La Commission supérieure d’hygiène vient d’édicter les prescriptions les plus énergiques pour empêcher le transport des cadavres dans des valises.
Les personnes qui usent de ce moyen pour transporter les cadavres qu’elles ont à faire voyager clandestinement ne songent certainement pas au danger qu’elles font courir à la santé publique.
Ce danger est d’autant plus grand que les cadavres ainsi transportés ont été, la plupart du temps, emballés à la hâte et sans être désinfectés au préalable.
Sur les parcours internationaux, les bagages de ce genre sont moins nombreux. Les voyageurs qui s’accompagnent de ces sortes de colis sont souvent un peu effrayés par les formalités de la douane.
Qu’arriverait-il, en effet, si, en ouvrant la valise, les douaniers trouvaient dans les poches des cadavres des cigares passés en fraude ou des allumettes de contrebande ?
On préconise le dépeçage des cadavres en deux cents ou deux cent cinquante petits morceaux ne dépassant pas trois cents grammes, et qu’on expédie dans un grand nombre de bureaux de poste sous l’étiquette : Échantillon sans valeur. Il faut avoir soin, dans ce cas, de retirer les bagues, bracelets et divers ornements qui peuvent se trouver après les doigts ou les morceaux de bras.
Ce système de dépeçage en deux cents morceaux a au moins l’avantage de défigurer sensiblement le cadavre qu’on tient à faire disparaître. Mais, au point de vue de l’hygiène publique, il présente des inconvénients plus graves encore que dans le cas précédent. Car, au lieu d’infecter un ou deux wagons et deux ou trois consignes de bagages, on contamine deux cents bureaux de poste.
Aussi, beaucoup de personnes préfèrent-elles avoir recours à l’immersion des cadavres dans les canaux et les rivières. On met alors au cou de la personne immergée une solide cravate de chanvre, ornée d’une belle pierre de cinq cent mille carats.
Malgré cette précaution, la plupart des cadavres, après quelques jours d’immersion, et au moment où l’on ne songe plus à eux, ont l’ignoble habitude de venir exhiber à la surface du fleuve un corps et des membres enflés d’une façon ridicule et un visage cyniquement tuméfié.
L’enfouissement a été un moment à la mode, sur la fin du Second Empire. Un soir de l’été de 1869, un jeune mécanicien du nom de Troppmann proposa à madame Kinck et à sa famille une partie de campagne dans la banlieue Nord-Est. En réalité, il conduisait cette dame et ses sept enfants à leur propre enterrement, lequel eut lieu d’une façon tout intime, dans les terres labourées des Près-Saint-Gervais.
Le système Troppmann, fort séduisant en théorie, présente dans la pratique des difficultés souvent insurmontables. Tout le monde ne sait pas bêcher, faire un grand trou dans la terre. De plus, il est très difficile de se livrer à ces opérations sans risquer d’être dérangé.
Aussi vaut-il mieux, au lieu d’enterrer les victimes, les mettre à crémer dans un four à plâtre. Quand on a la chance d’avoir un appareil de ce genre à sa disposition, on passe allègrement sur les prescriptions de la loi, qui exige, pour la crémation des corps, un acte de volonté formel de la part du défunt.
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(Tristan Bernard, in Le Supplément, grand journal littéraire illustré, n° 1510, seizième année, 18 avril 1899)