Quand le Diable s’empare de quelqu’un, il s’attache à lui depuis la tête jusqu’aux pieds. Aussi l’opération pour le chasser est-elle un peu longue. Il faut le suivre place à place, lui faire quitter l’un après l’autre, les membres du possédé.
Un habile exorciste se garde bien de le laisser pénétrer jusqu’à une certaine partie du corps, surtout de celui d’une femme ; car c’est là qu’il fait sa dernière retraite et qu’il se cramponne, espérant que la pudeur de l’exorcisant, ou de l’exorcisé, ne permettra pas qu’on y fasse visite pour l’en déloger. Le bon homme Job, en réfléchissant sur son fumier, avait deviné cette ruse du Diable, et pour qu’on n’y soit pas trompé, il la découvre dans le Livre de la Bible qui porte son nom ; c’est là que le Père Osterman l’a trouvée le premier : sub umbra dormit in secreto Thalami, in locis humentibus.
C’est donc dans les marais du corps humain que le Diable fait sa dernière retraite, présumant qu’aucun Prêtre n’osera la toucher dans cet humide et obscur réduit. ‘Fingit se aegre ferre quod sacerdos tangat vultum ejus, dit Jérôme Menghi ; ad hoc ut vehentius tangat et inde mulieri ingerat voluptuosa fantasma ; et eadem ratione, fingit se aegre ferre quod Sacerdos loquendo, nimis approximet ori, ut vultum vultui magis approximet.’ Zacharias Vicecomes a découvert une autre finesse du malin Esprit.
Il a remarqué, dit-il, que les possédées regardent lascivement l’exorciste ; qu’elles tâchent de lui toucher les mains, ou de mettre leurs pieds sur le sien, et que, par de semblables manoeuvres, elles ne cherchent qu’à l’exciter à l’impureté. Maximilien ab Eynatten dit la même chose, et les avertit de substituer les signes de croix aux attouchements. Brognolo prouve invinciblement combien il est dangereux de poursuivre le Diable dans cette cachette. Il arrive fort souvent, dit-il, que des filles jeunes et belles sont tourmentées par l’Esprit malin. D’abord il les saisit au col et s’y tient jusqu’à ce que l’exorciste l’ait oint de la Sainte Huile avec ses mains sacrées. De là il descend à la poitrine, d’où on le déloge par le même moyen. S’il se range ensuite sous la mamelle, il faut que le Prêtre touche cet endroit, et qu’il le frotte de la Sainte Huile, mais dévotement et avec honnêteté. Enfin il passe à la matrice, que le Prêtre, qui aime la Chasteté, ne veut pas toucher ; mais la jeune fille crie et demande avec instance qu’il la touche en cet endroit, parce que ses tourments ne peuvent être apaisés que par l’attouchement de ses mains sacerdotales.
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([Jean-François NEE DE LA ROCHELLE,] Les Fredaines du Diable, ou recueil de morceaux épars, pour servir à l’histoire du Diable et de ses suppôts ; tirés d’Auteurs dignes de foi, par feu M. Sandras, Avocat en Parlement ; mis en nouveau style et publiés par J. Fr. N. D. L. R., Paris : 1797 [an VI], Chez Merlin, Libraire)