Notre ami Charles Cros a un fils, le jeune Guy, qui parfois n’est pas sage.
Aussi, pour épouvanter son rejeton, le père le menace d’un croquemitaine qu’il a inventé et qu’il appelle M. Rien.
M. Rien a des cheveux dans son existence, un front de bandière, des yeux de bouillon, un regard d’égout, un nez creux, une bouche de four, l’oreille du ministre, une gorge de montagne, un corps de garde, des côtes du Nord, deux bras de mer, deux mains de papier, des doigts de vin, le rein allemand (!), un c… de sac, des jambes de force (étais), des chevilles de tonneau, des pieds anglais, etc., etc.
Comme on le pense bien, le jeune bambin devient très obéissant à la menace d’un fantoche aussi fantaisiste.
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(in La Justice, quatrième année, n° 1122, samedi 10 février 1883)
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(in Le Gaulois, dix-septième année, troisième série, n° 410, vendredi 31 août 1883)
La postérité a été particulièrement injuste envers Charles Cros, inventeur génial et également poète remarquable bien supérieur à tant d’autres auteurs pourtant bien plus célèbres que lui. Son recueil « Le Coffret de Santal » est un joyau rempli de poèmes (« Rendez-vous », « Les Quatre saisons », « L’Heure verte »…) comptant parmi les plus beaux du symbolisme, avec ce côté méridional, solaire et aérien, qui n’appartient qu’à Cros. Mais son plus merveilleux poème reste selon moi « Hiéroglyphe » publié à titre posthume dans « Le Collier de griffes ». Je donnerais tout Verlaine, Dickinson, Mallarmé et Rilke pour ces deux recueils de Charles Cros.
Ajout. Dans son Anthologie de l’humour noir, André Breton a écrit : « Le pur enjouement de certaines parties toutes fantaisistes de son œuvre ne doit pas faire oublier qu’au centre des plus beaux poèmes de Charles Cros un revolver est braqué. »
Sylvain Foulquier