Jamais je ne pourrai oublier la sensation d’étonnement qui me vint quand je vis pour la première fois un esprit. J’étais seule à mon bureau dans la salle d’accidents du grand Hôpital ; il était à peu près deux heures du matin. Je n’ai jamais pensé aux esprits, l’idée ne m’en était jamais venue, mais subitement je le vis devant moi.

À première vue, il ne me semblait pas différer d’un homme vivant ; en effet, je pensais qu’il était un des internes. Je lui demandai ce qu’il cherchait. Il inclina la tête et me regarda avec curiosité ; j’étais sûre qu’il n’avait pas entendu et j’allais lui répéter la même question, mais ma bouche resta ouverte. Je le regardai fixement. Je me souviens d’avoir pensé que j’étais en train de rêver ; je secouai la tête comme un nageur qui vient de plonger. Non, j’étais bien éveillée. Mais peut-être, pensais-je, je deviens folle, car, à travers son corps, bien habillé de gris, je pus voir la silhouette de l’armoire à instruments directement derrière lui ; la silhouette était un peu nébuleuse, mais je la vis clairement.

Je saisis le bord de la table pour me soutenir et me mis debout, lui criant : « Qui êtes-vous ? » et je sentais que ma voix était rauque.

L’expression de son visage passait de celle du doute à une reconnaissance étonnée, comme si la conviction lui était venue qu’après une longue période pendant laquelle personne ne pouvait le voir, il avait finalement trouvé quelqu’un qui le voyait. Son regard fixait le mien, et malgré moi je commençais à saisir ses pensées sans qu’il me parlât.

Lentement, comme un adulte qui essaie d’enseigner à parler à un petit enfant, il m’envoya le message : « N’ayez pas peur, surtout n’ayez pas peur de moi ; la peur causerait ma désintégration ; il faut que je reste, aidez-moi. »

Il m’était presque impossible d’éviter une vague de terreur et de panique, et, au même moment, sa forme de haute taille commença à disparaître. La dernière impression que j’eus de lui furent ses yeux, très intelligents, qui me regardaient à travers le nuage dans lequel il se dissolvait.

Ébahie, je retombai sur mon siège, le front couvert de moiteur froide, et ma main tremblante toucha presque un bouton électrique. Devais-je appeler quelqu’un ? À qui pouvais-je dire ce que j’avais vu et être crue sérieusement ? Je ne touchai pas la sonnette ; je n’osais pas, les autres me donneraient un sédatif et me mettraient au lit et, probablement, on appellerait un docteur pour m’examiner pour insanité.

Graduellement, je retrouvai mon calme ; je me décidai à ne rien dire, mais à attendre les événements, et à me forcer de vaincre les terreurs que j’avais eues et qui m’avaient empêché d’apprendre davantage de choses d’un phénomène si étrange. Deux semaines passèrent, et j’étais presque convaincue que ce n’était qu’un rêve, quand je le vis encore, mais, cette fois, ce n’était pas dans la même salle.

Nous avions une jeune domestique, une négresse qui servait un repas à minuit pour les internes, les infirmières et les postulants qui travaillaient la nuit. Cette négresse était une bonne fille très industrieuse, mais, dernièrement, elle avait déclaré ne plus vouloir travailler la nuit. Le surintendant des infirmiers désirait la garder et me demanda de lui parler pour tâcher de la persuader de rester ; donc, après son service, j’allai lui parler.

La salle à manger était obscure, mais, pendant que je lui parlais, je vis deux personnes assises près d’une table dans la salle à manger.

Étonnée qu’il n’y ait pas de lumière dans la pièce pendant que les docteurs mangeaient, je lui dis :

« Quelqu’un est-il venu tard, Bella ?

– Non, M’dam’, personne ! »

Elle regarda dans la chambre, puis tourna son regard vers moi d’un air un peu effrayé.

« Non, M’dam’, il n’y a personne ! »

Et alors je le reconnus.

De très haute taille, il avait une tête de plus que son camarade et traçait des dessins sur la nappe avec son doigt, comme on fait souvent à table. De suite, je pensais que la jeune fille ne pouvait les voir et, pour ne pas me trahir, je changeai de conversation :

« Ne changerez-vous pas de décision pour rester avec nous, Bella ?

– Non, M’dam’, j’pars le premier, j’veux plus travailler la nuit, » et elle murmura quelque chose que je ne pus comprendre.

