La Porte ouverte est heureuse de mettre en ligne aujourd’hui une longue nouvelle humoristique de Charles Habeneck. Cette curieuse fantaisie d’atavisme préhistorique était restée jusqu’à présent inconnue des amateurs de merveilleux-scientifique.
MONSIEUR N
À la lueur hésitante du falot, je lus ce qui suit, pendant que mes deux camarades écoutaient en fumant :
« Kjœkkenmœding, 15 juillet 1870.
À monsieur le docteur E. Dally, vice-président de la Société d’Anthropologie de Paris.
Monsieur le président et distingué confrère,
La rencontre fortuite d’un de vos amis me permet de vous faire transmettre, par mains sûres, avec la lettre présente, une caisse renfermant un bocal hermétiquement clos, dont je vous dirai tout à l’heure le contenu, contenu qui pourra peut-être vous être moins cher qu’à moi, les liens du sang étant plus serrés que les curiosités de la science ne sont vives, mais dont vous comprendrez certainement le haut intérêt pour l’anthropologie, notre famille commune.
Voulez-vous me permettre tout d’abord de vous raconter certains faits qui ne sembleront étranges qu’aux esprits superficiels, incapables de comprendre les sacrifices que doivent s’imposer ceux qui s’abandonnent entièrement aux passions de l’étude de l’humanité passée. Bien certain d’ailleurs de trouver en vous, dont le nom a été souvent cité à côté de ceux des Pruner bey et Broca, un homme capable de me bien entendre, je vous charge d’être mon introducteur auprès de mes confrères de Paris et du reste de la France, si ma communication qui, à certains égards, ressemble à une confession, vous semble en valoir la peine.
Fils d’un bourgmestre de Gorcum qui m’a laissé une assez belle fortune, j’ai pu me livrer dès ma jeunesse à tout le goût que je ressentais pour les sciences naturelles, parmi lesquelles la géologie et sa sœur l’anthropologie, sœur puînée, mais plus belle peut-être, ne tardèrent pas à capter mes préférences. Voilà vingt ans que je les cultive, quoique je n’aie guère que quarante ans. Membre de la Société d’anthropologie de La Haye, de la Société royale de Belgique, correspondant des Sociétés de Londres et de Vaud, j’ai pu me faire connaître de quelques savants trop indulgents par diverses petites notices sur l’âge de la pierre ou du renne que j’ai particulièrement étudié. Vous trouverez ces brochures au fond de la caisse. Faites-en hommage de ma part à votre excellente Société. Ma vie s’écoulait fort tranquillement dans ces modestes travaux, lorsque divers incidents tout scientifiques vinrent l’agiter et donner naissance à la présente communication.
J’assistai, il y a deux ans, au Congrès régional anthropologique de Namur, dont vous avez peut-être ouï parler. Vous savez que les bords escarpés de la Meuse renferment de nombreuses cavernes où les beaux travaux de M. Édouard Dupont, de l’Académie royale de Bruxelles, ont retrouvé de fréquentes traces d’hommes et d’animaux de l’âge du renne ou de la pierre, qui précéda les âges du fer et du bronze. Une fort belle collection de silex taillés, d’ossements patiemment recueillis, de plans et coupes de terrains habilement présentés, enfin d’intéressantes dissertations, nous avaient fait revivre vingt mille ans plus tôt, – ce chiffre est hypothétique, naturellement. J’étais un peu habitué, déjà, à ces restes du passé reconstitués par la science, mais mon enthousiasme n’en était que plus grand. De tout ce que l’on nous dit à ce Congrès, de tout ce que l’on nous fit voir et toucher, ce qui me frappa le plus, ce fut une photographie que l’on nous montra et qui représentait une jeune fille du village de Thuin, sur les bords de la Sambre (Belgique).
Autant que l’on en pouvait juger, cette jeune fille avait ou paraissait avoir tous les caractères distinctifs de la race de l’âge du renne, le crâne pyramidal, la face aplatie et en forme de losange. Cette photographie me produisit la plus vive émotion, et le Congrès n’était pas terminé que je partais pour Thuin après m’être muni de tous les renseignements suffisants pour trouver Mlle Sydonie Valtard et sa famille. Je caressais l’idée de prendre cette jeune fille comme domestique à mon service pour pouvoir étudier cette singulière reproduction d’un type antédiluvien. J’avais appris que le père et les frères de Sydonie étaient mariniers, et il y avait lieu de croire que la chose pourrait s’arranger au plus grand avantage de tous.
Lorsque j’arrivai sur la place de Thuin, un certain nombre de jeunes filles dansaient le Cramignon, la danse nationale du pays wallon, se tenant toutes par la taille, l’une derrière l’autre, et ondulant comme une couleuvre dans l’herbe, sicut anguis… Je me hasardai à demander si Mlle Sydonie n’était pas parmi les danseuses. On me la montra, et, quoique j’eus alors bien peu le temps de la regarder, car la bande joyeuse vint dans le même moment se heurter à moi, renverser mon chapeau, faire tomber mes lunettes, il me fut possible d’admirer la beauté et la pureté de ce type de l’âge du renne : le front bas et fuyant, les orbites carrés, la racine du nez épaisse en haut, déprimée en avant, la taille moyenne, tout y était.
