Depuis quelque temps, Mme Brisset, d’Azay-sur-Cher, s’affligeait de se voir défigurée par un fâcheux kyste, qui lui était venu au visage. Elle se fit traiter, récemment, par l’électricité et grande fut sa surprise – et celle de son médecin – lorsque, après quelques séances, sortit de la tumeur… une limace vivante !

Tel est l’étrange fait-divers que rapporte le Petit Journal. Notre confrère ajoute que l’explication la plus vraisemblable du phénomène est que « en cueillant de l’herbe, Mme Brisset, se portant les mains à la figure, y déposa sur une plaie un œuf de limace qui se développa sous la peau. »

Bien des lecteurs, sans doute, sont restés sceptiques à la lecture de cette peu banale information.

S’il s’agit là, pourtant, d’un fait réel, – l’invraisemblable, parfois, peut être vrai, – le cas de Mme Brisset est fort intéressant à rapprocher de quelques autres exemples analogues de parasitisme accidentel, que l’on trouve rapportés dans de vieux livres d’ancienne médecine et qui semblaient jusqu’ici purement imaginaires.
 

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Les Annales de la Curiosité médicale enregistrèrent à plusieurs reprises, au cours du temps, des observations fort précises de malades attaqués de troubles digestifs étranges, rendant, à grand renfort d’émétique, soit des plantes, soit même de petits animaux, bien vivants, dont ils avaient sans s’en douter absorbé les germes dans de l’eau ou dans des aliments crus.

Tel ce soldat de Copenhague qui, ayant avidement avalé des grains d’avoine, les garda dans l’estomac, où ils germèrent, et rejeta quelques semaines plus tard, après de violentes nausées, des pieds d’avoine parfaitement développés.

Tels aussi ces malheureux, dont nous parlent les anciens démonographes, qui affirmaient, au milieu d’atroces souffrances, que « quelque bête remuait dans leur estomac » et vomissaient, enfin, de petits animaux vivants, semblables à des lézards, que l’exorciste, terrifié, s’empressait de jeter au feu, comme la propre incarnation de l’esprit immonde, – car ces étranges malades étaient considérés comme victimes de possession diabolique.

Mais voici d’autres cas plus surprenants qui rappellent bien davantage l’aventure merveilleuse de Mme Brisset :
 

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Le 27 août 1691, à Paris, une dame Marguerite Stestin, âgée de quarante-de ans, est saisie de violents accès de fièvre, avec grand mal de tête. Elle sent, dit-elle, une bête lui ronger l’oreille droite. Ce supplice se prolonge, en dépit de tous remèdes, durant tout le mois de septembre. Au début d’octobre enfin, après une crise plus aiguë, un abcès crève dans l’oreille, d’où sortent d’un coup six petites chenilles, bientôt suivies de quelques autres. Ces bestioles, au nombre total de quatorze, sont toutes vivantes, différentes seulement de taille et de couleur, mais en tout semblables aux chenilles ordinaires.

La malade, un moment soulagée, continue cependant de sentir une grande gêne dans l’oreille et ce n’est que quelques jours plus tard qu’une hémorragie abondante la délivre enfin complètement, en entraînant dehors une quinzième chenille également vivante, mais beaucoup plus grosse que les premières.

L’observateur, qui rapporte ce fait dans le Journal des Savants, estime qu’il s’agit d’œufs de papillon nocturne, déposés par l’insecte dans l’oreille de la dormeuse. C’est là, en effet, l’explication plausible, mais comment les œufs avaient-ils pu éclore et les chenilles se développer et vivre si longtemps dans le conduit auditif ?
 

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Le fait suivant est l’exact prototype du cas actuel d’Azay-sur-Cher.

Une Parisienne, Jeannette Hustin, se fit en 1684, une contusion légère à la tête et peu auprès survint, au niveau de la blessure, une petite tumeur. Deux ans plus tard, en mai  1686, la brave femme, qui ne s’était pas inquiétée du développement de son kyste, maintenant de la grosseur d’une aveline, est atteinte soudain de convulsions, d’engourdissements dans les membres et de persistante insomnie. Les médecins reconnaissent bientôt que tous ces troubles proviennent de la tumeur. L’abcès est donc ouvert et il en sort, à la stupéfaction générale, « un petit corps étranger, qui n’adhérait nullement aux chairs, et semblait doué d’une vie propre. C’était, dit la relation, un insecte difforme, sorte de grillon sans pieds, ayant la tête et la queue d’une écrevisse, un corps couvert d’écailles, le bec mal conformé et retourné en arrière. » Cela vécut quelques minutes encore après l’extirpation, aux yeux ébahis des médecins et des quelques curieux, qui certifièrent ensuite l’exactitude du fait. La malade, dès lors, guérit rapidement.
 