« Mais, pourquoi, Bella ? »

Elle parut inquiète et, sans me regarder, se mit à essuyer la table devant elle avec une force inusitée et inutile. Elle répondit soudain :

« Ben, M’dam’, y a des choses ici que j’comprends pas, y a des fantômes.

– Des fantômes, Bella ? Avez-vous vu quelque chose ?

– Non, M’dam’, j’ai rien vu, mais j’les sens.

– Vous rêvez, Bella !

– Non, M’dam’, j’rêve pas, c’est du vrai, j’les sens qui m’touchent comme s’ils passaient vite et un’ fois, – elle regarda autour d’elle et tressaillit, – un’ fois, l’un d’eux prenait mon tablier et me tirait comme si je devais aller avec lui. Non, M’dam’, j’rêve pas ; je travaille le jour, mais, le premier, j’pars. »

Et moi, les yeux ouverts sur cette présence grise et de haute taille devant moi, dans la salle à manger, presque obscure, comment pouvais-je me moquer de l’intuition de cette négresse qui sentait en elle-même la présence psychique par l’occultisme primitif de ses ancêtres ?

Alors, je lui dis que je parlerais au surintendant pour qu’il lui donne une autre situation, et je retournai au bureau central, espérant que le grand fantôme gris se présenterait devant moi. Je désirais une autre opportunité pour lui prouver que je n’étais pas lâche et que j’étais prête à l’aider, si seulement il voulait me montrer comment le faire.

Il ne vint pas encore cette nuit-là. Peu à peu, dans les mois qui suivirent, j’appris que non seulement le grand fantôme, mais que beaucoup d’autres étaient toujours à leur tâche dans le grand hôpital et j’appris plus tard la nature de leur travail. Il me sembla, toutefois, que le grand fantôme gris était là plus souvent que les autres.

Je remarquai aussi qu’il ne venait jamais quand j’anticipais sa visite ; c’était seulement quand j’étais sans soucis et très calme, que je le voyais. Je m’adaptai à l’interprétation de ses pensées. J’appris que ce que nous appelons la parole est seulement une action qui vient du besoin de l’expression ; c’est un moyen de faire connaître nos pensées aux autres, mais très pauvre et incomplet.

J’appris aussi que les spirites ou les « esprits complets, » comme ils s’appellent, ne font pas de bruit physique ; si on a les dons psychiques pour voir ou pour sentir le monde invisible qui nous entoure, on peut voir, on peut sentir, on peut même entendre, mais ce que nous entendons est un son spirituel, non un son physique.

Malgré cette limitation, j’eus plusieurs conversations avec le grand fantôme gris ; j’étais une bonne élève, je cherchais toujours de plus en plus les connaissances de la vraie vie, parce que j’appris que les esprits disent que les mortels ne font que rêver et que la mort est le moment du réveil. Un grand changement se fit en moi. Mes amis, sans réaliser la force occulte qui était la cause de ce changement, ne cessaient de parler de ma transformation. J’étais une femme d’un certain âge, fatiguée et irritable ; presque subitement, je m’épanouis ; je n’ai jamais été jolie, mais, maintenant, il venait dans l’expression de mon visage une certaine douceur qui attirait tout le monde vers moi et donnait une confiance absolue en mon intérêt et ma compréhension. La paix venait à mon cœur, et je réalisais que, dans ce monde, il n’y a rien à craindre : la vie n’est qu’une leçon et la mort est le commencement, non la fin ; j’étais toujours très calme et je sentais une sécurité que je ne pourrais pas exprimer. Au même moment, curieusement, je perdais tout désir de manger de la viande et je n’avais aucun intérêt dans ce que je mangeais ; mes repas me semblaient n’avoir aucune importance, et, presque sans le réaliser, je perdais l’embonpoint qui m’avait beaucoup ennuyée pendant quelques années.

Ayant la charge de toutes les infirmières pendant la nuit, j’avais le privilège d’assister aux opérations urgentes dans la salle chirurgicale, et il est bien rare que j’en ai manquée une, car elles me fascinaient toujours.

Une nuit, le docteur Norton alerta toute son équipe pour une opération urgente. Comme un groupe de figurants, ils étaient tous prêts dans la salle de stérilisation, mettant leurs tabliers stérilisés et leurs masques de gaze qui ne laissent que les yeux et les oreilles exposés.

Ils sortaient par ordre de préséance : le premier chirurgien, son assistant, la première infirmière de l’opération, les infirmières pour les instruments, l’anesthésiste et, derrière la barrière de verre, nous, les internes, les infirmières, les infirmiers, les étudiants médicaux, attendions, regardant les photos de rayons X du cas sur lequel on devait opérer, et nous attendions le commencement, comme sur la scène.