Ce fut une vision.
En un instant, je me rendis chez les Valtard, Quel fut mon étonnement d’y trouver un de mes confrères, Sir Richard Moniplies, de la Société d’Anthropologie de Londres ! Le misérable et bien cher collègue avait eu la même idée que moi. Il me regarda en souriant d’un air vainqueur.
« Ah ! cher confrère, fit-il, vous venez trop tard. J’emmène Sydonie en Angleterre, aux gages de 100 livres sterling par an et l’espoir d’une dot. »
Je restai quelques instants abasourdi de ce coup, qui venait renverser mes plus chères espérances, au moment où la vue de Sydonie venait de les exciter à nouveau, mais je me remis.
« Et moi, dis-je en assujettissant mes lunettes, je viens demander à M. Valtard de vouloir bien m’accorder la main de sa fille Sydonie. »
L’Anglais fut écrasé par ma déclaration, et la famille Valtard, non moins stupéfaite, n’y comprenait rien.
« Mes sincères félicitations, dit au bout de quelques instants de silence Sir Richard Moniplies, en se retirant ; mais je ne peux pas, je suis déjà marié… Je passe de l’âge de pierre à l’âge de fer. Salut à tous ! »
Les Valtard, qui ne croyaient pas pouvoir jamais marier leur fille dont la beauté particulière ne pouvait être appréciée que par un savant, et qui passait pour laide auprès de tous les ignorants, furent enchantés de ma proposition quand ils connurent ma position sociale et mes moyens d’existence. Aussi, trois semaines après, j’épousai Mlle Sydonie Valtard à Thuin et nous partîmes, au sortir de l’église, pour Kjœkkenmœnding, ma propriété en face Gorcum.
Ce fut un bien beau et bien solennel instant que celui où je pus contempler en toute liberté ce type merveilleux des races du passé. Elle avait dix-huit ans, paraissait douce, ne se rendant pas bien compte de ce qui se passait, s’étonnant que je la trouvasse belle. Je lui demandai de renoncer à cet affreux nom de Sydonie, qui ne rappelait en rien l’âge du renne ; elle y consentit et prit celui d’Èva. Elle parut heureuse de mon attention. Quant à moi, j’étais le plus satisfait des hommes. Je la vois encore comme elle m’apparut cette première fois. Et maintenant qu’elle est morte, que j’ai son squelette, je puis mieux vous la décrire encore.
Le crâne est platycéphale et acrocéphale. Regardé de face, il offre un front fuyant surtout vers le haut, et même vers les tempes. Il est très légèrement voûté en haut. La glabelle est saillante. Les deux arcs sourciliers se rencontrent, limitant un espace triangulaire qui les sépare. Les orbites sont carrées, émoussées aux angles, largement ouvertes et dirigées un peu en dehors. Les yeux sont noirs et saillants avec une forte divergence dans le regard.
Comme je vous le disais, la racine du nez était et est encore épaisse en haut, déprimée en avant. Les os nasaux sont insérés fortement en haut de la racine et réunis en courbes légères. Le nez est osseux et court ; il était aplati, comme l’indique l’ouverture pyramidale très haute et triangulaire. La région malaire a des traits absolument caractéristiques, car je dois bien vous avouer que j’admire encore plus ma femme depuis qu’elle est morte que je ne le faisais de son vivant. Ses ossements seuls m’ont absolument révélé quel trésor je possédais, et dont vous-même devez comprendre tout le prix si vous avez sous les yeux les mémoires sur l’âge du renne.
En regardant le sommet, le crâne présente un ovale raccourci et arrondi, quoiqu’il soit légèrement asymétrique. Le sommet est peu voûté, très incliné vers le front. Le bord supérieur du coronal est parabolique. Les pariétaux sont raccourcis dans leur diamètre antéro-postérieur ; les bords postérieurs le sont fortement aussi vers la suture sagittaire. La grande aile du sphénoïde, inclinée dans ses bords d’avant en arrière, présente une forme presque triangulaire dont la pointe est tournée en haut et en arrière. L’arcade zygomatique est en courbe très saillante, et les apophyses mastoïdes, médiocrement développées, sont dirigées en avant et ont une large fosse à contours arrondis pour l’attache du muscle bigastrique.
Je ne vous donne ici que les principaux traits de cette figure où aucun détail ne laissait à désirer. L’ouverture des conduits auditifs était elliptique, assez large. Elle avait d’énormes oreilles qui donnaient à sa physionomie un cachet étrange. Quelques chiffres mesurés avec le goniomètre de M. Jacquart achèveront de vous faire connaître sa beauté.
Crâne facial : Du menton à la glabelle, 115 millimètres ; grande longueur du nez, 52 millimètres ; petite, 44 millimètres ; largeur de la racine du nez et de son ouverture, 23 millimètres ; hauteur du menton, 32 millimètres.
Si vous comparez ces chiffres avec ceux des crânes trouvés dans les cavernes de la vallée de la Hesse, à Farmingnool, au trou de l’Ours, au trou de la Roche-à-Penne, au trou Madame, au trou de la Maulette, vous verrez que les différences sont minimes.
