LE PONT DU MOUTIER

 

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… deus ipse loci fluvio tiberinus amœno.

 
 

Oh ! dans un faubourg citadin, le lyrisme dépaysé de ce vieil ermite à l’échine cassée baignant ses pieds dans la Durolle ! Je veux parler de l’ancien pont du Moutier, saint homme en robe brune, barbu comme le pieux Agaric.

Vieille province, mes amours !… Hélas ! quand donc repassera le doux Monsieur Cotylédon aux lunettes d’or, qui prit en des Facultés auvergnates une licence ès-sciences naturelles et menait au soleil d’été sur le vieux pont treize potaches cramoisis faire des excursions botaniques ! Achillées, mille-feuilles et germandrées, tuniques sombres et boutons, filets à papillons, nostalgies collégiennes des mois du solstice : jeu des grâces, croquet, consutes, et le sonnet qui ne se rend pas…

Le doux Monsieur Cotylédon, dans sa barbe blanche et sa redingote verte, s’épanouissait tel un arbre du verger. Sa figure était un fruit rose parmi les neiges de l’hiver, une cerise sur du coton.

Alors, heureux comme un singe au jardin des plantes, car on grattait ses puces sous soleil, et le rude poil de ses oreilles ébréchées, le vieil ermite riait dans sa cucule de sentir pousser sur sa bosse ce poirier fleuri qui portait des cerises et menait un cœur de coquelicots.

Et il laisse traîner dans l’eau les filoches de sa barbe annelée.

Trois nuages, pommés comme des choux-fleurs, font le gros dos sur l’horizon.
 
 

 

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(Alexandre Vialatte, « Estampes auvergnates, » in Le Centre : revue d’art et de littérature : Limousin, Auvergne, Berry, Poitou, mars 1921 ; Jacques Liévin, « Le Pont du Moutier à Thiers, » huile sur toile ; carte postale)

 
 

 

Auvergne – Chez Chardon

 

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Le bon ménager conte, un jour de foire, à la table du cabaret, un apologue instinctif à son voisin qui lui faisait des comptes d’apothicaire.
 

Au rustique Henri Pourrat, en remerciements de ses bons offices et pour le plaisir que me procura la fréquentation de son bon ménager d’Auvergne.

 
 

Je fréquente un vieux Sylvain

Qui m’enseigne la sagesse

À Saint-Damien, par Beaufresse,

Près la grand’croix du ravin.
 

Il vend des herbes sauvages

Pour guérir les malchanceux,

Des conseils et des breuvages

Pour charmer les amoureux,

Des chansons et des images

Pour quatorze sous les deux.
 

Il vend de l’eau minérale,

Et des vers de mirliton

Quand le maire du canton

Cherche des rimes royales

Pour offrir à Jeanneton,

Des raisins, du chèvreton

Et des pétards en carton

Pour la fête nationale.
 

Le lait de la vérité

Bouillait dans sa casserole ;

Pour en avoir la moitié

Je lui comptais vingt pistoles

Et quatre fleurs d’églantier.
 

II les mit dans sa sacoche

Et me traita de grand fou.

Je n’ai plus rien dans ma poche

Qu’un couteau de quatre sous.

Chèvrepied, vilain fantoche,

Je t’en couperai le cou

Quand au bois de Chabreloche

Chantera le vieu [sic] coucou.
 

Je te couperai la barbe,

Les cornes et les sabots,

Je volerai ta rhubarbe,

Je m’établirai Babo ;

Je m’en irai par les foires

Tenir boutique en plein vent,

Et L’on dira : « Venez voir-e,

C’est moral pour les enfants,

Le brave père Grégoire

Paré des plumes du paon !… »
 

Mon voisin, qu’il t’en souvienne.

Je paie chopine de vin :

– Ho Tienne, à la tienne, Étienne !

– À la tienne, mon voisin.
 

Alexandre VIALATTE

 

Janvier 1921.
 
 

 

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(Alexandre Vialatte, in Le Centre : revue d’art et de littérature : Limousin, Auvergne, Berry, Poitou, avril 1921 ; Armand Guillaumin, « L’Hiver à Saint-Sauves, » huile sur toile, 1900 ; Mario Pérouse, « Hélène près du bassin, » huile sur toile)