Une infirmière aidait le docteur à mettre ses gants de caoutchouc, et attachait le tablier derrière son cou. Le malade était porté sur la table à roulettes. Toute prête, l’anesthésiste l’approcha avec le cône d’éther : quelques aspirations. Un moment après, le chirurgien faisait sa première incision, et le silence absolu régnait. Nous regardions de très près, nous gardant bien de laisser notre respiration dépasser la barrière de verre, écoutant les rares mots du chirurgien, ou le cliquetis des instruments que lui passaient les infirmières. Au-dessus, la lumière versait un fort reflet sur la table d’opération, mais tout le reste du théâtre était dans l’obscurité.

Derrière la table d’opération, et protégée par des verres inclinés, une grande fenêtre ouverte sur la nuit estivale.

Je regardais un peu au-dessus du malade et je fus encore obligée de secouer ma tête comme après un plongeon. À peu près un mètre et quart au-dessus du malade étendu sur la table, je vis la figure astrale, ou l’aura du malade, couché dans une pose d’abandon, pas rigide comme l’était son vrai corps sur la table, mais plutôt comme un enfant endormi sur l’herbe d’une colline. Il reposait sur le dos, un genou un peu replié, les deux bras au-dessus de sa tête, ses yeux regardant en haut et ses cheveux nuageux remuant comme si une brise passait au-dessus de lui, et, à son flanc, comme un ruban, il y avait un cordon qui s’attachait au côté de son corps physique terrestre endormi.

Cette corde était longue et ondulante comme de la fumée, mais plus substantielle ; elle remuait et flottait dans la pièce pendant que les deux figures jointes par elle dormaient profondément.

Subitement, mon regard fut attiré à la fenêtre ; une vision terrible, quelque chose d’horrible essayait d’entrer, quelque chose sans nom qui n’appartenait ni à la terre, ni à l’air, ni à la mer, remuant une longueur sinueuse et dégoûtante, ici et là, comme un serpent monstrueux attaché à une branche.

À ma grande horreur, je vis que, dans ses balancements, elle était arrivée à se projeter de l’autre côté de la fenêtre, mi-ouverte ; elle était plate et noire, et, au commencement, pas plus grande qu’une chatte. La bouche était ouverte, avec un rictus sardonique et horrible ; les oreilles pointaient ; ses mouvements étaient encore plus souples que ceux d’un serpent, ou d’un phoque, et je ne sais pourquoi elle me donnait l’impression du mouvement du bord noirci d’un morceau de papier qui brûle.

Dans son balancement, du dehors au dedans, la première impression qui me vint, était que cette horreur essayait d’atteindre et de briser la corde qui joignait les deux formes. Elle n’y arrivait pas. Alors, je vis que la chose semblait concentrer son attention sur la jolie infirmière qui dirigeait l’anesthésie. Avec des yeux nébuleux et malicieux, la créature maligne se balançait du dehors au dedans, et chaque balancement la portait plus près d’elle ; il me semblait qu’elle attendait le moment propice pour se lancer sur elle ou peut-être pour attaquer la figure emmitouflée sur la table d’opération.

Comme en transe, je regardais, incertaine de ce que je devais faire, quand, avec un soulagement inoubliable, je vis le grand fantôme gris se détacher d’un coin sombre. Deux autres étaient à côté de lui ; ils s’installèrent exactement en face de la fenêtre où pendait la menace noire. L’un à côté de l’autre, ils restèrent immobiles, les yeux fixés sur l’horreur noire qui les regardait avec une intensité maligne. Pendant un moment, elle pendit inerte et il me sembla qu’elle était terrorisée par les trois apparitions.

À ce moment, l’infirmière anesthésiste tourna sa tête et essaya d’essuyer son front ruisselant avec son épaule ; elle eut ainsi une seconde d’inattention. À l’instant, l’horreur noire se jeta en avant à travers la salle. Les trois esprits faisaient des mouvements avec leurs mains et je vis une vapeur légèrement rosée s’échapper du bout de leurs doigts, augmentant de volume ; l’horreur noire ne pouvait pénétrer ce nuage.

Déjouée, elle pendait sans mouvement, si plate qu’elle ne semblait qu’une tache sur le mur ; seuls les yeux brillaient, regardant le grand fantôme gris avec une malveillance atroce. J’avais perdu tout sens du temps et du lieu ; je me sentais transportée à un autre plan. À côté des autres étudiants, des autres infirmières, des autres travailleurs de l’hôpital, moi seule étais consciente de ce terrible drame qui se produisait devant leurs yeux aveugles.