Le reste du corps répondait à la tête. Le bassin est mince et léger ; il est court dans son ensemble. La cavité du petit bassin est large comparativement à celle du grand bassin, car le rameau pubien horizontal a une grande étendue, tandis que l’ilion est étroit. Les épines iliaques antérieures sont aplaties. La surface articulaire sacrale est peu étendue et triangulaire. Sa largeur 56 et sa hauteur 57 mm. La cavité cotyloïde est large, peu profonde et dirigée légèrement en dehors ; sa hauteur 44 et sa largeur 42 mm. Le trou ovale est grand et triangulaire, haut de 40 mm et large de 39 mm.
Tout cela, vous le voyez, est absolument conforme aux descriptions des meilleurs auteurs. (1)
J’ajoute pour compléter : longueur de l’humérus 253 mm, pour le radius 237 mm, fémur 420 mm. Distance entre le grand trochanter et la tête 73 mm. Le petit trochanter est également très épais et fort saillant. Tibia, longueur 325 mm. Les pieds longs et larges.
Taille générale 1m 30. Tous les caractères enfin de la famille Uralo-Altaïque du grand rameau Touranien.
Ce fut la réalisation d’un beau rêve, comme vous pouvez en juger.
Dès les premiers jours, je m’occupai de classer la série d’études auxquelles je voulais me livrer sur celle qui était devenue mon épouse, mon bonheur. Mon intention était de chercher à réveiller en elle, non pas des souvenirs certainement, mais tout au moins des instincts propres à sa race, et qui pouvaient conséquemment fournir de précieux renseignements si, fortunatus nimium, j’arrivais à des analogies positives.
Je devais m’imposer et m’imposai, comme vous le pensez bien, la plus complète circonspection. Je ne pouvais songer à effacer en un seul jour, et même en beaucoup, non pas la totalité, – à cela, je n’y songeai pas, – mais un certain nombre des impressions successives, subies et transmises par ses aïeux à travers des milliers d’années. C’était pousser l’atavisme bien loin, me direz-vous ; mais l’étrange concours de circonstances qui avait amené, après un si long espace de temps, la reconstruction d’un type aussi éloigné de nous pouvait, par hypothèse, ne s’être pas borné à la conformation physique, et des similitudes de mœurs résulteraient peut-être d’une analogie physiologique. Puis la science a ses audaces.
C’est ainsi qu’un des premiers moyens que j’employai fut un voyage sur les bords de la Meuse. Je fis visiter successivement à Èva toutes les cavernes voisines de cette rivière et qui ont été habitées par la race humaine de l’époque du renne. Je ne laissai de côté aucun détail. Je n’ai pas besoin de vous dire avec quelle attention je surveillai les impressions qu’elle aurait pu ressentir en se trouvant en contact avec des instruments dont ceux que je me plaisais à considérer comme ses ancêtres reculés avaient pu se servir, en vivant dans le milieu géologique où ils avaient vécu. Je dois avouer que rien dans ses paroles, rien dans ses gestes, et même dans ses regards, ne me parut manifester une émotion quelconque ; il ne m’était pas possible de m’en étonner, ayant eu lieu de constater que son intelligence douce, je le répète, était assez bornée.
Elle était d’une force musculaire assez grande et d’une habileté de mains assez remarquable, mais ces qualités, qui paraissent avoir été propres aux races de l’âge du renne, pouvaient aussi provenir de son éducation, faite en grande partie à bord des bateaux que conduisaient son père et ses frères. J’eus beau insister, rester plus d’un mois sur les bords de la Meuse, rien ne me parut à noter. Le commencement du voyage lui plut ; la suite la laissa indifférente, quoique j’évitasse de la fatiguer. Je bornai là cette première expérience que je considérai comme préparatoire, car, dans les conditions d’un voyage, elle restait forcément incomplète.
Nous revînmes à Kjœkkenmœnding. Èva se montrait assez satisfaite, en somme, de cette excursion, et paraissait éprouver pour moi un attachement réel qui venait en aide à mes études, car la chère femme se soumettait à mes désirs, encore bien qu’elle ne les comprît pas, sans doute. Nous vivions absolument seuls dans ma maison, avec une vieille bonne et deux domestiques mâles. Absolument consacrés l’un à l’autre, nous ne voyions personne. De temps en temps, j’envoyais de l’argent à sa famille, qui n’en demandait pas plus et m’expédiait ses bénédictions. Èva ne savait ni lire ni écrire, ce qui m’était complètement indifférent pour ce que je me proposais. Je lisais et j’écrivais pour elle. N’allez pas croire, cependant, que je me conduisisse en bourreau vis-à-vis d’Èva. Non, toutes ses fantaisies étaient satisfaites ; mais je m’arrangeais pour qu’elle en eût le moins possible, c’est-à-dire pour qu’elle ne fût pas détournée, par les sollicitations extérieures de la vie moderne, du retour que je voulais lui faire opérer et que j’opérais moi-même vers les âges préhistoriques.
