CHAPITRE X

 
 

Percer le mystère des étoiles était le but de ces surhommes. Je désignai le télescope. Si je pouvais seulement leur faire part de mes connaissances et leur expliquer notre arrivée ! J’essayai par gestes de suggérer l’idée d’une Terre. Ils penchaient la tête sur la table. Je renouvelai mon geste vers le télescope. Je voulais voir les étoiles. Enfin, j’arrivai à me faire comprendre. L’un d’eux posa sa main sur la table, la paume en l’air. Quelle immense main ! Nous restions immobiles ; un doigt nous poussa sur la paume. Puis la main nous transporta vers le télescope.

Je vis des étoiles, des constellations, des lunes. Leur structure rappelait celle de notre système solaire. La ressemblance me frappa.

Les hommes nous observaient ; leurs grands yeux scintillaient, débordant d’intelligence. Notre intérêt pour le télescope augmentait leur curiosité.

L’un d’eux étendit à mes pieds une substance blanche comme du parchemin et me plaça une canne entre les mains. Les grands yeux m’observaient : comprendrais-je ? Oui, je compris. Je ne pouvais ni parler ni expliquer avec mes yeux, mais je pouvais dessiner ; la canne était un crayon.

Je traçai le contour d’un grand pouce. À l’intérieur s’inscrivaient la boule terrestre, les étoiles, la Lune et le Soleil. Ensuite, je dessinai à grands traits un homme et un télescope. Puis je me désignai.

Ils parurent comprendre.

À ce moment précis, Sora me saisit le bras.

« Alvas, s’exclama-t-elle. Alvas ! Je sens… Je suis… »

Elle n’eut pas le temps d’achever. Elle parut étouffer ; sa voix s’éteignit. Je la sentis peser sur mon bras. Je me retournai à temps pour la soutenir. Immédiatement, j’eus la sensation que tout montait autour de nous. Je ressentis une faiblesse momentanée et je compris. Nous redevenions petits. Nous retournions au pouce.

On nous ramassa et nous fûmes élevés en l’air. Nous nous retrouvâmes sur la même matière translucide qui nous avait déjà surpris. Je savais à présent où nous étions et comment il fallait agir. Sora se remettait. Elle laissait sa main dans la mienne et paraissait comprendre.

Notre départ ressemblait à une fuite. La main dans la main, nous courûmes sur la surface unie jusqu’au bord et, comme attirés par une force mystérieuse, d’un bond nous roulâmes dans l’abîme.

Il était temps. L’ongle formait un toit. Je m’arrêtai une seconde pour contempler ce monde merveilleux. Au bord du toit, un œil monstre nous regardait derrière un vaste objet rond. Ils nous observaient dans notre fuite ! Je serrai la main de Sora et nous disparûmes sous le toit.

Nous nous retrouvâmes dans la comète, devant la maison que nous venions de quitter. En apparence, quelques minutes à peine s’étaient écoulées.

Toutefois, la comète avait bien changé ; le terrible anneau était presque entièrement consumé ; du coma, il ne restait qu’une faible incandescence. Quelle différence avec la fraîche nature que nous avions connue !

Dans la maison, tout restait identique. L’indicateur fonctionnait toujours ; la flèche suivait sa course. Sora me saisit le bras.

« Regarde, Alvas ! » s’exclama-t-elle.

Je regardai et compris. Nous approchions de ma Terre. La flèche en était juste au point marqué par Sora lors de mon arrivée.

Nous bondîmes vers l’avion interstellaire, embarquâmes le plus possible de documents et jetâmes par-dessus bord tout ce qui n’était pas le strict nécessaire. Nous quittâmes la comète.

Le trajet ne fut marqué par aucun événement. Nous venons d’atterrir sur notre Terre. Votre lumière nous a guidés ; nous sommes entrés. Mon histoire est finie. »
 

*

 

« Il s’arrêta, dit le professeur Mason, et attendit mes paroles. Je regardais l’homme et la jeune fille, si beaux que je croyais rêver. Après un silence, je leur dis :

« Notre système solaire n’est donc qu’un atome ?

– Oui. Les atomes de dimensions inférieures sont régis par leurs lois planétaires relatives et leurs lois solaires, appelées par nous lois atomiques. Notre propre système agit de même dans un univers de dimensions supérieures. Tout est relatif !

– Mais des millions d’années ! Vous étiez dans cette sphère d’ordre supérieur voici quelques minutes seulement !

– L’explication en est facile. Les révolutions des atomes inférieurs sont incroyablement rapides. Chaque révolution autour du noyau atomique représente une année. Une minute terrestre équivaut dans l’atome à des millions d’années. Il en est de même dans la sphère supérieure. C’est une question de relativité. J’ai passé quelques minutes hors de notre univers ; pour vous, cela représente des millions d’années. Je comprends bien votre étonnement ; je l’ai éprouvé aussi. J’ai pensé avoir quitté la Terre pour quelques semaines ; je n’avais pas tenu compte du temps passé dans la sphère supérieure. J’ai tout compris lorsque vous m’avez montré cet endroit que vous appelez… Californie. »

À ce moment, la jeune fille parla :

« Alvas, je voudrais à boire. J’ai soif. Je sens que… »

Je la vis pâlir, prendre un teint de morte. Le jeune homme se tourna, brusquement effrayé.

« Vite, dit-il, apportez de l’eau. »

Lui aussi devenait pâle ; son attitude m’intrigua. Je sortis précipitamment.

Je l’entendis m’appeler à plusieurs reprises, et sa voix me parut chaque fois plus faible.

Très agité par tous ces événements bizarres, je sentais planer une inquiétude incompréhensible. Que se passait-il ?

Je revins en hâte. Je m’arrêtai net, un verre d’eau à la main, cherchant des yeux mes étranges visiteurs… Partis !

Partis ? Non. Je les distinguai sur le sol, incroyablement petits, ayant à peine quinze centimètres de haut. L’homme tenait la jeune fille dans ses bras. Avec de grands gestes, il montrait mon pouce.

Je me baissai et posai mon pouce sur le sol. Je me rappelle avoir parlé, tout en doutant de l’utilité de mes paroles :

« Tenez, dis-je ; sautez sur mon pouce. »

Il le fit.

Il prit la taille d’une puce. Je le regardai courir sur le pouce, prêt à sauter dans le vide, serrant toujours la jeune fille dans ses bras.

Je saisis un microscope. Grâce à la lentille grossissante, je le vis encore une seconde, juste sous l’ongle. Il me regarda, agita la main et disparut avec la jeune fille. »
 

*

 

Voilà l’histoire du professeur Mason.

« Eh bien ? » dis-je.

Le professeur ne répondit pas. Il s’absorba dans une profonde rêverie. L’air absent que je lui avais remarqué les nuits précédentes marqua de nouveau son visage.

« Eh bien ? » répétai-je.

Il leva les yeux vers moi.

« C’est mon histoire. Je voudrais mon microscope. »

Sa voix redevint plaintive comme au début de la soirée. Je lui rendis son microscope. Le professeur Mason est un brave homme.

Lorsque je le quittai, il examinait son pouce au microscope.
 
 

FIN

 
 

–––––

 
 

(Austin Hall, traduit de l’américain par Lola Tranec, in Carrefour, sixième année, n° 257, mercredi 17 août 1949)