Les dix-sept meurtres commis par « Jack l’Éventreur » à Londres se placent entre 1890 et 1895 [sic] ; ils provoquèrent une véritable terreur dans la population féminine du quartier populaire de Whitechapel. On ignorait jusqu’à maintenant l’identité du meurtrier et les circonstances qui mirent fin à cette série de crimes. Les révélations ci-après constituent un des cas les plus remarquables du pouvoir de la clairvoyance.
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Le dix janvier dernier mourait à Leicester, Robert James Lees, l’écrivain spirite bien connu, et célèbre clairvoyant ; un de ses amis, se conformant aux instructions données, fit alors connaître un document secret qui lui avait été remis par M. Lees pour être publié après sa mort, relatant comment fut traqué et finalement interné Jack l’Éventreur. En date des 8 et 9 mars, paraissait dans le Daily Express (1) un récit passionnant tiré de ce document.
Le Daily Express, au début de son article, rappelle que la Reine Victoria avait été très intéressée par les pouvoirs psychiques de M. Lees, qu’elle le reçut à plusieurs reprises au palais de Buckingham, et qu’il fut pensionné pendant longtemps sur la Cassette Royale.
À l’époque où se produisirent les trois premiers meurtres de « l’Éventreur » dit le Daily Express, M. Lees avait atteint l’apogée de ses pouvoirs clairvoyants. Un jour, tandis qu’il écrivait dans son bureau, il eut soudain la certitude que l’Éventreur allait commettre un autre attentat.
« Il lui sembla voir deux personnes, un homme et une femme, marchant au long d’une rue sordide ; les suivant par la pensée, il les vit prendre une étroite ruelle. Il regarda, et lut le nom de cette ruelle. Tout près de là, était un cabaret brillamment éclairé. Regardant à travers les vitres, il nota que l’horloge marquait minuit 40, heure de fermeture des cafés.
Tandis qu’il regardait (d’une façon clairvoyante), il vit l’homme et la femme gagner un coin sombre de la ruelle. La femme était à moitié ivre, l’homme ne paraissait pas avoir bu. Cet homme était vêtu d’un costume de tweed écossais de couleur sombre, et portait un léger pardessus sur le bras. Ses yeux bleu clair brillaient à la lueur du réverbère qui éclairait faiblement le coin sombre où ils s’étaient réfugiés. »
L’homme mit une main sur la bouche de la femme pour étouffer ses cris, tira un couteau de la poche intérieure de son vêtement, et lui trancha la gorge. Le sang éclaboussa le devant de sa chemise. Il fit alors, d’une manière tout à fait scientifique, plusieurs incisions sur le corps, essuya tranquillement son couteau, le remit dans sa gaine, enfila son pardessus, le boutonna comme pour cacher le devant de sa chemise, puis s’éloigna paisiblement du lieu du crime.
M. Lees fut si fortement impressionné par cette vision prophétique d’un meurtre prochain qu’il se rendit sur le champ à Scotland Yard, et fit aux détectives le récit de ce qu’il avait vu. Ceux-ci pensèrent qu’il ne jouissait pas de toutes ses facultés, mais, pour ne pas le contrarier, le commissaire de service prit note de l’endroit où, selon M. Lees, le crime devait être commis ; il inscrivit également l’heure à laquelle l’Éventreur et sa victime devaient arriver dans la ruelle, minuit 40.
« La nuit suivante, à minuit et demie, une femme entra dans le bar voisin de la ruelle en question. Elle était complètement ivre, et le patron du bar refusa de la servir. Elle quitta le bar, jurant et proférant des paroles grossières. On la vit arriver dans le passage vers minuit 40 en compagnie d’un homme vêtu d’un costume sombre et portant un léger pardessus sur le bras ; le témoin pensa que l’homme était américain, car il avait un feutre souple ; il était tout à fait comme il faut. »
Telle était la déposition faite le lendemain devant le juge d’instruction. Le corps de la femme avait été trouvé à la place exacte indiquée par M. Lees, « la gorge tranchée d’une oreille à l’autre, indécemment et atrocement mutilée, » selon les termes du rapport du médecin légiste.
