Ce professeur (c’est très sérieux) est un vieux Japonais rabougri, très pauvre, qui est venu à Paris au moment de l’Exposition de 1878. Il n’a pas fait fortune, hélas ! et comme, à Paris, il n’a pas le saki national pour y noyer ses peines, il a adopté l’absinthe pour y précipiter ses chagrins jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Paris ne l’a pas enrichi, mais, au Japon, il était déjà ruiné. C’est une victime de la révolution de 1868 (le 89 des Japonais). Il vivait à la cour d’un grand seigneur, d’un daïmio illustre (devenu simple préfet depuis, avec peu d’appointements), et il enseignait à faire le thé ; il élevait des faucons ; enfin, il était professeur de mort honorable et montrait aux enfants des Samouraïs à pratiquer, selon tous les rites, le Hara-Kiri, l’ouverture horizontale de l’épiploon.

Comme on ne s’ouvre plus le ventre au Japon, ou du moins comme on ne se l’ouvre plus aussi fréquemment qu’autrefois, Nésoumi, le professeur de mort honorable, a quitté sa patrie et est venu à Paris.

Il y vit de je ne sais quoi, de traductions de marques de fabrique de « gardes de sabre » pour mon ami Philippe Burty, qui en possède une remarquable collection ; d’interprétations de textes pour mon ami Félix Régamey ; mais il a bien peu d’élèves à son cours de – mort honorable !

En effet, à Paris, on s’empoisonne, on se pend, on se noie, on se brûle la cervelle, on se guillotine même, on se jette du haut des tours de Notre-Dame, mais on ne se suicide pas en s’ouvrant le ventre.

Cependant, Nésoumi ne perd pas courage, et il prétend qu’il implantera le Hara-Kiri dans nos mœurs.

En attendant, il se nourrit d’espoir et de riz cuit qu’il porte – au chaud – sur sa poitrine, entre sa chemise de soie et – sa peau.
 
 

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(Ernest d’Hervilly, in Les Parisiens bizarres, Paris : Calmann-Lévy, 1885 ; gravure extraite du Journal des Voyages et des Aventures de terre et de mer, n° 41, dimanche 21 avril 1878)