Et alors, l’horreur projeta une vapeur verte, concentrée comme le feu d’un phare et dirigée directement contre l’anesthésiste. Comme frappée, l’infirmière ne regarda plus le malade pendant un instant, leva les yeux, et un dégoût épouvantable se montra sur son visage ; elle cria à haute voix et tomba ; le cône d’éther tomba aussi, sur le plancher. Au même instant, l’horreur se projeta sur le malade, prête à lui tomber dessus.

Aussitôt, le grand fantôme gris s’avança et fit le signe de la croix dans l’air. La Croix rayonna une seconde, radieuse ; avec une intensité que je ne puis décrire, l’horreur se rejeta en arrière avec violence, comme si elle avait été frappée. Pour moi, j’étais étonnée de ne rien entendre ; tout semblait si réel. Elle pendait sans mouvement et alors, juste comme le papier brûlant dont je parlais tout à l’heure, elle se rétrécit sur elle-même et s’émietta.

Quand je pus regarder de nouveau la table d’opération, le chef interne était venu pour aider, avait ramassé le cône d’éther, et l’infirmière avait été emportée hors de la pièce. Le chirurgien travaillait tout seul, fermant la blessure avec des mouvements d’une rapidité extrême, et évidemment furieux. Finalement, l’opération se termina ; le malade retourna à la chambre, et nous nous trouvâmes dans la salle de stérilisation, écoutant les jurons du chirurgien contre toutes les femmes en général, et les infirmières hystériques en particulier.

J’accourus à la salle pour voir l’infirmière qui avait eu cette attaque. Elle était revenue à elle, mais murmurait tout le temps : « Je ne veux plus rester, je ne veux plus rester. Je veux aller chez moi ; je veux aller chez moi ! » Au début, je n’étais pas sûre qu’elle avait vu l’horreur noire, mais alors, je compris.

Retournant à mon devoir, à travers les longs couloirs de l’hôpital, je sentais le grand fantôme gris à côté de moi.

Là, dans un corridor mi-obscur, je pus le voir plus clairement que jamais auparavant ; et je lui demandai la vérité à propos de la scène que j’avais vue. J’avais imaginé que cette menace noire était une entité mauvaise, peut-être une âme liée à la terre qui cherchait à se retrouver en vie par le moyen de la forme inconsciente sur la table d’opération.

Il m’informa que j’avais raison, mais seulement en partie, et que l’horreur n’était pas une substance déjà en âme, mais seulement une forme du mal, et que les esprits servaient de police dans tous les hôpitaux quand ils étaient informés qu’une de ces entités s’était échappée.

J’emploie le mot « échappée » par manque d’un terme plus exact, car j’ai appris que quelques mauvais types existent en vérité, et qu’ils sont tenus sur les plans inférieurs comme nous enfermons les criminels dans les prisons, et de même que nous exerçons plus de vigilance quand un étrangleur ou un criminel violent est libre dans une ville, de même les esprits ont pour devoir de protéger ceux qui sont impuissants dans le terrain indécis entre les deux mondes.

Ils essaient tout pour détruire ces entités et les empêcher d’entrer dans les corps des vivants, et ils peuvent toujours les vaincre temporairement, mais le mal dans la vie meurt lentement et revient encore et encore. C’est ainsi que j’ai appris qu’il a toujours des esprits à leur poste dans chaque hôpital.

Le travail de la nuit fini, je devais aller me coucher, fatiguée, le cerveau troublé de ce que j’avais vu ; je me laissai tomber sur le lit et, de suite, je m’endormis. L’orage qui s’était lancé sur nous au moment de la conquête de la mauvaise entité, durait toujours. Je dormis à peu près quatre heures quand je fus subitement éveillée par la pression d’une main sur mon front, douce, gentille, comme une mère qui veut réveiller un enfant, quoiqu’elle aurait préféré le laisser dormir. Le grand fantôme gris était dans ma chambre. Vaguement, je pouvais le voir, malgré le soleil qui se montrait à travers les persiennes. Il m’a dit :

« Éveillez-vous, éveillez-vous vite, les mauvaises forces sont encore libres ; allez sur le gazon. Vite ! Vite ! »

Avec toute la rapidité possible, je m’habillai partiellement, pour arriver au jardin en même temps qu’une explosion horrible et effrayante se produisait, qui ruina l’hôpital entier et mit toute la ville en deuil pour un des plus terribles holocaustes dans l’histoire des institutions.

