Seigneur, vous êtes bon et juste infiniment !
Car vous m’avez tiré, chair lamentable et nue,
Du noir néant où la souffrance est inconnue.
Vous avez fait jaillir de mon cerveau d’enfant
La céleste Raison, comme un lys triomphant,
Puis, vous avez chargé de cette fleur sans tache
La basse hypocrisie et l’ignorance lâche.
Seigneur, vous êtes bon et juste infiniment !
Votre esprit a soufflé dans mon cœur, dans mes reins,
L’illusion candide avec le rut sans freins,
Puis, vous m’avez poussé doucement vers la femme.
La femme a corrompu mon sang, lassé mon âme.
Seigneur, vous êtes bon et juste infiniment !
Pour étancher ma soif et pour calmer ma faim,
Vous m’avez envoyé, mon doux maître divin,
La maladie horrible, inutile, féroce,
Qui m’a cloué, hurlant, sur le bord de la fosse.
Vous me ferez mourir sans doute comme un gueux,
Car vous êtes, Seigneur, puissant et généreux,
Seigneur, vous êtes bon et juste infiniment !
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(Alcide Bonneveau, La Jungle, Paris : Librairie Nouvelle Parisienne, Albert Savine, 1889)