Au bout de quelques semaines de ce que je dénommerais volontiers une retraite scientifique, je pris le parti de resserrer mon champ d’observation en agissant plus énergiquement sur ma chère Èva.
Sous prétexte que cela était mon goût, – et c’était un ordre suffisant pour elle, – j’adoptai un régime d’aliments tel que, d’après les détritus trouvés dans les cavernes, on peut croire qu’a été celui des êtres de l’âge du renne ou de la pierre. Le cheval devint la base de notre nourriture, car ces races paraissent avoir été particulièrement hippophagiques. (2) Vous n’ignorez pas qu’au trou de Chaleux, sur les bords de la Lesse, on a trouvé 937 molaires de cheval et un nombre considérable de débris fracturés. Il en a été de même en Suisse dans les Lacustres. Peu à peu, j’en arrivai même à lui faire manger et à manger moi-même, prédominamment, la cervelle de ce quadrupède et la mœlle des os, qui sont encore maintenant le régal des Esquimaux et des Groenlandais, comme ils ont été les mets favoris dans les temps dont je m’occupais.
Pour ne pas trop demander à Èva et pour ne pas trop me fatiguer moi-même, car je n’ai pas besoin de dire que nous mangions en commun, je variai en lui offrant du renard, du blaireau, du putois, du lièvre ; peu à peu, j’arrivai au rat d’eau et au campagnol (arvicola amphibius), dont on faisait, à l’âge du renne ou de la pierre, une si prodigieuse consommation. Tons ces animaux étaient rôtis au feu ; le pain, le vin, la bière disparurent peu à peu. Le soir, personnellement, je prenais quelquefois, mais rarement, un verre de genièvre en cachette, pour me soutenir, car je m’affaiblissais un peu. La santé d’Èva ne souffrait nullement, et cela ne fit que confirmer nos hypothèses et transformer presque mes espérances en certitudes.
Cependant, ayant remarqué un jour qu’elle paraissait triste et inoccupée, car j’avais interdit tous les travaux à l’aiguille, je lui mis entre les mains un couteau de silex et lui appris à s’en servir pour divers usages. Bientôt même, lui ayant apporté un petit bloc de silex crétacé de Champagne (3), et y joignant des cailloux roulés en grès dur, je lui donnai l’idée de faire elle-même un couteau semblable à celui que je lui avais donné. Ce travail, qui est excessivement délicat, par suite de la dessication des silex transportés et desséchés, l’occupa longtemps ; elle y réussit cependant, après de nombreux essais qui la divertirent. Puis je lui enseignai à transformer le couteau en scie, à faire des aiguilles avec des petits os, en perçant le chas avec adresse.
L’usage de tout métal était sévèrement proscrit, ai-je besoin de vous le dire ! Ces travaux furent, pour elle et pour moi, la source des plus intéressantes distractions, car il me sembla revivre dans le passé. Enfin, je ne tardai pas à lui confier des peaux de bêtes et l’invitai à s’en composer un vêtement, qui se trouva – chaque âge a ses toilettes de bal – lui aller à ravir ; ce qui me combla d’une joie dont elle ne saisit pas bien toute l’étendue, car je ne lui faisais pas part de la série d’études auxquelles je me livrais, et qu’une explication de plusieurs années n’aurait probablement pas suffi pour lui faire entendre.
Chaque jour, je consignai sur un registre mes observations, la nourriture prise par elle en grammes et décigrammes ; je notai l’état de son pouls ; je la pesais avant et après les repas, constatais les travaux faits. Ce journal est fort intéressant ; je le publierai peut-être quelque jour. On y verra quelques recherches préliminaires sur la reconstitution de la langue de la race de l’âge de pierre, d’après les données de la linguistique moderne sur la phonétique touranienne. Ces études sont tout à fait nouvelles. J’en veux écrire à M. Littré.
J’avais écrit auparavant en Norvège pour qu’on me procurât, s’il y avait moyen, des bois de renne, et je demandai même s’il serait possible d’acheter un renne vivant. En attendant, je donnai à Èva quelques cornes d’animaux divers, en l’invitant à s’exercer à les tailler et à en faire des ornements pour elle et pour moi, car je lui avais persuadé, pour la distraire, de me composer un costume dans le genre du sien et cousu avec des poils d’animaux tressés. Je dois dire qu’elle était devenue d’une habileté merveilleuse. Cependant, elle maigrissait, et sa tristesse paraissait augmenter, quoiqu’elle ne se plaignît pas. J’attribuai sa transformation, dont je me réjouissais scientifiquement, à son changement de vie et surtout à son état particulier, car elle était enceinte.
Quand je la voyais trop accablée, je lui promettais pour plus tard un voyage à Paris, dont elle me parlait souvent et que je comptais bien lui faire faire plus tard, d’ailleurs, quand mes observations seraient terminées, – c’est-à-dire dans quelques années. Le seul mot Paris suffisait pour lui faire prendre patience.
J’attendais avec une très vive émotion la naissance de ce produit d’une femme de l’âge de pierre et d’un homme moderne. Ma conformation très normale, très régulière, m’autorisant à penser que je résume assez bien les caractères généraux de mon espèce, le résultat de ce croisement bizarre ne devait pas manquer d’être un objet d’importance pour la science.
