Le contremaître Davis étendit la main vers l’entrée de l’hypogée.

« J’étais des premières fouilles, expliqua-t-il. Les malheurs ont commencé quand on atteignit le grand couloir, qui mène à la cheminée par laquelle on accède à la chambre du pharaon. Piqûres de reptiles, maladies, éboulements, tout s’en mêlait : les ouvriers mouraient comme des mouches… quelques-uns sans qu’on sût pourquoi. On les retrouvait le matin, étendus sur le sable, à quelques mètres de l’entrée, morts sans blessure apparente. À la fin, les équipes ont pris peur et tout le monde a lâché…

– Coïncidences ! » prononça mollement le jeune égyptologue, qui écoutait le contremaître.

Davis haussa les épaules.

« Et cette fois aussi ? Vous avez pourtant vu ça, monsieur Bernard : les diableries ont recommencé ; on est décimé… Les ouvriers menacent de se révolter… Allez ! Ils ont raison d’exiger qu’on referme le tombeau. »

Était-il sincère ? Une arrière-pensée demeurait au fond de son regard, un peu sournois.

« C’est à cause de la bague ! soupira-t-il, en détournant la tête. De la bague du pharaon, qui porte un scarabée vert et, gravé dessus, le signe du dieu Set. Il paraît que cela signifie la destruction et la mort. Quiconque y touche péril, tué par la bague, parce qu’une malédiction millénaire y est attachée… C’est du moins ce que racontent les indigènes… peut-être pour nous dégoûter d’y aller voir. Ils disent aussi qu’elle est gardée par le double du pharaon… Autrement, elle serait facile à prendre, sans qu’on ait besoin d’ouvrir le sarcophage ; car elle est cachée dans une crevasse du mur de la Chambre. C’est à l’angle de l’est. Je me suis renseigné. »

Ses yeux jetèrent encore une lueur trouble. Il acheva, plus bas :

« Il y en a qui ont essayé… et qui l’ont trouvée. Mais elle est toujours revenue à sa place… Et les voleurs gisaient morts sur le sable, comme je vous l’ai dit.

– Comment sait-on qu’elle y est toujours ? questionna le jeune savant d’un ton sceptique.

– Si vous ne le croyez pas, allez-y voir, riposta sournoisement Davis. Seulement, il faudrait vous dépêcher, puisqu’on referme le tombeau demain.

– Cette visite me tenterait… non pour la bague, mais pour le pharaon, » répondit pensivement le jeune homme.

Il n’en dit pas davantage ; son compagnon l’observait en dessous.

Quand les ombres de la nuit eurent empli la Vallée des Rois, l’égyptologue se glissa dans la tranchée conduisant à l’hypogée. Il s’était muni d’un revolver automatique et d’une puissante lampe électrique. Après avoir suivi un long boyau étroit, qui s’enfonçait dans le sol, il arriva dans un premier caveau, creusé en plein roc ; la chaleur était intolérable ; une odeur de mort flottait dans l’air alourdi et le rendait irrespirable. Épuisé et ruisselant de sueur, Bernard se laissa tomber sur le sol et, pendant cinq minutes, les nerfs tendus à se rompre, il écouta l’invisible.

Un effort le remit debout ; dans une atmosphère empoisonnée, il suivit le couloir horizontal, dont avait parlé Davis et se glissa par la cheminée aux parois rugueuses ; il était dans la chambre du pharaon. Il s’orienta, murmurant les indications du contremaître : « L’angle à l’est… une cavité… »

Il la découvrit, en approcha sa lampe, crut apercevoir l’éclair d’or d’un anneau et se trouva soudain en pleines ténèbres, criant d’horreur et d’angoisse…

Au moment où sa lampe, insuffisamment rechargée, s’était éteinte, il avait eu la sensation d’être frôlé par une ombre blanche, qui le repoussait…

Perdant la tête, il rampa jusqu’à l’orifice du puits, dans lequel il se laissa tomber. Puis, se relevant, il se mit à courir, courbé, dans le couloir, sans souci des heurts qui l’ensanglantaient. Derrière lui, un bruit de poursuite l’affolait.

Tantôt courant, tantôt rampant, il remonta ainsi jusqu’à l’entrée, près de laquelle il tomba évanoui…

… Quand il revint à lui, le jour naissait. Il promena autour de lui des regards égarés, en balbutiant d’une voix terrifiée :

« L’ombre… le double… Il me poursuivait. »

Mais, tout coup, son regard se fixa. À dix pas de lui, un corps sans vie était étendu – celui du contremaître Davis.

Et comme Bernard s’en approchait en trébuchant, il vit un serpent surgir des vêtements du défunt : une vipère d’Égypte, qui s’enfuit en rampant vers l’ombre de l’hypogée.

Encerclant le corps du reptile, un anneau d’or brillait : une bague portant un scarabée vert, avec l’hiéroglyphe du dieu Set…
 
 

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(H.-J. Magog, « Les Mille et un matins, » in Le Matin, quarante et unième année, n° 12791, samedi 1er mars 1924)