Je ne peux guère me rappeler ce qui suivit. Mes sens physiques enregistraient les cris des mourants, ou les hurlements de ceux qui étaient torturés par les flammes, l’odeur de fumée et de vapeurs empoisonnantes, et je me rappelle vaguement avoir senti la chaleur de la transpiration qui coulait sur mon visage, mais tout cela comme si ce n’était pas moi.

J’étais consciente d’écouter, d’entendre, et de donner de nombreuses directions venant de l’Invisible, que je mettais en action à la place de l’intelligence spirituelle qui se trouvait à côté de moi.

Je me rappelle que je pensais avoir compris ce qu’il m’avait dit la première fois, que je pourrais l’aider un jour si je pouvais arriver à vaincre ma crainte. Je travaillai aveuglément tout ce long après-midi d’été avec toute espèce d’assistants : les banquiers et les nègres, les pauvres et les riches, tous travaillaient comme des frères pour aider les blessés, pour secourir les mourants.

Je me rappelle un cas : un homme portait quelqu’un dans ses bras jusqu’à l’herbe fraîche et je vis que c’était Bella, la domestique noire. Je lui dis : « Bella, Bella, éveille-toi ; dis-moi quelque chose ! »

Ses paupières tressaillirent. Elle me souriait et leva le doigt faiblement.

« Je l’avais dit ; ils sont là ! » Sa tête tomba en arrière ; je la mis doucement sur l’herbe, et seulement quelques bégaiements murmurants sortaient de ses lèvres. Je me mis à genoux à côté d’elle et j’écoutai.

« Ils sont là ! C’était bête de les craindre ! Ils sont bons ! »

Peu après, je tombais d’exhaustion moi-même.

Alors, suivirent des heures et des jours où je ne m’éveillais que rarement, consciente d’une seule figure autour de moi, restant longtemps sur le plan avec lequel j’avais pris contact si récemment et d’une façon si merveilleuse ; je n’avais pas de rêve, je ne sentais rien, je ne savais rien, j’étais presque dans le coma.

Un jour que je me sentais mieux et que j’essayais de me remémorer tout ce qui s’était passé, une de mes bonnes camarades, Rose, vint dans ma chambre, une assistante toujours optimiste et gaie.

« Quand tu seras tout à fait guérie, me dit-elle, tu verras la médaille qu’on a faite pour toi ! »

Et elle me raconta beaucoup de choses dont je ne veux pas parler ici, car je savais que je n’avais rien fait ; je savais qui était le vrai héros et le vrai Directeur, le jour du désastre.

Quelques jours après, me sentant mieux, je me mis à lire un peu, et, par hasard, il y avait dans la chambre de vieux rapports de l’hôpital ; je les regardai sans beaucoup d’attention et, subitement, d’une page tout entourée de noir, je vis les yeux du grand fantôme gris me regarder. Je considérai la page, tout émue.

« Rose, demandais-je abruptement, car je ne pouvais voir, lis-moi cela ! Rose, qui est-ce ? Qu’est-ce que cela dit ? Lis-moi tout !

– Mais qu’y a-t-il ? » demanda-t-elle, et elle prit le vieux rapport un peu jauni par les années.

« Oui, c’est cela ; docteur Édouard Donaldson, mort à son poste le 23 nov. 19… C’est le docteur qui a découvert le sérum que nous employons maintenant pour guérir les cancers. Il l’avait essayé sur lui-même avant qu’il soit parfait et il avait développé le cancer lui-même. Sa vie fut sacrifiée à l’intérêt de la science, et, dit-elle, n’est-il pas triste que des hommes comme celui-là meurent et ne peuvent jamais rien faire de plus ? »

Moi, je ne répondis pas. Je savais.
 
 

Traduit (par autorisation) de « The Rosicrucian Magazine, »

Oceanside, Calif., États-Unis, numéro d’avril 1931.
 
 

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(adaptation anonyme très libre de la nouvelle de Gussie Ross Jobe, « Tall Gray Ghost, » parue dans The Rosicrucian Magazine, a monthly Magazine of Mystic Light, volume 23, n° 4, avril 1931, in L’Astrosophie, revue d’astrologie ésotérique et exotérique, et des sciences psychiques et occultes, volume V, n° 5, juillet 1931)

 
 
 

TALL GRAY GHOST

 

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