M. Baudouin fit ce que font beaucoup de fonctionnaires qui ont travaillé toute leur vie dans l’atmosphère confinée d’un bureau. En prenant sa retraite, il acheta une maison. Un sien ami, retraité comme lui et habitant la région, la lui avait signalée pour l’agrément de son site et la modicité de son prix.

C’était en effet une de ces braves petites maisons mi-bourgeoises, mi-paysannes, à la lisière d’un village d’Île-de-France, avec une jolie vue sur des collines d’une part, et sur une petite rivière de l’autre. Elle possédait un brin de potager, quatre tilleuls plantés en charmille, et même un bassin dans lequel nageaient quelques petits poissons. Pas de voisins immédiats, donc pas de bruit ni de disputes possibles. Comme distraction, les promenades en forêt, la pêche à la ligne. Comme communication, un train deux fois par jour qui, en deux heures, vous menait à Paris.

M. Baudouin fréta une voiture de déménagement, la fit emplir de son mobilier restreint de célibataire, et s’en fut l’attendre devant le seuil de sa nouvelle demeure. La maison étant plus grande que l’appartement, il lui fut impossible de tout meubler. Il installa seulement le rez-de-chaussée (salon, salle à manger, petit bureau) et une chambre au premier, la sienne. L’autre chambre, dite chambre d’ami, resta vide ainsi qu’un petit cabinet attenant.

Pour ces travaux domestiques, une femme du pays offrit son concours. Il s’avéra plutôt insuffisant, car un bruit sur la route ou dans le jardin, un craquement, elle sautait comme un bouchon. M. Baudouin fut bien aise de la voir partir. Elle l’eût rendu nerveux.

Quand elle se fut éloignée, il prépara, avec l’expérience d’un homme qui a vécu seul, un excellent petit dîner, le dégusta, alla fumer une pipe sur le banc devant sa porte, regarda, avec un étonnement ému de citadin libéré, les étoiles fleurir une à une entre les branches des tilleuls, puis, avec un sentiment de paix et de bien-être infini, s’en fut se coucher et s’endormit tout aussitôt.
 

*

 

Au premier moment, il ne comprit pas ce qui l’avait éveillé. Il croyait n’avoir dormi que quelques minutes, mais la lune avait déjà voyagé dans le ciel, dépassé sa fenêtre, et n’envoyait plus qu’une oblique clarté. La chambre était claire, le jardin poudré d’argent et velouté de grandes ombres. Un volet se ferma, puis l’autre volet, comme de quelqu’un qui se couche à son tour après avoir veillé. M. Baudouin eut alors conscience que le bruit d’une porte l’avait au préalable tiré du fond de son sommeil.

Or, comme ce n’était pas un personnage que sollicitent les problèmes du merveilleux, il se dit raisonnablement qu’un rôdeur, jugeant la maison inhabitée, s’y était introduit, et qu’avec un peu d’audace il l’effraierait. Tout en pensant : « Attends un peu, mon bonhomme, » il se glissa hors de ses draps (non sans émotion), s’empara de son revolver (vide de cartouches) et ouvrit la porte de sa chambre en criant : « Haut les mains ou je tire ! »

Rien ne répondit. Alors, d’un pas ferme (le bruit des volets venait de la chambre vide), il pénétra dans cette pièce que baignait la lune, qui était vide, et dont les volets n’étaient pas fermés. Sans s’attarder, M. Baudouin dégringola alors l’escalier et inspecta le rez-de-chaussée. Il était vide aussi. Aucune trace de présence humaine.

« J’ai rêvé, » se dit M. Baudouin, non sans malaise et en se posant tout à coup deux questions : « Pourquoi aurait-on fermé une porte déjà fermée et tiré, pour les fermer, des volets qu’il venait de trouver grands ouverts ? » Il s’endormit de nouveau avant d’avoir trouvé une réponse et le lendemain, en s’éveillant dans le soleil et les cris d’oiseaux, crut avoir rêvé vraiment. D’ailleurs, l’aventure ne pouvait être qu’une hallucination. On n’avait rien dérobé. Tout était à sa place, et puis on ne vole que les riches, et M. Baudouin était pauvre, comme tous les petits rentiers.

