiens sont des sortes d’énormes poulpes. Rien ne justifie cette hypothèse. Ce qui a fait l’homme, c’est l’attitude verticale qui a rendu libre le membre antérieur, et a soulagé par le fait les mâchoires et les muscles masticateurs. Le crâne, délivré de la compression de ces muscles, a pu s’étendre sous la poussée du cerveau.

« On peut imaginer que les hommes de Mars, grands parce que la pesanteur y est faible, blonds parce que la lumière y est atténuée, ont quelque chose, avec plus de gracilité des membres, de nos Scandinaves, et ont aussi probablement le crâne plus élargi…

Leurs yeux bleus sont plus grands et doués d’une faculté d’accommodation plus étendue ; leur nez est également plus fort, leurs pavillons auditifs
 plus grands. Leur tête volumineuse, leur vaste poitrine, leurs membres 
longs et grêles, l’absence de taille séparant le thorax de l’abdomen leur 
donnent un aspect général assez différent de celui que nous présentons ; leurs
grands yeux, leur nez puissant, à narines mobiles, leurs larges pavillons auditifs constituent un type de beauté que nous n’apprécierions sans doute
pas beaucoup, à moins qu’il ne nous charmât par un rayonnement d’intelligence que l’on pourrait qualifier de surhumain. Sans gorge, sans taille, 
pourvues de larges hanches proportionnées à la durée de la gestation, les
 compagnes des Martiens paraîtraient fort disgracieuses aux élégantes de 
nos boulevards. »

On voit suffisamment l’intérêt des considérations développées par M. Edmond Perrier.
 
 

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(Georges Bohn, « Revue de la quinzaine : le mouvement scientifique, » in Mercure de France, n° 351, 1er février 1912)