Dans la rue sombre, où le soleil a peine à se glisser, à travers les hautes cheminées empanachées de floconnements bleuâtres ;

Dans la rue étroite rarement prise pour raccourci par les fiacres qui l’ignorent ;

Dans la rue tranquille dont même pas les sergots, deux par deux, ne viennent troubler le morne silence de leur promenade rythmique ;

Sur le trottoir rubanesque de la rue sombre, étroite et tranquille ;

Dans un obscur recoin du trottoir rubanesque, une gamine de huit ans est assise, à plat sur le bitume, les jambes écartées et les poings sur ses cuisses grêles.

D’un œil limpide, dont pas le moindre éclair de curiosité ne vient troubler l’azur, elle suit la main d’un garçonnet de dix ans qui, très rouge et le regard allumé, dessine à la craie, sur le trottoir, dans l’angle de ses jambes, que fait frissonner cette audace d’obscénité, un priape hirsute, cambré, énorme, monstrueusement vrai dans le balbutiement de cette ébauche.

Et pendant que le garçonnet sournois guette et espère, dans l’œil de la petite, l’éclair mouillé qui luit dans le sien, la gamine, sans un pli à sa lèvre, sans une goutte de sang de plus à sa joue, considère du regard désintéressé de celui qui SAIT depuis longtemps, le priape hirsute, cambré, énorme que dessine le gamin sournois, sur le trottoir rubanesque de la rue étroite, sombre et tranquille.
 
 

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(Léo Trézenik, « Bulles de savon, » in Lutèce, journal littéraire politique hebdomadaire, deuxième année, n° 95, du 24 au 30 novembre 1883 ; repris dans Proses décadentes, Paris : Imprimerie de Lutèce, 1886 ; gravure attribuée à François Desprez, Les Songes drolatiques de Pantagruel, 1565)