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Ces cas étranges sont relatés avec un luxe de détails qui semblent exclure la possibilité du doute.

Mais que dire de l’extraordinaire maladie et de la guérison, plus extraordinaire encore, d’un bourgeois d’Annecy, maître Louis Rat, musicien de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, qui porta, durant dix-huit années, une tortue vivante dans le genou gauche ?

Le récit, – aujourd’hui fort rare, – de cette curieuse histoire est l’œuvre d’un homme de science très respectable, le sieur de Coppenay de Grimaldy, directeur général de l’Académie chimique ducale-royale de Savoie. Il contient les attestations de multiples témoins oculaires, dont la bonne foi est certaine et qui présentent toute garantie de sérieux, parmi lesquels le Rev. Me Charles Tripier, aumônier des religieuses de la Visitation d’Annecy ; le sieur Claude l’Épine, chirurgien ; le sieur Joseph Saget, avocat ; Me Claude Lonzy, Chanoine de la cathédrale de Genève.
 
 

 

En décembre 1684, il y avait donc environ dix-huit ans que le pauvre musicien Louis Rat souffrait d’une tumeur au genou, qui, d’abord toute petite, avait finalement atteint la grosseur d’une tête humaine et obligeait le malheureux à garder le lit dans d’extraordinaires souffrances. Abandonné de tous les médecins du pays, l’infortuné décida de faire appel à la science d’un savant étranger, qui faisait alors des cures merveilleuses en Savoie, le nommé Dom Antonio Fardella de Calvello, se disant seigneur de Trapano de Sicile.

Celui-ci, dès sa première visite, déclara que le mal, pour extraordinaire qu’il fût, était de ceux qu’il se flattait de pouvoir guérir. « C’était, dit-il, une tortue venimeuse vivante qui s’était engendrée dans le genou, ce qui arrivait souvent pour se mettre à genoux sur des pierres vives. Il connaissait le traitement, ayant déjà naguère extirpé une semblable tortue de la jambe d’un homme, qui l’avait portée durant 31 ans. »

Et de fait, après application d’un remède secret, la tumeur s’ouvrit et la tortue sortit la tête et les pattes de devant, « mouvantes comme celles des tortues ordinaires. » Le signor Fardella laissa la bête ainsi visible pendant un quart d’heure, afin que le patient, sa femme et plusieurs témoins pussent l’examiner à leur aise. Mais il ne l’enleva pas immédiatement : il la fit rentrer dans le genou et l’y fit périr à l’aide d’un nouveau « secret » ; elle s’en alla en morceaux, au bout de quelques jours, avec une puanteur insupportable. Louis Rat fut ensuite soumis à un traitement singulier, – application de grenouilles vives sous la plante des pieds, – afin de lui épurer le sang, et la guérison fut si parfaite que le genou malade redevint en tout semblable à l’autre, comme s’il n’avait jamais souffert aucune incommodité.

Cette cure merveilleuse fit grand bruit dans toute la Savoie. Il y eut, il est vrai, des sceptiques, principalement parmi les médecins, qui ne se gênèrent pas pour traiter leur confrère de charlatan et l’accuser même de magie.

Mais, si ces détracteurs jaloux pouvaient incriminer les allures charlatanesques de l’Italien, ils ne pouvaient, du moins, nier la réalité de la cure opérée aux yeux de toute la ville, et leurs récriminations prouvèrent seulement, ainsi que dit la relation, que si le seigneur Fardella possédait des secrets occultes, eux-mêmes n’étaient en tout cas pas sorciers en l’exercice de leur profession…

Pourtant, avant d’ajouter foi à la miraculeuse guérison du brave musicien de la cathédrale de Genève, je serais curieux de voir de mes yeux la limace vivante récemment sortie de la joue de Mme Brisset.
 
 

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(Maurice Foucault, « Les Jeux de Dame Nature, » in La Liberté, soixantième année, n° 22507, lundi 14 décembre 1925)