M. Lees lui-même fut bouleversé à un point qu’on ne saurait dire lorsqu’il apprit le meurtre par les journaux. Se faisant accompagner d’un domestique de confiance, il se rendit sur les lieux du crime. Nous rapportons ses propres paroles :
« J’éprouvai la même impression que si j’avais été un complice. Cela me fit un tel effet, que mes nerfs furent profondément ébranlés ; je ne pouvais plus dormir, et je dus, sur les conseils du médecin, aller passer quelques temps en Europe avec ma famille. »
Pendant l’absence de M. Lees, quatre nouveaux crimes s’ajoutèrent s’ajoutèrent la liste de ceux qui avaient été commis par l’Éventreur.
Revenu à Londres, M. Lees se trouvait un jour avec sa femme dans l’omnibus venant de Shepherd’s Bush ; la voiture s’arrêta en haut de Notting Hill, et un homme monta. M. Lees remarqua qu’il était de taille moyenne, portait un complet sombre de tweed écossais, un léger pardessus, et un feutre souple. Se penchant vers sa femme, il lui dit d’un ton convaincu :
« C’est Jack l’Éventreur. »
Sa femme se mit à rire et se moqua de lui, mais il reprit :
« Je ne me trompe pas ! »
L’omnibus traversa Edgware Road et tourna dans Oxford Street à Marble Arch. L’homme descendit et M. Lees le suivit ; il se dirigea vers Park Lane. À moitié chemin, M. Lees rencontra un gardien de la paix ; montrant du doigt l’homme au léger pardessus, il dit au policier : « C’est Jack l’Éventreur, » et lui demanda de l’arrêter. L’agent se mit à rire et menaça M. Lees de l’emmener au poste.
« L’Éventreur, » comme s’il devinait le danger, sauta dans une voiture qui le conduisit vivement dans la direction de Piccadilly.
Quelques instants plus tard, M. Lees rencontra un brigadier et lui fit part de ses soupçons. « Montrez-moi le gardien de la paix qui refusa de l’arrêter, s’écria le brigadier. Pas plus tard que ce matin, nous avons reçu à Bond Street (2) la nouvelle que l’Éventreur devait se diriger dans cette direction. »
La même nuit, M. Lees eut avis d’un autre crime. La vision du meurtre n’était pas aussi distincte ; le visage de la victime se détachait cependant nettement ; l’une des oreilles était entièrement détachée de la tête, l’autre n’était retenue que par un simple lambeau de chair.
Dès qu’il fut sorti de son état de transe, M. Lees se précipita à Scotland Yard, où l’on se montra fort incrédule jusqu’à ce qu’il eût relaté que les oreilles étaient détachées de la tête. L’inspecteur en chef tira alors une carte postale de son bureau, et la posa devant le visiteur. Elle portait ces lignes :
« Demain soir je prendrai de nouveau ma revanche, demandant ma neuvième victime à une catégorie de femmes qui me sont devenues particulièrement odieuses.
Jack L’Éventreur.
P. S. Pour prouver que je suis réellement Jack l’Éventreur, je couperai les oreilles de cette neuvième victime. »
L’inspecteur, qui était un homme religieux, regarda comme un avertissement du ciel cette concordance entre la carte postale et la vision de M. Lees. Il prit aussitôt les mesures les plus énergiques pour empêcher la mise à exécution de cette menace outrageante. Le lendemain, à la tombée de la nuit, 3000 policiers en civil et 1500 détectives habillés comme des mécaniciens et des dockers furent envoyés pour surveiller le quartier de Whitechapel. « L’Éventreur » réussit à passer, égorgea sa victime et s’échappa. La femme assassinée avait une oreille complètement détachée de la tête, et l’autre n’était retenue que par un simple lambeau de chair.
