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(in Le Journal, treizième année, n° 4339, mercredi 17 août 1904)
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(in Le Journal, treizième année, n° 4343, dimanche 21 août 1904)
LES CHATS EMMURÉS
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Au Château de Saint-Germain. – Les Félins de la Chapelle Saint-Louis. – Deux Animaux archi-séculaires.
On a annoncé tout dernièrement qu’au cours des travaux de restauration du château de Saint-Germain, les ouvriers avaient mis à découvert une pierre de taille, sorte de caveau au milieu de laquelle se trouvait un chat momifié.
Le petit animal, pourvu de tous ses poils, avait les pattes étendues, la gueule béante, les dents et les griffes menaçantes, dans une attitude de lutte désespérée contre la mort.
Chacun sait que le château actuel a été bâti sur l’emplacement d’un rendez-vous de chasse mérovingien, qui devint plus tard la résidence de Louis le Gros. Saint Louis y résida également et fit construire la superbe chapelle qui porte son nom.
La première pierre de l’enceinte fut posée par Charles V en 1547.
On a rappelé à ce sujet qu’un protocole, tout au moins singulier, qui régissait alors les inaugurations de monuments, voulait, pour que la construction soit durable, qu’on introduisit dans les premières pierres un chat vivant.
Or, c’est l’animal inséré en 1547 dans le mur de l’enceinte qui a été découvert dernièrement et qui se trouve exposé actuellement dans une vitrine en attendant son entrée définitive au musée de Saint-Germain.
On a déclaré que cette pièce rare était vraisemblablement la seule de son espèce. Pas du tout, car voici que se dresse en face du pensionnaire de Saint-Germain un rival indiscutable qui lui enlève la palme du coup par la plus grande antériorité de son martyre.
Et, ce qui est certes plus étonnant, c’est qu’il a été découvert, comme l’autre, à Saint-Germain, mais en 1884.
Voici dans quelles circonstances :
Un ouvrier, qui procédait à des sondages dans les murs de la chapelle de Saint-Louis, mit à jour un cube de pierre creux de l’intérieur duquel il retira le cadavre parcheminé d’un chat.
L’artisan fit part de sa découverte au gardien des travaux de l’État, M. Henry, lequel alla trouver aussitôt l’architecte, lui demandant ce qu’il fallait faire de l’animal.
« Fichez-moi cela au diable, » répondit l’ingénieur.
Le gardien garda le félin momifié.
M. Henry, qui est aujourd’hui surveillant militaire au musée du Louvre – et doyen des surveillants militaires de France, artiste galvanoplaste merveilleux à ses moments perdus et spirite convaincu – possède toujours les restes du félin, vestige d’une coutume barbare heureusement disparue. L’origine de cette pièce ne saurait être mise en doute, l’aspect et l’attitude du sujet étant un sûr garant de son authenticité. Ce spécimen, impossible à créer chimiquement, a d’ailleurs été photographié lors de sa découverte et placé en effigie au musée d’Épinal par les soins de M. Vaubat, conservateur.
Trouvé dans les murs de la chapelle Saint-Louis, le félin aurait été muré dans les environs de 1230.
Alors que celui dont nous avons parlé plus haut possède encore tous ses poils, l’autre est entièrement dépouillé de sa toison. Il est étendu sur le côté droit, les pattes croisées, le cou tiré, les oreilles dressées, dans une attitude de souffrance extrême, mais nullement convulsé, comme le contemporain de Charles V.
Ne croit-on pas que la place réservée à celui-ci au musée de Saint-Germain ne devrait pas être plus logiquement occupée, étant donnée son ancienneté, par le pensionnaire de M. Henry !
Sinon, qu’en pense le Muséum d’histoire naturelle ?
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(in Le Petit Parisien, vingt-neuvième année, n° 10172, samedi 3 septembre 1904 ; photographie de Charles Marville, « Le Chat momifié de Saint-Germain-en-Laye »)
Sympa cette petite série de textes sur les chats !
J’ai la fâcheuse manie de fonctionner par association, en suivant la fantaisie du moment… C’est ce qu’on appelle un TOC, non ?