Vous le trouverez dans le bocal qui accompagne la présente lettre.
Pour achever mes expériences et faire plaisir à Èva et à moi, j’avais préparé une fort agréable surprise. Disposant d’un coin assez retiré de mon jardin, où passait un large canal d’écoulement des eaux ainsi qu’il en existe beaucoup en ce pays, j’y avais fait fermer une sorte d’enclos. Dans cet enclos, avec des blocs de rochers qui vinrent de Namur à Kjœkkenmœnding, je me plus à élever, sur les bords du canal qui s’y prêtaient à merveille, une caverne dans le genre du trou des Nuttons des cavernes de Furfooz. L’entrée en était à trois mètres au-dessus du niveau du canal. Des broussailles et des arbustes la dissimulaient en partie, mais sans empêcher toutefois le jour et l’air d’y pénétrer. La caverne elle-même avait cinq mètres de profondeur, trois mètres cinquante de largeur et deux mètres de hauteur. On la garnit de sable fin ; je jonchai le sol de débris d’ossements des animaux qui servaient ordinairement à notre nourriture.
Enfin, je parvins à obtenir un modèle réduit, il est vrai, mais très exact d’une habitation humaine pendant l’âge de la pierre ou du renne. Le renne manquait seulement. On n’avait pu en faire venir en Hollande, à mon très grand regret. Ah ! que ne pouvais-je recomposer, autrement qu’en idée, ces grands paysages de l’époque où les cités lacustres de Suisse jouaient le rôle de Paris et de Londres pour leur civilisation !
Quand tout fut prêt, comme c’était le printemps et que la température était assez douce, j’y conduisis ma femme et nous nous installâmes pour y passer une partie de l’été, vivant complètement de la vie de l’âge de pierre, – costume et nourriture compris. Comme je n’avais pas à aller à la chasse et à la pêche, – mes domestiques déposant régulièrement les vivres qui nous étaient nécessaires, le matin, à la porte de l’enclos, – nous passions notre temps à tailler des silex et des cornes de cerf. J’arrivai à être presque aussi habile qu’Èva, qui faisait cuire les aliments sur les charbons d’un grand feu, près duquel nous dormions. Ce qui me coûta le plus, ce fut de ne pas fumer ; mais je ne devais pas y songer. J’éprouvais d’ailleurs une joie profonde dans cette existence pour moi toute scientifique, qui me reportait dans la nuit des siècles.
Èva semblait plutôt passive qu’active. Elle acceptait cette vie nouvelle sans se plaindre, et c’est à peine si je pouvais noter, autrement que par son silence affectueux, la sensation de plaisir qu’elle devait éprouver, à l’état confus, en se retrouvant dans les véritables conditions de son existence physiologique. Sa soumission muette me révoltait parfois, mais cependant, pour la forcer de parler, je ne crus pas devoir tenter – vous le comprendrez – les essais de ce cannibalisme hypothétique que Spring attribue aux races de cet âge primitif, mais qui ne sauraient être établis par la présence de quelques os humains autour des feux des cavernes. Je me contentai des expériences que je vous dis brièvement et dont j’étais bien ému.
Que de fois même, subissant l’influence du milieu dont j’étais le créateur, et rêvant, je vins à me figurer que cette vie sauvage était ma vie réelle et que le docteur van Cuykcuyk n’était qu’une fantaisie. Chose bizarre, j’avais combiné tout ce genre d’existence pour mieux observer Èva, et je ne tardai pas à m’apercevoir que je m’observai beaucoup plus moi-même que je ne l’étudiais. À force de chercher en elle les vestiges intellectuels et physiques de l’âge de pierre, j’étais arrivé à faire de moi un homme de cette époque. J’en ressentais les émotions, et, faut-il vous le dire, plus ces émotions devenaient habituelles à mon individu, plus la préoccupation de l’étude disparaissait en moi. En sorte qu’après avoir cessé pour ainsi dire d’observer Èva, pour m’abstraire dans ma propre contemplation, j’en arrivai à ne plus m’observer moi-même, et ma raison se mit au niveau de l’époque où je croyais vivre.
Je restai à peu près deux mois dans cet état. Un jour, le sifflet strident d’un bateau à vapeur passant sur le Rhin, près de mon jardin, me réveilla de cette léthargie morale ; je jetai les yeux autour de moi et vis la douce Èva qui, assise près du feu, fabriquait, avec des peaux qu’elle m’avait demandées et que je lui avais procurées, des langes pour l’enfant qu’elle allait mettre au monde. Ses traits étaient fatigués et tirés. Je lui demandai si elle souffrait, elle me répondit que non ; je l’interrogeai pour qu’elle me fît connaître son opinion sur ce genre de vie. Èva répliqua que si je me trouvais bien, elle se trouvait bien, que cependant elle ne pourrait pas accoucher là, puis me reparla du voyage à Paris.