M. Lees eut les nerfs si fortement ébranlés par ce nouveau crime qu’il dut encore se rendre en Europe pour se rétablir. Tandis qu’il était absent, « l’Éventreur, » continuant la série de ses crimes, exécuta son seizième assassinat, et froidement informa Scotland Yard qu’à son vingtième meurtre il s’arrêterait.
Voici maintenant la partie la plus dramatique du récit.
M. Lees revint peu de temps après à Londres. Il dînait un soir avec deux Américains de ses amis au Critérion ; se tournant tout à coup de leur côté, il s’écria :
« Grand Dieu, « Jack l’Éventreur » a commis un autre crime ! »
L’un deux, M. Roland B. Shaw, regarda sa montre, elle marquait 7 heures 49. À 8 heures 10, un agent découvrait le corps d’une femme à Crown Court, dans Whitechapel ; la gorge était tranchée d’une oreille à l’autre et le corps présentait toutes les caractéristiques de la manière de « l’Éventreur. »
M. Lees et ses compagnons se rendirent immédiatement à Scotland Yard, et tandis que M. Lees faisait le récit de ce qui s’était passé, une dépêche arriva, donnant les premières informations sur le crime. L’inspecteur, deux brigadiers en civil, M. Lees et les deux Américains se firent conduire en toute hâte à Crown Court ; en arrivant, M. Lees s’écria tout à coup :
« Regardez à l’angle du mur, il y a quelque chose d’écrit ! »
L’inspecteur frotta une allumette, et, quand elle s’enflamma, ils lurent ces mots, écrits à la craie sur le mur : « Dix-septième, Jack l’Éventreur » !
Le diabolique meurtrier, une fois encore, avait disparu sans laisser de trace.
La meilleure police du monde se voyait jouer depuis plusieurs années ; c’est en vain qu’on avait fait appel aux plus habiles détectives de France, de Hollande, d’Espagne, d’Italie et d’Amérique, promis une prime de 3.750.000 francs et une pension de 187.000 francs par an, à quiconque ferait arrêter l’Éventreur.
L’inspecteur crut voir en M. Lees l’instrument de la Providence, et fit appel à ses merveilleux pouvoirs pour découvrir la retraite du meurtrier. M. Lees y consentit et, s’étant livré aux influences médiumniques, parcourut à toute allure les rues de Londres, suivi à quelques pas en arrière par l’inspecteur et les policiers.
Enfin, vers quatre heures du matin, la figure pâle et les yeux injectés de sang, le limier humain s’arrêta devant les grilles d’un hôtel particulier du West End ; haletant, les lèvres tuméfiées et gercées, il désigna du doigt une fenêtre au premier étage faiblement éclairée.
« Le meurtrier est là, l’homme que vous cherchez.
– C’est impossible, répliqua l’inspecteur. C’est la maison d’un des plus célèbres médecins de Londres. »
Il ajouta cependant :
« Si vous me donnez la description du hall de la maison, je l’arrêterai, au risque de perdre la situation que j’ai acquise par vingt ans de fidèles services. »
M. Lees dit :
« Il y a une haute chaise de chêne sombre, à droite de l’entrée, une fenêtre ornée de vitraux au fond, et un énorme dogue dort en ce moment au pied de l’escalier. »
Ils attendirent jusqu’à sept heures pour entrer dans la maison. La femme de chambre qui les reçut leur dit que le docteur était encore couché. Ils demandèrent à voir sa femme, et pendant qu’on allait la prévenir, ils remarquèrent que le hall était exactement comme l’avait décrit M. Lees, sauf qu’il n’y avait pas de chien. La femme de chambre, en revenant, leur dit que le chien couchait habituellement au bas de l’escalier, mais que chaque matin elle l’envoyait dans le jardin.
