Chiromancie

 

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Après avoir purgé deux ans de « hard labour, » Oscar Wilde qui, avant sa condamnation par la Cour d’Assises d’Old Bailey, avait mené, à Londres, la vie d’un prince de lettres, se réfugia en France où il vécut en proscrit sous le nom de Sébastien Melmoth (emprunté à Balzac [sic], comme nous le verrons dans un prochain article).

L’ancien esthète, broyé par un martyre de vingt-quatre mois, qui lui avait inspiré « La Ballade de la Geôle de Reading, » ne pouvait oublier que c’était à son orgueil et à son goût du risque – n’avait-il pas attaqué indûment en diffamation un des Lords les plus puissants de Londres ? – qu’il devait d’être devenu une épave.

Un soir, à Paris, dans l’atelier d’un peintre, une chiromancienne célèbre lisait dans les lignes de la main. L’assistance était nombreuse et brillante. Pour éviter toute supercherie, on devait passer derrière un rideau de velours noir où étaient ménagées des ouvertures pour les mains des invités.

La chiromancienne venait de terminer plusieurs des consultations quand elle arriva devant deux grandes mains ouvertes, deux mains singulièrement éloquentes. Elles avaient dû être belles, ces mains, et, bien qu’elles fussent mutilées et « défigurées, » il émanait de leur paume ouverte et mendiante comme une étrange histoire.

La devineresse interrogea d’abord la main de la destinée. « La main gauche, commença-t-elle, est la main d’un roi. » Il lui sembla que la main palpitait. Elle la laissa, et prit la main droite qui est celle de la volonté. « Et la main droite, continua-t-elle, est la main d’un roi qui se serait envoyé en exil… »

Brusquement, les mains se retirèrent. Et l’on vit sortir derrière le rideau de velours un homme de haute stature, lourd et voûté, qui répondait au nom obscur de Melmoth et dont on ignorait le passé. Seul un jeune écrivain le reconnut alors, en voyant, pendant qu’il gagnait la sortie, briller deux larmes sous ses paupières pesantes de roi déchu.
 

(Raconté par Adrien Robert)

 
 

 

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(« Épaves et Coquillages, » in Le Goéland, journal littéraire de la Côte d’Émeraude, première année, n° 4, vendredi 25 septembre 1936)