Ce mot Paris avait le privilège de me déplaire fort, car il prouvait chez Èva toute une série d’idées qui n’avait aucun rapport avec l’âge de pierre. Cependant, ces divers incidents qui, dans une vie aussi calme que la nôtre, où, dans les derniers temps, nous restions quelquefois deux jours sans échanger une parole autre que bonjour ! et bonsoir ! eurent ce résultat de secouer ma torpeur. Je me déterminai à quitter, avec ma femme, le séjour de la caverne pour nous préparer au grand acte de son accouchement, qui devait amener des étrangers chez moi, sans doute. J’aurais évidemment préféré qu’Èva se délivrât elle-même, mais une question d’humanité m’arrêta ; sans cela, il y aurait peut-être eu occasion d’enregistrer quelque renseignement utile sur la gestation et la parturition pendant l’âge de pierre.
Mais Èva réclama absolument un médecin. Elle fit même demander à sa mère de venir ; mais celle-ci répondit qu’elle ne pouvait quitter la maison, son mari étant absent. Comme quelques-uns de ses frères et quelques-unes de ses sœurs présentaient également des types assez curieux de l’âge du renne, plusieurs fois j’eus l’idée d’en appeler de l’un ou de l’autre sexe auprès d’Èva ; mais je pensai qu’il valait mieux ne pas courir plusieurs lièvres en même temps et qu’il n’y avait pas urgence scientifique à installer à Kjœkkenmœnding une colonie préhistorique.
La vie que j’avais menée avec Èva n’était pas sans avoir appelé l’attention de quelques voisins, mais comme ma femme ne se plaignait pas, comme il m’avait été facile de lui présenter sous les apparences d’une vive et égoïste affection notre genre d’existence, et que les domestiques rendaient eux-mêmes témoignage que je n’avais recours à aucune violence, qu’elle paraissait au moins m’aimer beaucoup, nous en étions arrivés à passer l’un et l’autre pour un peu fous, ce qui est le propre des fidèles de l’amour et de la science. Cela avait assuré notre tranquillité. Èva elle-même, qui m’avait questionné dans les premiers temps, avait complètement renoncé à le faire, surtout en voyant que je vivais à peu près comme elle. Elle était devenu une pièce anatomique intelligente pour moi, car elle avait fait un retour presque absolu à l’état de nature. Toutefois, lorsqu’il s’agissait de l’enfant à venir, je cessais de la trouver obéissante, et la femelle se montrait rebelle et violente.
Un jour qu’elle était entrée dans mon cabinet pendant mon absence, quoiqu’il m’arrivât rarement de sortir, je la trouvai feuilletant mon journal d’un doigt inquiet, et j’éprouvais une vive inquiétude qui disparut en me souvenant qu’elle ne savait pas lire. Elle comprit cependant qu’elle m’avait déplu, rougit et se tut. Je ne lui fis pas la moindre observation. Au reste, nous n’avons jamais eu la moindre discussion.
Son accouchement fut très pénible, et enfin elle mit au jour un petit être du sexe masculin dont je notai immédiatement les principaux caractères physiologiques. Ainsi que vous le pourrez constater, la courbe antéro-postérieure est de 108 millimètres. La largeur du front en bas 90, et en haut 102 millimètres. Le front est légèrement bombé, bas, à bosses très distantes. La courbe de la suture coronale se rapproche plutôt d’un arc de cercle que d’une ellipse. Les dépressions de la face interne sont très prononcées, surtout aux pointes des lobes antérieurs. Au reste, vous pourrez achever cette étude sur le sujet même. Je n’ai point à y insister ici.
Èva avait manifesté avec la plus grande énergie l’intention de nourrir son enfant, et cette demande concordait trop avec mon désir de ne pas faire entrer un nouveau cœfficient dans notre produit par l’immixtion d’une troisième personne dans la constitution physique du petit, pour qu’aucune raison sentimentale prévalût. Mais le médecin me déclara que, dans l’état de faiblesse d’Èva, nourrir son enfant, c’était se tuer. J’invitai mon collègue à bien examiner le cas, et à ne pas s’alarmer trop vite peut-être. Il persista ; je m’y résolus. Èva fut comme une tigresse à laquelle on enlève ses petits, et j’assistai là, certainement, à une scène d’un autre âge. J’en aurais suivi plus attentivement les péripéties, si je n’y avais pas été acteur et intéressé. On ne peut pas s’annihiler.
Malheureusement, cet incident provoqua chez Èva un accès très violent de fièvre puerpérale qui l’emporta. Dans son délire, elle ne parla guère que de son enfant, de sa mère, de la caverne et du voyage à Paris. Au moment où elle rendit son dernier soupir, l’œil fixé sur moi, j’eus un long serrement de cœur et compris que j’en étais arrivé à l’aimer sans le savoir. Cette impression ne fut pas, cependant, de très longue durée, et lorsque, en raison du premier mouvement d’attendrissement, je crus devoir examiner ma conscience et me demander si je n’avais rien à me reprocher à son égard, je n’estimai pas que l’amour de la science m’avait fait oublier ce que je devais à l’humanité et à mon épouse. Elle avait partagé mes travaux, dont elle était l’honneur, et si elle a éprouvé quelque affection pour moi, où qu’elle soit, – si sa personnalité subsiste, – elle peut être fière de m’avoir procuré les glorieuses jouissances des recherches scientifiques, qui ont aussi leur part de douleurs, comme toutes choses humaines.
