N’est-ce pas à la Pointe du Raz,

à l’entrée des deux baies d’Audierne et de Douarnenez,

qu’il faut situer l’emplacement de la cité mystérieuse ?

 

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La ville d’Ys, nouvelle Atlantide, a-t-elle existé ? A-t-elle été engloutie par les eaux ? Sur quel emplacement était bâtie cette cité mystérieuse ? Certes, ces questions posées par notre ami Florian Le Roy, au long de son enquête si instructive, ont suscité le plus vif intérêt.

C’est que la merveilleuse légende a conservé, malgré le scepticisme affecté de notre époque, – scepticisme que notre confrère a pu constater, non sans une mélancolie justifiée, – sinon sa première fraîcheur, du moins un peu de sa saveur populaire.

Pour ma part, bercé dès ma plus tendre enfance par les « gwerziou » et les « sôniou » relatifs à la ville du roi Gradlon et de sa pernicieuse fille Ahès (ou Dahut, les deux noms sont admis), je n’ai jamais mis en doute l’existence de Ker-Is, ni, à plus forte raison, son engloutissement par l’Océan tumultueux.

J’ai encore dans la mémoire et l’air et les premiers couplets de la complainte, qu’il y a quelque vingt ou vingt-cinq années, ma mère, fille de marins de la rude côte du Guilvinec et de Penmarc’h, nous chantait, de sa voix douce, à la veillée :
 

Petra zo neve e Kear Is,

Maz e ken foll ar iaouankiz ?

Me klevan med ar biniou,

Ar vombard hag ann telennou.
 

N’euz a Kear Is netra neve,

Ann ebattou ma ve bemde.

N’euz e Kear Is nemet traou koz,

Ann ebattou ma ve bemnoz.
 

Que se passe-t-il donc à Ker-Is,

Que la jeunesse y soit si dévergondée ?

Je n’entends que le son du biniou,

De la bombarde et de la harpe.
 

Il n’y a à Ker-Is rien de nouveau,

Rien que les jeux de chaque jour.

Il n’y a à Ker-Is que les jeux habituels,

Les jeux de chaque nuit.
 

Jeux corrompus, évidemment. Perversion générale, sous la conduite d’Ahès, la fille maudite.
 

Is a-t-elle donné son nom à Paris ?

 

Pourquoi, je vous le demande, n’ajouterait-on pas foi aux légendes que nos pères, à travers les siècles, nous ont transmises aussi fidèlement que l’ont permis les temps et les circonstances ?

« À mon avis, disait Guizot, il y a souvent plus de vérités historiques à recueillir dans ces récits, où se déploie l’imagination populaire, que dans beaucoup de savantes dissertations. »

Parmi ces « savantes dissertations, » il en est une pourtant qui émane d’un des plus anciens auteurs qui aient parlé de la ville d’Ys, Pierre Le Baud :

« En cette cité, dit-il, en narrant les splendeurs de la ville disparue, estoit l’apport des richesses et autres délices vénales qui estoient amenées en Armorique des estranges régions ; car pourtant qu’aux habitants d’icelle seulement, estoit cognu l’usage de transnager le raz de Cap Sizun, les forains y descendoient les marchandises, dont elle estoit plus fréquentée et habitée, et de si grande ampliture et authorité que jaçoit ce que les historiens galliques ayent dict le nom de la cité de Paris avoir esté imposé en mémoire de Pâris, fils du roi Priam de Troye, les Corisopitenses se vantent le dict nom de Paris lui avoir esté attribué comme pareille à Is. »

Il convint de noter, en effet, que la locution pareille à Is se traduit en breton par Par-Is. D’où le proverbe breton bien connu : « Depuis que la ville d’Ys a été submergée, personne n’a trouvé l’égale de Paris. »
 

Où doit-on situer Is ?

Dans la baie de Douarnenez, ou…

à la Pointe du Raz ?

 

Vous qui, me dira-t-on, avez recueilli, dès votre jeune âge, quelques bribes de la belle légende, pouvez-vous situer l’emplacement de la ville « aux sept lieues de tour » ?

Hélas ! ceci est une autre affaire. Tous les rivages actuels, des Glénans à Molène, et d’autres encore, sans doute, briguent l’honneur d’avoir été les attaches de la ville d’Is avec le continent.

Il faut convenir que le fond de la baie de Douarnenez paraît avoir eu jusqu’ici – et ceci confirmerait la thèse de Florian Leroy – la priorité chez la plupart des érudits qui s’en sont préoccupés.

La légende, la complainte « Ar Roue Gralon ha Kear Is, » dont j’ai cité plus haut quelques vers, ne dit-elle pas, elle-même :
 

« En Escopti Kerne, et leac’h e ma breman môr Douarnenez, e ao gwechall eur gear vraz meurbet, bramvet Is. »

(En l’Évêché de Cornouaille, la place où se trouve à présent la mer de Douarnenez, était jadis une très grande ville, dénommée Is.)
 

Et cependant !… Tout le monde n’accepte pas – loin de là ! – cette probabilité. Si la baie d’Audierne, pas plus que les régions situées plus au Sud, ne rencontre, en la matière, de partisans convaincus, il s’en trouve, parmi les conteurs de légendes et parmi les savants chercheurs, qui penchent – non sans quelques raisons, semble-t-il, – pour un autre site : l’extrême pointe du Raz et son prolongement naturel, l’Île de Sein.

La Pointe du Raz ?… Pourquoi pas ?
 
 

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(Jean Corcuff, in L’Ouest-Éclair, journal républicain du matin, vingt-neuvième année, n° 9785, jeudi 9 août 1928)