Rhamsès II Méiamoun, dit Raphaël Landoy, né en 1368 avant J.-C, et pas encore décédé – à ce qu’il prétend du moins, – a exercé la quadruple profession de pharaon, chansonnier, cheminot et journaliste, pour se consacrer définitivement à la plus ingrate : la dernière.
Comme pharaon, par le continuel remploi des colosses du premier âge thébain, il introduisit dans l’architecture – tradition encore suivie par l’école de Saint-Luc – de déplorables confusions d’époques dont se fit des cheveux blancs Mariette, personnalité énigmatique considérée par les uns comme un égyptologue distingué et par les autres comme une habituée des bars.
Nonobstant, son Memnonium d’Abydos est d’un assez bon style, mais pas autant que ses productions littéraires, dont des exemplaires non coupés se rencontrent encore dans le commerce au prix modéré de cinquante centimes.
Nous n’entrerons pas dans des détails sur ces productions : Rhaphaël-msès a embrassé tous les genres, y compris le genre féminin, et il a égalé, sinon dépassé, Victor Hugo en entomologie et Bernardin de Saint-Pierre en numismatique. Bien qu’il s’en défende, il n’en est pas moins un érudit, et sa longévité extraordinaire, consacrée, au point de vue des sciences exactes, à l’étude du chauffage à travers les âges, lui a permis de rédiger un mémoire documenté et vécu sur la fumisterie depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, où M. de Broqueville a puisé la sublime conception des chasseurs alpins belges, dont M. Du Bus de Warnaffe a fait, à Arlon, un exposé aussi éblouissant qu’inintelligible.
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Mais il nous tarde d’arriver aux services éclatants que Rhamsès rendit au pays dans une carrière de plus de trente années au chemin de fer.
La découverte des hameçons à repêcher les goujons des chaînes d’attelage le mit immédiatement en telle lumière qu’il fut chargé de la mission importante et confidentielle de tracer les accolades du plus grand imprimé du ministère.
Encouragé par cette insigne récompense, il inventa la pâte de guimauve pour essieux grippés, les quais mobiles des ports perçus et à recevoir, les bandages de roues hernieuses, les détentes des arbalétriers et autres engins techniques.
Malheureusement, la liberté de ses manières, vis-à-vis des marquises et des grues des gares, jeta sur la pureté de ses mœurs une suspicion qui n’était peut-être pas illégitime, et que ne dissipa point son œuvre maîtresse : l’ordre de service destiné à prévenir des familiarités équivoques entre cavaliers et tapissières. Son mémoire sur les injecteurs ne fut pas accueilli avec plus de faveur et la tyrannie cléricale y découvrit des intentions allégoriques que la haute tenue scientifique de cet opuscule ne justifiait en aucune façon. L’ingratitude de l’administration devait le rejeter exclusivement dans le journalisme.
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Depuis sa plus tendre enfance, d’ailleurs, Rhamsès II est un passionné du journalisme. Dès l’âge de onze ans (1357 av. J.C.), il rédigeait les notices nécrologiques du Moniteur de Memphis, dans lesquelles il acquit immédiatement une réputation d’auteur gai que ne démentit pas, dans la suite, sa collaboration à d’innombrables organes satiriques et fantaisistes, tels que la Gazette de l’Inquisition (1425-1470), le Bulletin de la guillotine (1791-1848), le Diable-au-Corps (1869-1895), etc. Hélas ! depuis qu’il pratique le journalisme quoditien et politique, le joyeux Rhamsès, qui éparpillait sa fantaisie en chansons nouvelles, pièces d’ombres et tout ce qui concernait généralement son état, a été envahi par deux passions aussi dangereuses que séniles : la représentation proportionnelle et la dissection des projets de lois scolaires. Ces deux funestes passions, combinées avec un asthme irréductible, teintent ses productions actuelles d’une mélancolique et austère gravité, tel Lamartine jouant de l’ophicléide.
Rhamsès II écrit maintenant des articles sérieux. Heureusement, ces études savantes sont-elles publiées sous des pseudonymes permettant de ne pas les lui attribuer, de sorte que ses amis peuvent encore conserver des illusions, entretenues par des dehors originaux dont un chapeau monumental constitue le point culminant.
Ce genre de chapeau est confectionné sur commande, au goût du client, par Benzi, 29, rue des Boiteux.
Ceci n’est pas une réclame, mais un hommage.
Pour copie à l’instar de Rhamsès II,
LES TROIS MOUSTIQUAIRES.
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(in Pourquoi pas ? gazette hebdomadaire paraissant le jeudi soir, cinquième année, n° 220, jeudi 2 juillet 1914)
2 juillet 1914, je vois qu’on continuait de blaguer en France et Belgique :::))))