Après avoir fait donner une nourrice à l’enfant, je ne crus pas pouvoir mieux rendre hommage à ma femme qu’en sollicitant et en obtenant la permission de garder son corps, afin d’en préparer moi-même le squelette avec une affection éclairée. Ce travail, auquel je me livrai avec la plus scrupuleuse attention, acheva de me consoler, et la science, qui avait été la cause de mon mariage, fit disparaître les regrets que la mort de cette chère créature m’avait momentanément causés. Le squelette d’Èva est dans le plus merveilleux état ; je l’ai fait enfermer dans un coffre-fort convenable, doublé de velours rouge, et je pense certainement le mener à Paris et à Londres pour livrer à l’admiration des savants ce merveilleux type de l’âge du renne.
L’enfant ne vécut pas plus de trois semaines. Étant nourri par une étrangère, il n’aurait d’ailleurs présenté que peu d’intérêt. Je l’ai également préparé. Je vous l’envoie pour en faire hommage à la Société d’anthropologie de Paris, de la part de
Votre très dévoué et très humble collègue, monsieur le vice-président, et très respectueux serviteur,
JOHANN VAN CUYKCUYK. »
« Pauvre femme ! nous écriâmes-nous tous les trois en même temps, quand cette lecture fut terminée.
– Ce van Cuykcuyk, avec son air tranquille, est tout simplement un assassin sans le savoir, reprit un autre.
– Ce n’est pas gai d’avoir ce bocal à bord, » ajouta philosophiquement le troisième.
La lune se levait comme un grand fromage derrière un moulin dont les ailes tournaient rapidement. Sur l’eau couraient des buées grises. Le falot s’éteignait.
Nous regardâmes la caisse ; elle était bien ficelée et scellée. Et comme tout en France se termine par une plaisanterie :
« Au moins, fit l’un, si le petit pouvait nous dire quand le temps change ! »
Quoique cette allusion à la célèbre histoire du père qui avait conservé son enfant dans l’esprit de vin, et, suivant qu’il le voyait monter ou descendre dans son bocal, disait à sa femme : Oscar monte ; prends ton parapluie, – nous parût de fort mauvais goût, nous n’en rîmes pas moins.
« Nous avons promis, reprit un autre. C’est un souvenir de voyage ! Nous le rapporterons en France. »
Ce souvenir, nous ne devions même pas le garder. Dans notre vie errante sur l’eau, nous ne recevions pas de journaux français et nous ne comprenions pas un traître mot des journaux hollandais. Aussi fûmes-nous bien surpris, le 20 juillet, en arrivant à Rottterdam, d’apprendre la déclaration de guerre de la France à la Prusse, dont nous voyions partout le drapeau flotter auprès de nous.
Notre situation devint difficile. Nous ne pouvions abandonner la Misélie. Revenir sur ses pas, à travers toute la Hollande, limitrophe de la Prusse et de la Belgique, c’était long et dangereux.
Nous résolûmes de prendre la mer le plus vite possible pour rentrer en France. Au milieu de l’émotion profonde que la déclaration de guerre causait en Hollande, nous pouvions espérer éviter tout ennui, bien que nous fussions peut-être pour le moment le seul pavillon français dans ces parages. Mais, si notre fuite était possible, c’était à la condition de ne pas prendre de pilotes et de filer sans rien dire. C’est ce que nous fîmes, et nous nous mîmes en route, comptant sur une bonne chance et un bon vent.
Nous avions déjà passé le Mœrdyrk, et nous nous trouvions presque en mer, dans un de ces grands bras de six ou sept lieues de large, où la terre et l’eau se confondent, lorsque la marée et le vent contraire nous forcèrent, à l’approche de la nuit, d’entrer dans le petit port de guerre de Wilhemstadt. Nous aidant de la gaffe, nous étions parvenus à nous placer le long du quai du port, lorsque nous vîmes une troupe de soldats hollandais en armes venir vers nous et nous déclarer que nous étions prisonniers. En partant d’Argenteuil, nous n’avions pas prévu que nous finirions par être prisonniers de guerre des Hollandais. Cela avait l’air d’une plaisanterie.
C’était très sérieux. On nous conduisit tous trois – et Fox – chez le gouverneur de la citadelle qui nous déclara que l’on nous avait vus prendre des profondeurs, que la présence d’un bateau français dans les circonstances actuelles, – et dans cette partie de la Hollande, était infiniment suspecte. Ici, une grande déclaration patriotique. Tout ce monde-là croyait que les Français seraient vainqueurs des Prussiens, que la France demanderait la Belgique et la Hollande, ce à quoi ils juraient fort patriotiquement qu’ils s’opposeraient par la force. Nous répondîmes que nous n’avions pas pris de profondeurs, que nous nous étions poussés à la gaffe tout simplement ; nous montrâmes nos papiers. Je suis absolument convaincu que le brave commandant – fort poli, d’ailleurs – ne crut en aucune façon que nous arrivions de Paris. Cela ne s’était jamais vu ; c’était incroyable.