Mais, la nuit suivante, tout recommença exactement comme la veille. D’abord, le bruit d’une porte tirée sans précaution ni mystère. Puis, peu après, dans la chambre de l’autre côté du palier, les volets qui claquaient l’un après l’autre. Puis le silence.

Cette fois, M. Baudouin se dit, avec son admirable bon sens :

« Que je suis bête, c’est une farce ! Ils en seront pour leurs frais ! » Et il se rendormit sereinement. Mais, la troisième nuit, quand tout recommença, il ne trouva plus d’explication plausible. Il aborda donc, avec une angoisse qui lui desséchait la gorge, la troisième solution possible.

La maison possédait un fantôme. Et la quatrième nuit, M. Beaudouin s’attaqua au fantôme. C’est-à-dire qu’il traîna un fauteuil dans la chambre vide, et, le revolver à la main, attendit. Peu après minuit, il entendit la porte se refermer en bas, puis il assista à une scène bien curieuse. Alors que les volets de la fenêtre restaient bien ouverts et appliqués extérieurement contre le mur de la maison, tout étincelant de clair de lune, il les entendit se refermer. Mais, chose curieuse, la peur qui hérissait ses cheveux et baignait de sueur son front, était beaucoup plus une peur conventionnelle qu’une peur réelle. Évidemment, il eût mieux valu que la maison ne fût pas en proie à des phénomènes inexplicables, mais ceci dit, ces phénomènes n’étaient ni hostiles, ni même déplaisants. M. Baudouin s’effaça devant le sympathique fantôme et regagna son lit.

Désormais, il ne se dérangea plus. Parfois le bruit le réveillait, parfois il ne le réveillait pas. Il s’était construit là-dessus toute une histoire. Il imaginait que le fantôme était un brave homme comme lui qui, autrefois, avait habité la maison et trouvait plaisir à y revenir la nuit, faute d’y revenir le jour. Un brave homme, un fantôme de fonctionnaire et de pêcheur à la ligne. Après tout, pourquoi n’y aurait-il que des fantômes de preux, d’assassins et de châtelaines ? Pourquoi reviendrait-on seulement parce qu’on a fait le mal ou qu’on a été malheureux, et pas parce qu’on vivait tranquille et qu’on se plaisait chez soi ?

« Parole, pensait M. Baudouin, que je meure, moi, et je veux bien être pendu si je ne reviens pas pour tailler mes arbres et donner du pain à mes oiseaux. » Et, s’adressant à son mystérieux visiteur : « Reviens, mon vieux ; reviens, va. Ça n’est pas moi qui te chasserai à coup de science ou de prières. »

Il se disait aussi : « Comme j’ai de la chance. Je suis seul sans être seul. Un fantôme comme ça, c’est un ami. » Et la nuit, quand il s’éveillait, il souriait d’un bon sourire dans les ténèbres.

Il découvrait ainsi peu à peu, sur le tard et merveilleusement, les divines consolations d’une présence et d’une solidarité.
 

*

 

Cela dura ainsi pendant un an quand, un beau jour, M. Baudouin, qui s’était lié peu à peu avec des personnes du pays, rencontra le maire qui revenait de la chasse ; et le maire lui dit :

« Je vois que vous, M. Baudouin, vous êtes un homme de jugement et que vous ne vous laissez pas démonter par des histoires sans queue ni tête. Croyez-vous que personne avant vous n’a pu durer dans votre maison, alors que je me suis tué à donner des explications ! »

M. Baudouin fronça un peu le sourcil. Le maire continua :

« Un écho, ce n’est tout de même pas sorcier. Et le bruit qui se répercute contre le mur de votre jardin, et qui provient de la maison de l’ingénieur au tournant de la rivière, n’a rien qui puisse faire peur même à un gosse de quatre ans. D’abord, c’est toujours la même chose, vu que l’ingénieur rentre tous les soirs à la même heure, par le dernier train de Paris. Quoi ! cet homme, il fait comme nous. Il ferme sa porte, il ferme ses volets… Et il se couche. Et puis après !

– Et puis après, » répéta machinalement M. Baudouin.

Il rentra chez lui, dans sa maison qui lui parut triste et vide. Il y languit pourtant encore six mois avant d’y mourir de solitude et d’ennui.
 
 

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(Germaine Beaumont, in Le Matin, cinquante-troisième année, n° 19239, dimanche 22 novembre 1936)