LA VIE DE PARIS
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Des poètes ont élu un prince. Aussitôt, d’autres poètes ont élu un antiprince. Toute ma curiosité allait à celui-ci. Car enfin, prince des poètes, c’est un titre honorable et qui ne gêne personne. Léon Dierx s’en accommodait fort simplement. Il rimait, allait au café et puis grossoyait dans un ministère, comme le premier Français venu. Antiprince, au contraire, c’est une appellation qui sent le schisme et la révolte. Et puisqu’elle avait été décernée à M. Georges Fourest, auteur de la Négresse blonde, je me mis aussitôt à la recherche de ce prétendant.
Lorsque enfin je le découvris, dans une maison extrêmement bourgeoise de la rue de Milan, je fus un peu désappointé. Cet antiprince était fort calme et très convenable. Il avait une cravate et des pantoufles. Il était assis dans un excellent fauteuil, auprès d’un solide piano. Ses cheveux n’entouraient pas son front de flammes sataniques : ils étaient strictement peignés. Et enfin, M. Georges Fourest, souriant, courtois et amène, ne paraissait nourrir contre M. Paul Fort aucun projet ténébreux.
Il me dit :
« Voici. C’est bien simple. Les anciens collaborateurs d’une revue défunte – et qui fut si charmante ! – l’Ermitage, ont gardé la coutume de se réunir le 19 de chaque mois, en un banquet amical. Le 19 juin, je suis allé dîner en leur compagnie. Et naturellement, nous avons parlé de l’élection du prince des poètes. Quelqu’un a dit : « En somme, la rive droite n’aura pas de prince. » Et H.-D. Davray a proposé de m’élire. C’est tout. C’était une plaisanterie. J’étais le seul poète présent. On voulait rire. À peine élu, j’ai abdiqué en faveur de Davray, qui n’est pas poète et habite sur la rive gauche : deux titres à la principauté des poètes de la rive droite. »
M. Georges Fourest, ayant dit, sourit avec bonne humeur. Peu de gens considèrent la vie avec autant de gaieté. Jeune étudiant en droit, il faisait des vers d’une étonnante cocasserie. On le rencontrait, hardi et jovial, dans les brasseries du quartier Latin, et ses amis récitaient ses poèmes au Soleil d’Or :
Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre,
Chimène, en voiles noirs, s’accoude au mirador.
Et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière
Regardent, sans rien voir, mourir le soleil d’or.
Mais un éclair soudain fulgure en sa prunelle :
Sur la plazza, Rodrigue est debout devant elle !
Impassible et hautain, drapé dans sa capa,
Le héros meurtrier à pas lents se promène :
« Dieu ! soupire à part soi la plaintive Chimène,
Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa ! »
Lui, cependant, Georges Fourest, magni-fique et altier, se promenait sur le boulevard Saint-Michel.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . Il portait la royale
Comme jadis Armand Duplessis-Richelieu ;
Sa moustache était fine et son âme loyale. . .
Il plaisait. Il parlait haut. Il s’amusait beaucoup. C’est lui qui, à la répétition générale des Résignés, d’Henry Céard, interpella soudain Francisque Sarcey, d’une voix éclatante : « Eh bien ! qu’est-ce que vous pensez de ça, mon oncle ? »
À quoi Sarcey répondit tranquil-lement : « Lisez le Temps lundi, jeune fumiste ! »
M. Georges Fourest lisait le Temps, mais c’était pour réchauffer son indignation. Il allait aux spectacles de « l’Œuvre, » s’enthousiasmait, s’irritait, rêvait d’exterminer les pharmaciens, et publiait ses vers dans l’Ermitage, où ils étaient fort goûtés. Avant Franc-Nohain, il composa des poèmes amorphes :
Les pianos
Des casinos
Aux bains de mer
Font rêver les poissons qui nagent dans la mer.
Car (tous les érudits le savent, de nos jours)
Ils sont muets, c’est vrai, mais ils ne sont pas sourds.
Et puis… Et puis M. Georges Fourest disparut. D’un jour à l’autre, nul ne sut ce qu’il était devenu. Il était simplement à Limoges, dans une maison garnie de vieux meubles riches, vivant à l’aise, et, oubliant le Soleil d’or. Parfois, il disait :
« Il faudra bien que je publie mes anciens vers. »
Et il ne les publiait pas. Quelques amis obstinés regrettaient parfois son absence, et déclamaient « l’Épître falote et testamentaire, pour régler l’ordre et la marche de mes funérailles. » Ensuite de quoi, ils demandaient :
« Où est-il, Fourest ? »
Mais personne ne pouvait répondre.
Enfin, un jour, voilà quatre ans, Georges Fourest se lassa de Limoges et revint à Paris. Il publia ses vers sous le titre que nous avons dit et qui est, au premier abord, un peu surprenant. On n’en parla pas assez, parce que le sens de la gaieté s’éloigne de nous. Il n’en fut nullement attristé. Il vit, rue de Milan, dans l’aisance et la paix. Le 19 de chaque mois, il va dîner avec ses compagnons de l’Ermitage. Il porte toujours la royale comme Armand Duplessis-Richelieu. Mais sa moustache est moins fine. Il continue à plaire.
Cet antiprince est un bourgeois heureux.
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(Louis Latzarus, in Le Figaro, dimanche 23 juin 1912)