Gaston Leroux avait, au plus haut degré, cette inappréciable qualité : l’imagination ; une imagination inextinguible, originale, ingénieuse.
Il s’en servit, avec un succès éclatant, dans sa première carrière, la grand reportage, où elle lui permit, à l’aide d’étonnantes habiletés, de subtils stratagèmes, de conquérir toujours, pour son journal, le renseignement précis, inédit, et que nul autre n’a su, en même temps, conquérir. Passionnante chasse à la vérité qui fait du reporter l’historien averti du temps présent, – historien de grande ou de petite histoire, maître de l’heure toujours, – puisqu’il renseigne et guide, par l’immense action du grand quotidien, cette toute-puissance moderne – « l’opinion publique. »
Quittant le grand reportage, Gaston Leroux, qui « rêvait depuis l’enfance d’être un des premiers littérateurs de ce temps, » risqua d’affronter le péril d’un changement d’étiquette. Il avait dit du reportage : « Oh ! mon métier, que je t’aime ! » Il aborda résolument, au mépris des conséquences pratiques possibles, le théâtre et le roman. Je le voyais alors assez souvent au Grand-Café, où venaient Catulle Mendès, dont la plus importante œuvre était sa vie, Georges Courteline, illustre et simple, Léon Dierx, le peintre Gilbert, le mime Séverin, Street, le critique musical, fils de Liszt, disait-on… bien d’autres, émigrés avec Mendès du café Napolitain… Certains jouaient au bridge… Leroux n’aimait que le poker et était réduit à s’associer à de piètres parties qui l’intéressaient peu… Alors, il racontait qu’on lui avait interdit l’entrée d’un casino du Midi – d’un Midi hors la France – parce qu’il s’était présenté à la porte des salles de jeu en chemise rose et veston gris. Son indignations était vive… Il parlait, avec une amertume qu’il dissimulait sous un sourire sincèrement indulgent, de la non-réussite de sa pièce, lue à Pierre Wolff, puis portée à Antoine : la Maison des juges. Il racontait qu’il avait refait trois fois cette œuvre, au cours de voyages divers.
Employant dans le roman d’aventures son imagination plus fertile que toute autre, Gaston Leroux connut des succès considérables… Le Mystère de la chambre jaune, avec Rouletabille, en est le récit liminaire… et le meilleur sans doute. Le mystère est absolu, indéchiffrable… Gaston Leroux s’y complaît, s’y meut avec une admirable maîtrise… où toute sa « folle imagination accroche le lecteur, » lui rend plausible l’invraisemblable…
Je ne veux pas, ici, citer tous les romans de Gaston Leroux, si célèbres soient-ils… Balaoo… Chéri-Bibi… Est-ce que Chéri-Bibi n’est pas un peu le célèbre Jacques Colin, le héros cynique, athlétique et criminel, – mais avec quelle envergure ? – du Père Goriot, de Splendeurs et Misères des courtisanes du grand Balzac ?
Et c’est ici que le génie (je dis ce mot qui est, je le crois, vrai) de Gaston Leroux s’affirme… Presque autant que Dumas père, grand écrivain qu’on a coutume commodément de prendre pour un simple amuseur, pour un falsificateur d’histoire, – cette injustice a force de loi, – Gaston Leroux a su, après Conan Doyle, après Maurice Leblanc, après surtout Hoffmann, Edgar Poe, Anne Radcliffe, Mathurin, puis, plus récemment, Gaboriau, établir une ambiance de mystère, d’énigme, de doute… Il a su créer une formule nouvelle dans le roman d’aventures… Les lecteurs du Journal le savent.
Il importe ici d’indiquer la vraie valeur du roman d’aventures. En dehors de Gaston Leroux, je ne citerai aucun nom, mais, parmi les plus illustres écrivains du passé, est-ce que Balzac, est-ce que Dickens n’ont pas imaginé de toutes pièces des romans d’aventures, disons le mot : des romans-feuilletons ?…
On va célébrer le romantisme… Le romantisme n’est-il pas animé par l’aventure ?… Par la plus romanesque aventure ?… Relisez Walter Scott, le maître de Gaston Leroux, selon la déclaration de celui-ci. Relisez encore une fois Balzac, Dickens, ces intrigues pathétiques, sensationnelles… La vie vraie s’y mêle à l’aventure… Oui, comme dans l’existence réelle… Et le cinéma, – dernier art, – s’en empare pour des visions directes… L’idée primitive subsiste qui plaît au plus grand nombre, valeur incontestable…
En créant Rouletabille, Balaoo, Chéri-Bibi, Gaston Leroux a marqué une évolution dans le roman d’aventures. Sa dernière œuvre, la Véritable histoire du célèbre Mister Flow, a été, par la voie du Journal, une sorte de triomphe qui l’a profondément ému… Il estimait que toute production littéraire qui suscite l’intérêt du grand public renferme, en soi-même, une supériorité incontestable… « Écrit-on pour soi ? disait-il… Non, sans quoi on ne publierait pas. Je viens du reportage… de la vie vécue… Je tente d’écrire « vrai. » J’imagine, – pour engendrer l’intérêt, – j’élabore des fictions valables, selon mes moyens, mais la vie, elle aussi, crée des fictions… et bien plus invraisemblables que toute invention littéraire… »
Gaston Leroux est mort prématurément. Avec lui disparaît un des romanciers les plus « créateurs » de notre temps. Il avait, vers les débuts de la guerre, écrit Confitou, roman d’un enfant, très en dehors de son habituelle manière, et qui fixait un problème psychologique curieux : débat entre l’amour et le patriotisme.
Gaston Leroux est mort trop tôt pour la grande joie quotidienne de ses lecteurs.
FRÉDÉRIC BOUTET
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Les obsèques de notre éminent collaborateur et ami Gaston Leroux auront lieu à Nice mardi matin.
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(Frédéric Boutet, in Le Journal, n° 12600, 17 avril 1927)