La femme du docteur reconnut, au cours d’une demi-heure d’un interrogatoire serré, qu’elle soupçonnait son mari de ne pas toujours être sain d’esprit ; à plusieurs reprises, il l’avait menacée, ainsi que ses enfants, et elle avait dû s’enfermer avec eux. Elle avait remarqué avec terreur que son mari était absent chaque fois qu’un crime avait été commis à Whitechapel.
En une heure, l’inspecteur s’était assuré le concours de deux des plus fameux experts des maladies mentales. Devant l’accusation, le docteur avoua qu’il avait eu l’esprit dérangé pendant quelques années, et qu’il y avait des heures de sa vie qui échappaient complètement à son souvenir. Quand on lui apprit qu’il avait sans doute, au cours de ces heures, commis les crimes de Whitechapel, il fut terrifié et désespéré. Il dit aux médecins qu’à une ou deux reprises, il s’était retrouvé assis dans sa chambre, comme s’il s’éveillait soudain d’une longue inconscience, et qu’il avait un jour remarqué que le devant de sa chemise était taché de sang, ce qu’il avait attribué à un saignement de nez. Une autre fois, sa figure était toute égratignée.
On perquisitionna avec soin dans sa demeure, et l’on découvrit de nombreuses preuves de la culpabilité du docteur ; le costume de tweed d’Écosse, le feutre souple et le léger pardessus décrits par le clairvoyant furent retrouvés.
Quand il lui fut impossible de douter de ses crimes, le docteur supplia qu’on le tuât tout de suite, car « il ne pouvait pas vivre en compagnie d’un meurtrier. »
Le docteur fut aussitôt transféré à l’asile privé d’Islington ; il devint le fou le plus dangereux de tout l’établissement.
Une commission spéciale de médecins aliénistes fit une étude approfondie, et conclut que, suivant son état d’esprit, le docteur était un savant distingué, ou un monstre inhumain et sans pitié.
Pour sauver les apparences, on simula sa mort ; un cercueil vide, qui est supposé renfermer la dépouille mortelle d’un grand médecin de Londres, mort prématurément, et regretté par tous, repose maintenant dans le caveau de famille d’un cimetière londonien.
Les gardiens de l’asile d’Islington ignoraient que ce fou furieux, qui se ruait d’un mur à l’autre de sa cellule matelassée, et rendait si terrifiante la longue nuit de garde par ses sinistres hurlements, était le fameux « Jack l’Éventreur. » Gardiens et inspecteurs ne le connaissaient que comme le « Numéro 124. »
Le Daily Express eut le privilège de révéler que « Jack l’Éventreur » était un « Docteur Jekyll et Mr. Hyde, » médecin estimé dans la journée, créature démoniaque la nuit venue. Il n’aurait jamais été découvert, telle était son habileté diabolique, et la police n’en serait jamais venue à bout si Robert James Lees n’était intervenu avec ses extraordinaires pouvoirs clairvoyants. Pour les Spirites, c’est un des aspects les plus intéressants de ce terrible mystère qui resta jusqu’à maintenant une énigme insoluble. Les sceptiques ne peuvent plus répéter que les dons psychiques n’ont aucune utilité, puisqu’en la circonstance, ils purent seuls mettre un terme à l’incessante menace de crimes qui pesa pendant plusieurs années sur les quartiers populaires de Londres.
Traduit avec l’autorisation de « The International Psychic Gazette Gazette, » (Londres) numéro d’avril 1931.
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(1) Le Daily Express, organe du « Labour Party » en Angleterre. [Cette série d’articles parut plus exactement les 7, 9 et 10 mars 1931, sous le titre « Clairvoyant who tracked Jack the Ripper ». Note de Monsieur N]
(2) Dans Bond Street se trouve le Quartier Général de la Police Municipale de Londres.
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(in L’Astrosophie, revue d’Astrologie ésotérique et exotérique et des Sciences psychiques et occultes, vol. V, n° 4, 26 juin 1931)