On visita le bateau gardé à vue. Je tremblais que la découverte du bocal où était le fils Cuykcuyk ne vînt compliquer la situation. On cherchait des armes et des machines à faire des signaux ; on ne trouva rien. Pour comble de malheur, ce soir-là, on aperçut de Wilhemstadt, à une très grande distance à l’horizon, un violent incendie dont nous étions bien innocents. Il n’en fallut pas plus pour inquiéter à l’extrême toute la population, déjà fort émue des événements et de notre présence. Le commandant hésitait à nous emprisonner. Il nous annonça qu’il allait prendre une détermination après avoir consulté ses officiers. Cela devenait de plus en plus sérieux.
Nous demandâmes la permission d’aller dîner ; on nous mena dans l’unique auberge de la ville. La route et les soldats l’envahirent et nous fûmes presque cernés dans un petit cabinet vitré, à la porte duquel Fox, dont la population paraissait avoir très peur, faisait bonne garde. Heureusement, la fille de l’aubergiste parlait français. Cette charmante jeune fille, jolie comme les amours, compatit à notre mésaventure, rassura un peu ses concitoyens et nous fit dîner.
Puis des officiers vinrent causer avec nous, et enfin on nous annonça que nous serions ramenés à bord, gardés à vue, et qu’au lever du jour, quelque temps qu’il fît, il nous faudrait partir, et non pas dans la direction de la France, c’est-à-dire vers la mer, mais du côté de l’intérieur, de la Prusse, sous peine d’être coulés bas. Nous eûmes beau réclamer, cela ne servit à rien. Nous étions suspects, très suspects, infiniment suspects. J’étais loin de me douter à ce moment qu’un mois après, jour pour jour, je serais, plus sérieusement cette fois, prisonnier de guerre des Prussiens. Quelle année !
Au matin, nous partîmes. Le vent était d’arrière. Nous couvrîmes la pauvre Misélie de toile et marchâmes d’un train du diable. Nous fîmes vingt-cinq lieues ce jour-là contre marée. À chaque pas sur notre route marine, nous rencontrions des vapeurs hollandais chargés de conscrits qui montraient le poing au drapeau français, qu’ils insultaient. À mesure que nous avancions dans l’intérieur des terres, nous voyions aussi des bateaux prussiens portant leurs couleurs. Ils criaient contre nous. Nos deux fusils de chasse furent chargés, et vraiment, si on nous avait attaqués sous une forme ou une autre, – le mauvais vouloir peut amener bien des incidents, – nous nous serions défendus du mieux que nous aurions pu et aurions fait respecter de notre mieux notre petit bout de drapeau français.
Nous filions bien par exemple, et un vapeur, seul, aurait pu parfois nous attraper. Sur les quatre heures, – nous suivions la route d’arrivée, – nous nous trouvâmes passer devant la maison du docteur Cuykcuyk. Nous n’hésitâmes pas à lui reporter la lettre et la caisse, ne sachant pas ce qui pouvait survenir et ne nous souciant pas d’avoir un ennui de plus. Le docteur n’était pas chez lui ; il était parti je ne sais où. Nous remîmes soigneusement la lettre et le petit Cuykcuyk à un domestique, en y joignant un mot d’excuses, naturelles dans notre situation.
Le soir même, nous étions à Bois-le-Duc (Shertogenbosch), et là, sur l’avis d’un agent de M. Nagel Makers, nous laissâmes la malheureuse Misélie, que nous n’avions plus le temps de ramener en France. Trois jours après, j’arrivai à Paris, et, à quinze jours de là, sous Metz.
Je n’oublierai jamais la Misélie et le docteur van Cuykcuyk.
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(1) Apud Schmerling, Lubbœk, Millartet, Cristy, Sedgwick.
(2) Ap. U. Garrigou.
(3) Pikelly de Metz.
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(Charles Habeneck, in La République française, troisième année, n° 573, 576, 577 et 579, jeudi 5, dimanche 8, lundi 9 et mercredi 11 juin 1873. Illustration de Zedněk Burian, « La Vénus de Dolní Věstonice, » 1958 ; « L’Homme fossile, » gravure extraite de Paris avant les hommes de Pierre Boitard, Paris : Passard, 1861)
Une lecture intéressante, mais plutôt répugnante. Comment un homme peut-il se livrer à pareille expérience ? A croire que le fond d’humanité n’existe plus quand on se prend pour dieu lui-même. On parle de savants fous : en voilà un exemple parfait. Sous couvert de la science, cet anthropologue n’était qu’un barbare. E ce ne sont pas les quelques larmes de crocodile qu’il a versées qui lui feront pardonner sa cruauté. Un digne élève de Menguélé…
N’oubliez pas qu’il s’agit d’une oeuvre de pure fiction… Comme pour « La Fille du singe » de Maurice Sand, c’est une satire brocardant les travers scientifiques de l’époque.
l’oeeeeuvre de Lucifeeeer cherchant à nous ramener aux ages ante-christique, ne reconnaissant aucune pitié perdit son ààààme et sa vie.
louoooons la divine provideeeeeence