En été, par une chaude après-midi, dans un jardin public, aux Tuileries, au Luxembourg, dans un square quelconque, celui que vous voudrez.

Des enfants, des fillettes, s’ébattent ensemble sous la surveillance de leurs mères ou de leurs bonnes, qui lisent, causant en s’occupant d’un travail d’aiguille. Il y en a de toutes petites qui font des pâtés de sable ; d’autres, déjà grandelettes, qui sautent à la corde ou jouent à la madame. Le thermomètre marque je ne sais combien de degrés à l’ombre et toute cette féminine marmaille exhibe la chair fraîche de ses bras et de ses mollets nus, roses et potelés. Les petites, qui ne sont vêtues que d’une chemise sous leur sarrau de couleur claire, lorsqu’elles se penchent un peu trop sur leurs tas de terre ou font quelque culbute hasardeuse, mettent, sans le moindre souci de la sainte pudeur, le derrière au vent.

Assis un peu à l’écart, tout seul sur un banc, un vieux monsieur bien mis, de noir habillé, coiffé d’un impeccable haut de forme, ganté, décoré, semble absorbé dans son journal. Ce vieux monsieur, malgré son élégance, a ce que l’on appelle vulgairement une sale tête. Il est complètement rasé comme un prêtre ou un comédien. Ses yeux bridés, aux paupières bouffies, ont un regard terne, furtif et inquiet, le regard d’une conscience mal à son aise. Le nez est gros, les joues flasques, les lèvres lippues, l’inférieure un peu tombante et continuellement humectée d’une salive baveuse qu’il essuie de temps à autre avec son mouchoir.

Il est, en réalité, beaucoup moins occupé qu’il ne paraît du premier Paris ou du cours de la Bourse, et, à chaque instant, il louche par-dessus la feuille du côté de la bande des fillettes. L’œil vitreux s’allume lorsque, dans l’animation folle des gambades, une envolée de jupes lui permet d’apercevoir au-dessus du genou la blancheur molle et veloutée d’un épiderme, qui tente ses gencives édentées. Le vieux satyre fouille en imaginations sous le voile des vêtements, déshabille ces corps graciles et en fait le jouet de toutes les lubriques fantaisies que lui suggère sa cervelle de débauché caduc hors de service.

À un moment, une miochette incommodée par la chaleur, pour se gratter plus à l’aise, a relevé sans façon jusqu’à sa chemisette et mis à nu son petit ventre innocent.

Lentement, il passe sur sa lèvre suintante un bout de langue violacée, sa tête tremblote et, comme s’il craignait de succomber à quelque sadique tentation, il feint de se replonger dans les ondes marécageuses de la politique.

Une autre fillette, plus grande celle-là, une curieuse que feront sans doute pécher plus tard toutes les pommes défendues qu’elle verra pendre aux arbres du chemin, s’en vient sautiller comme un moineau effronté à deux pas de lui. C’est une brunette dodue, la mine éveillée, son nasicule couleur de rose subodorant déjà des senteurs lointaines de volupté. Alléchée par l’appât d’un bonbon, elle s’est laissée attirer entre les jambes du bonhomme à l’âme porcine. Tandis qu’elle suçote un caramel, les pattes grasses et visqueuses se promènent à la sournoise, tâtonnent… Soudain l’enfant pousse un cri, s’échappe, se réfugie vers le groupe des surveillantes qui, laissant là romans, bavardages et tricots, braquent sur le pornographique Léandre cent paires d’yeux pétillant de féminines curiosités et d’interrogations querelleuses.

Il se lève, troublé, et s’éloigne d’un pas lourd, le dos rond, cagnotant de droite et de gauche, à la façon du filou frissonnant, dans l’attente de la main policière qui va s’abattre sur sa nuque.
 
 

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(E. Jattiot, in Le Supplément, grand journal littéraire illustré, vingtième année, n° 2171, jeudi 9 juillet 1903 ; illustration de Martin van Maele, « Oh vieux salop, j’vas t’en donner du bon nanan, » in La Grande Danse macabre des vifs, 1905)